Merci à Bernard Rioux pour cet excellent texte.
Dépassons les peurs, ouvrons les frontières et accueillons les personnes migrantes
Mercredi 2 mai 2018 / DE : Bernard Rioux
Étant donné le caractère chaotique de la situation mondiale, le processus migratoire prend de l’ampleur. Ce n’est pas l’ouverture ou la porosité des frontières qui provoquent les migrations, mais les situations concrètes vécues par les populations, celles du Sud tout particulièrement.
Ne fermons pas les yeux sur le fait que les processus migratoires sont directement impulsés par le pillage et les guerres menées par les pays impérialistes qui cherchent à s’accaparer les richesses pétrolières et minières de ces pays. Les processus migratoires sont aussi directement liés aux pratiques de multinationales qui installent des monocultures d’exportation détruisant ainsi l’agriculture vivrière tournée sur l’alimentation des populations concernées. À cela s’ajoutent les impacts des changements climatiques sur les déplacements des populations. Ces personnes doivent quitter leur milieu de vie à cause de sécheresses destructives ou d’inondations… Ce sont d’abord les pays voisins dans le Sud qui accueillent la majorité des personnes touchées par les guerres ou les catastrophes climatiques et/ou alimentaires. C’est ainsi que c’est la Turquie et le Liban qui reçoivent la majorité des réfugiés du Proche-Orient déplacés par les guerres.
Les pays du nord refusent d’assumer les conséquences de leurs actes. Ces pays impérialistes réagissent en imposant une série d’obstacles à l’accueil de personnes réfugié-e-s. L’Europe est transformée en une véritable forteresse. Pour cela, les mesures répressives se généralisent : patrouille aux frontières, détention dans des camps, resserrements des exigences légales, expulsions systématiques, construction de murs et de clôtures. En Amérique du Nord, l’administration Trump cherche à empêcher l’accueil de réfugié-e-s en provenance de pays arabes ou musulmans. Donald Trump promet de construire un mur qui bloquerait la venue de Latino-américains aux États-Unis. Il refuse de régulariser les personnes sans papiers présentes aux États-Unis en en faisant des citoyennes et des citoyens de deuxième classe. Et il menace maintenant d’expulser des centaines de milliers de personnes qui avaient obtenu un permis de séjour aux États-Unis suite à des catastrophes naturelles.
Le gouvernement Trudeau refuse d’ouvrir réellement les frontières aux réfugié-e-s et il refuse d’annuler la rétrograde Entente sur les pays sûrs. Il refuse également de considérer la régularisation de plus de 500 000 personnes sans statut vivant au Canada. L’Entente des tiers pays sûrs avec les États-Unis, incitent certains demandeurs d’asile à rentrer au Canada de façon irrégulière. Il est bien connu que si ces demandeurs d’asile se présentaient aux postes frontaliers du gouvernement canadien, ils risquaient d’être retournés aux États-Unis immédiatement. C’est pourquoi ces demandeurs d’asile cherchent à franchir la barrière en évitant ces postes-frontière.
Selon des informations récentes, le gouvernement canadien serait en négociation avec Washington, pour que cette entente s’applique à toute la frontière et non seulement aux postes frontaliers. Cela pourrait se traduire par le refoulement de milliers de demandeurs d’asile à la frontière. C’est bien pourquoi les Conservateurs d’Andrew Scheer soutiennent la démarche du gouvernement Trudeau, car l’objectif des conservateurs, c’est de permettre l’expulsion la plus rapide et la plus complète possible des demandeurs d’asile.
Demander le retrait de l’Entente sur les tiers-pays sûrs est nécessaire, mais tout à fait insuffisant, car le retrait de cette entente pourrait déboucher sur une fermeture encore plus stricte de la frontière aux réfugiés. Il faut donc que cette demande de retrait se combine à une véritable ouverture des frontières et à un véritable élargissement des conditions d’accueil.
