Le projet d'une fraude extraordinaire
Le 23 juin 2010
Françoise David, Amir Khadir et Félix Dufour-Laperrière
Québec solidaire
Réalisée aux dépens des peuples et des intérêts collectifs, usurpant les biens produits à la sueur de tous les fronts, une fraude ordinaire a lieu à une échelle extraordinaire. Fraudeurs cotés en Bourse, pirates d'affaires et marchands de fausses évidences s'accaparant la portion congrue des espaces de pouvoir et des lieux de décision. Ils disent inévitable la souveraineté du capitalisme financier et soutiennent la stricte continuité politique qui la rend possible.
Capitalisme ordinaire
S'affichent ainsi les foreuses de BP, dans le golfe du Mexique, ou les grues du Plan Nord, dans la toundra québécoise, mirages identiques de richesse au potentiel destructeur. Le mépris avide et la cupidité débridée des Enron, Goldman Sachs, Earl Jones et Vincent Lacroix ont été dévoilés au grand jour. Mais si ceux-là sont maintenant hors d'état de nuire, des milliers d'autres continuent de tirer les ficelles de l'économie de marché.
Les partis au pouvoir et leurs oppositions officielles se contentent d'échanger les bonnets blancs pour officier le même catéchisme : le marché est sacré et nous y sommes condamnés. Mines encombrantes et polluantes, explorations gazières et pétrolières dangereuses dans des terres fertiles, cliniques privées de santé, soutien famélique aux arts qui contraste outrageusement avec les avantages accordés au milieu des affaires. «On n'arrête pas le progrès»... surtout quand il s'agit de celui des amis du pouvoir.
En résulte au Québec, comme ailleurs dans le monde, une «rance odeur de métal et d'intérêts croulants1.» Accurso, PPP et firmes de génie-conseil collent comme des insultes à la réputation de certains détenteurs de portefeuille public. Pour emprunter les mots de Gaston Miron, devant la corruption, nous voyons «notre infériorité» et nous avons «mal en chacun de nous». « Ce n'est pas le sang, ni l'anarchie ou la guerre et pourtant » nous sommes en danger de nous-mêmes, car le cynisme et l'apathie politique nous guettent et pourraient finir par nous corrompre.
Certains ont pu voir dans les récentes allégations de corruption dans l'administration publique un signe d'essoufflement collectif. Cet essoufflement n'est cependant que celui d'une hiérarchie sociale particulière et du système qui la produit. Cet épuisement est celui des élites politiques et
économiques en place.
Les scandales et malversations, la concentration indue de la richesse, la confusion quant aux
orientations prises collectivement, la pauvreté intellectuelle du débat politicien, le désengagement populaire envers les processus électoraux forment une longue liste de doléances. Ce ne sont pas des phénomènes ponctuels ou passagers. Ce sont des conséquences de
l'organisation politique actuelle. Or, si au nom du droit au profit on mine le bien-être de communautés entières, si le clientélisme est devenu un mode de gestion, que l'arrogance des voleurs et de leurs complices s'affiche au grand jour - ce sont là autant de signaux d'alarme que nous sommes tenus d'entendre. Entendre et agir, car rien n'est irréversible.
Agir pour refuser que l'État québécois se réduise au point de rencontre des lobbyistes, groupes de pression et d'intérêts privés. Car il est possible de renouveler notre conception du service public et revaloriser la probité, l'intelligence et le dévouement qu'il implique. Il nous est tout aussi possible de revoir les hiérarchies en place et d'être exigeants envers ceux et celles qui possèdent, qui dirigent, qui décident. De rendre inacceptable que se confondent au sommet de l'État les intérêts publics et privés.
Agir avec énergie et proposer une alternative politique, sociale et culturelle qui établit clairement la préséance du bien commun sur les intérêts particuliers. Alternative qui redonne à l'État le pouvoir d'assurer que ce qui nous est précieux et essentiel ne soit plus bradé au plus offrant. Un État capable de relayer nos ambitions collectives, de les soutenir, les baliser.
Cela constitue, pour les solidaires dont nous sommes, l'essence de notre projet politique : la souveraineté économique, l'indépendance culturelle aussi bien que politique, la pleine maîtrise et le partage de nos richesses collectives, l'éducation accessible à toutes et tous, la santé gratuite et universelle et la protection de l'environnement, maison commune de nos ambitions et de celles du reste de l'humanité.
Oui, tout cela est possible et nous pouvons le faire sans tout ramener au collectif, sans davantage nier l'importance des initiatives individuelles. Mais conscient de ce autour de quoi nous faisons société, nous voulons remettre de l'avant ce qui nous est commun et peut nous permettre de jeter les bases d'un monde plus équitable, plus durable.
Oui, cela est possible et l'optimisme est permis, car nous pouvons compter sur la vitalité de la société québécoise. Et s'il le faut, comme Gatien Lapointe, «nous ferons le projet d'une fraude extraordinaire2 »!
«Une fraude» extraordinaire
En 1956, dans un Québec au seuil de la Révolution tranquille, Gatien Lapointe lance de ce vers lumineux un appel à bousculer l'ordre établi et le conservatisme de l'époque. Quelques mots pour rêver cette fraude rare qui serait un pied-de-nez à l'immobilisme et à la peur de l'inconnu, une fronde joyeuse pour l'avènement d'un espoir, d'un pays. Une piraterie collective, en quelque sorte, qui aurait le don extraordinaire de se réaliser malgré l'opposition des possédants et les diversions des puissants.
Tendre piraterie, car il n'y a de corsaire dans cet appel que l'énergie et la vitalité d'une promesse, que la douce folie du rêve de voir le peuple enfin souverain.
C'est la veille de la fête nationale. En dépit des revers de fortune que lui font vivre les élites au pouvoir, nous sommes vraiment fiers et attachés à ce que le Québec a été et est aujourd'hui. Et avec une ardente patience, gardant au cœur les ambitions collectives que nous n'avons pas encore pleinement réalisées, nous souhaitons que puisse retentir à nouveau l'appel à l'extraordinaire des Miron et Lapointe, le rêve renouvelé d'une société meilleure.
Citations :
1 Gaston Miron, Place Publique dans L'homme rapaillé.
2 Gatien Lapointe, Instant-phénix, 1956, cité par André Brochu, Voix et Images, vol. 12, n° 2, (35) 1987, p. 328.
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