La politique d’immigration sur le terrain économique menée par le Québec vise d’une part à faire venir des personnes très qualifiées pour répondre à des besoins de plus en plus ciblés des entreprises d’ici afin de permettre à ces dernières de faire face aux pénuries de main-d’oeuvre. Mais, les personnes migrantes constatent rapidement qu’elles subissent, particulièrement dans les premières années de leur présence au pays, un processus de non-reconnaissance de leurs qualifications et leur taux de chômage est de beaucoup supérieur à la main-d’oeuvre du pays.
D’autre part, une main-d’oeuvre peu qualifiée et mal payée est également mobilisée pour des travaux agricoles et de cueillette ou dans le travail ménager. Ces personnes travaillent sans protection légale véritable et elles ont souvent un statut de main-d’oeuvre temporaire et mal payée et elles doivent quitter le pays une fois la prestation de travail fournie.
La montée de l’anxiété face aux migrations est utilisée par les partis politiques.
Que ce soit l’accueil au compte-gouttes des réfugié-e-s ou l’immigration choisie au service des grandes entreprises, les politiques gouvernementales tant à Ottawa qu’à Québec ne sont pas à la hauteur des défis que la situation mondiale va poser pour faire face au développement des processus migratoires. En jouant sur les peurs de la population au lieu de faire face aux problèmes qui se profilent, les partis politiques liés à l’oligarchie créent par leur démagogie de nouveaux obstacles à la mise en place de politiques adéquates.
Cette anxiété repose essentiellement sur la peur de ce qui est étranger, sur l’affaiblissement des mécanismes de solidarité sociale et sur l’affaiblissement des capacités d’autodéfense de la majorité populaire face aux politiques d’austérité et d’accaparement des classes dominantes. La détérioration des conditions de vie et les difficultés de résister aux politiques des élites économiques et politiques créent le terreau conduisant à la recherche de boucs émissaires, des personnes faciles à marginaliser et à stigmatiser.
C’est sur cette anxiété antiplurialiste [1] que jouent au Québec les partis des élites nationalistes ou fédéralistes. Ces partis n’ont pas hésité à jouer un jeu dangereux face aux demandeurs d’asile. Ils ont dressé un portrait négatif de ces derniers. Le chef de la CAQ, François Legault, n’a pas hésité à confondre les demandeurs d’asile avec des immigrants illégaux. Il a rapidement décrit les personnes qui franchissaient la frontière de façon irrégulière comme n’étant pas d vrais réfugié-e-s. Jean-François Lisée a joué de la même rhétorique. Niant, la réalité des politiques excluantes de l’État fédéral, il a à son tour stigmatisé les personne franchissant la frontière comme les invité-e-s de Trudeau. Il a présenté les Haïtien-ne-s traversant la frontière comme accaparant des argents qui auraient pu être consacrés aux services nécessaires pour les personnes âgées. Dernièrement, il a suggéré de construire une clôture pour bloquer le passage aux demandeurs d’asile après avoir dénoncé à de multiples reprises la porosité des frontières canadiennes.
Continuant à surfer sur ces peurs de l’envahissement, Legault a affirmé vouloir réduire le nombre d’immigrants de 10 000 personnes chaque année le faisant passer de 50 000 personnes à 40 000 personnes. Tout à sa logique intégrationniste, il proposait de faire passer aux personnes migrantes un test des valeurs avec une possible expulsion à la clé des personnes qui ne réussiraient pas ce test. Tout cela se faisant au nom de nécessaires mesures favorisant une véritable intégration. Cherchant à ne pas être en reste sur ces questions, Jean-François Lisée, sans fixer de cible, en appelait à des experts pour fixer les seuils de l’immigration choisie. Ce dernier exigeait même que les personnes désirant immigrer au Québec aient une bonne connaissance de la langue française avant même de mettre les pieds sur le territoire du Québec.
Toute cette approche de la CAQ et du PQ ont contribué à nourrir la parole xénophobe pour qui l’immigration est présentée comme un danger pour la langue et la culture française, un danger de régression pour les valeurs égalitaires, et particulièrement des rapports égalitaires hommes – femmes comme si la domination patriarcale était dépassée dans la société québécoise ce qui n’est évidemment pas le cas. Poussant le bouchon encore plus loin, la droite nationaliste présentait même l’immigration ( que ce soit les réfugié-e-s ou la migration économique) comme un obstacle de plus dressé sur l’avancée de lutte pour l’indépendance. On hésitait dans cette mouvance à affirmer (voir les articles de Joseph Facal dans le Journal de Montréal) à présenter l’augmentation de l’immigration comme une manœuvre visant à renforcer la base électorale des partis fédéralistes. Pas étonnant que toute cette logique de peur et d’exclusion ait conduit la CAQ et le PQ à rejeter la tenue d’une commission sur le racisme systémique au Québec sous prétexte que cette dernière déboucherait sur une stigmatisation du peuple québécois comme raciste alors qu’il s’agissait essentiellement de définir les formes que prenaient les discriminations pour mieux les combattre. Le PLQ devait céder à cette démagogie xénophobe et abandonner le projet de tenir une telle commission d’enquête.
Combattre les peurs et les idées xénophobes, faire prévaloir les besoins humains et ouvrir les frontières
Dans la situation internationale actuelle, le renforcement des flux migratoires est à l’ordre du jour. Les frontières résisteront de moins en moins à la force de ces derniers. Les tentatives de l’oligarchie régnante de dresser des murs ne font que plonger une partie de plus en plus importante des personnes migrantes dans des situations d’inégalité, de surexploitation et de non-droit. Il faut en finir avec la crispation autour des politiques sécuritaires et démonter le fantasme de l’invasion.
Il faut mettre fin aux blocages, aux arrestations et aux expulsions auxquels font face des milliers de personnes migrantes afin de leur permettre de migrer dans des conditions sûres et dignes.
Pour éviter tous ces maux, il faut ouvrir les frontières et faire prévaloir les droits humains dans les processus de régulation et d’accueil des personnes migrantes : droit de travailler et reconnaissance des acquis, droit de pouvoir recevoir un salaire égal, droit d’acquérir la nationalité, droit de vivre en famille, droit à la sécurité sociale… Non seulement la reconnaissance de ces droits va améliorer la situation des personnes migrantes, mais elle va renforcer la situation de la majorité populaire face aux politiques des classes dominantes. Il faut ouvrir les frontières et réguler l’immigration à partir de constats précis : la migration est une richesse. Les personnes migrantes accueillies dans le pays peuvent produire, payer des impôts et être intégrées dans les circuits économiques. Ces personnes sont un apport au niveau culturel, car elles sont porteuses de diversité qui enrichit la société qui les accueille. C’est en effaçant les frontières qu’on va permettre de mieux accompagner les personnes migrantes et qu’une véritable régulation pourra être instaurée facilitant ainsi une véritable inclusion dans la société d’accueil.
Adopter une telle attitude, c’est faire primer les droits humains sur les besoins du capital et dépasser une immigration conforme aux seuls intérêts des grandes entreprises. Agir ainsi c’est empêcher que se développe une population d’étrangers-ères de l’intérieur du Québec avec toutes les paniques identitaires qui s’y rattachent. Face aux crises qui taraudent la planète et qui provoqueront une accélération des migrations internationales, il faut savoir prendre le problème à bras le corps et le faire dans une perspective radicalement humaniste et anti-impérialiste.
Sources :
Olivier Bonfond, Il faut tuer TINA, There is No Alternative, 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde, Éditions du Cerisier, p. 311, 2017
Xavier Emmanuelli, Accueillons, les migrants ! Ouvrons nos portes, Ouvrons nos coeurs, L’Archipel, 2017
Catherine Wihtol de Wenden, Faut-il ouvrir les frontières ? Presses de Sciences Po, 1999
Nouveaux Cahiers du socialisme, Migrations : stratégies, acteurs
[1] Voir Les fondements de la résonance du discours identitaire dans la société québécoise
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