samedi 3 mars 2018

Dans la lutte aux changements climatiques, lobbying et concertation syndicale-patronale ne sont pas à la hauteur des défis posés


Un excellent article de Bernard Rioux à lire.



Dans la lutte aux changements climatiques, lobbying et concertation syndicale-patronale ne sont pas à la hauteur des défis posés 



Mercredi 21 février 2018 / DE : Bernard Rioux

Syndicats, organisations patronales, écologistes, groupes de recherche et représentant-e-s de l’économie sociale [1] ont publié en janvier dernier une étude intitulé : « La transition énergétique et la main-d’oeuvre québécoise qui se donne comme mission de promouvoir des transformations durables sur le plan écologique et social dans les secteurs du transport, du bâtiment et de l’énergie.

La stérilité de cet exercice de concertation syndicale - patronale

En fait, cet exercice de concertation sociale se donne comme objectif d’ anticiper les impacts de la transition énergétique envisagée sur la main-d’oeuvre et les entreprises du Québec à l’horizon 2030 et de promouvoir des transformations du marché du travail sur le plan écologique et social.

L’ensemble de l’exercice débouche sur des pistes d’une stérilité déconcertante. Devant tous les problèmes posés par la transition énergétique, les pistes d’action se résument à développer des programmes de formation initiale et continue ; de favoriser le développement des entreprises et de la technologie dans une économie plurielle qui conjugue et favorise l’interaction constructive du secteur privé, public et de l’économie sociale et, enfin, d’adapter le cadre réglementaire afin d’accroître sa cohérence et son efficacité pour stimuler la transition énergétique…

En fait, ce document sur la transition énergétique et la main-d’oeuvre pose que la transition sera lente et largement bénéfique en termes de création d’emplois. Si les syndicats et les organisations patronales et celles de l’économie sociale collaborent pour encourager la transition énergétique, hormis les secteurs à risque que sont les secteurs du raffinage et les distributeurs pétroliers, l’électrification des transports, la rénovation des bâtiments dans une optique d’économie d’énergie et les innovations dans le secteur de la transformation et de la distribution d’énergie déboucheront sur la création d’emplois.

En somme, où est le problème ? Tout baigne « dans l’huile » pour ces défenseurs de l’économie verte. Mais, les vrais débats sont balayés sous le tapis. La transition dans les secteurs des transports passe-t-elle par l’ajout de voitures électriques individuelles et par la mise en place d’infrastructures de soutien à cette électrification massive ? L’utilisation du gaz naturel promue par la politique gouvernementale n’est-elle pas la promotion d’une énergie fossile ? La poursuite de croissance dans un contexte de concurrence et la lutte pour l’exportation sur les marchés internationaux ne va-t-elle pas à l’encontre d’une véritable transition ? Qu’est-ce qui doit être fait concrètement pour rejoindre les cibles fixées par le GIEC qui sont nécessaires pour éviter des problèmes climatiques majeurs ? De tout cela, il n’en est même pas question. En fait, le déni des problèmes est omniprésent.

On nous dira qu’on n’ignore pas la fabrication et l’assemblage de transport collectif, la construction d’autobus, de métros et de trains et on se réjouit de l’impact positif de cette perspective en termes de création d’emplois. Mais le texte laisse complètement dans l’ombre la nécessaire sortie de l’utilisation des autosolos. Il ne pose en aucune manière la nécessité d’un plan de transition effectif de passage à l’utilisation massive du transport collectif et la nécessité d’une planification écologique efficace qui ne peut être basée que sur la socialisation des entreprises de fabrication des moyens de transports collectifs électrifiés et la reprise en main tant du transport dans les grandes villes que du transport interrégional. Le document ne pose aucune perspective d’une sortie réelle du pétrole.

Des conclusions qui ignorent superbement les choix du gouvernement Couillard

Les choix gouvernementaux sont superbement ignorés par le groupe de travail et cela d’autant plus facilement que le gouvernement prétend se donner des cibles ambitieuses [2] Agir sur les habitudes, faire la promotion, soutenir la décarbonisation, les moyens proposés ne sont pas à la hauteur de ces objectifs et les moyens d’y parvenir ne sont pas clairement identifiés. Plus graves, plus les intentions sont concrètement définies, moins les moyens proposés vont dans le sens d’une véritable transition énergétique.

Dans son document sur la politique énergétique [3], le gouvernement affirme vouloir améliorer l’offre de transport collectif, collaboratif et actif, mais il ne dépasse guère les promesses d’encouragement. Il veut bien « accompagner les ménages et les entreprises qui feront le choix d’acquérir un véhicule neuf électrique ou à faible empreinte de carbone, y compris les véhicules à hydrogène, mais il n’explique pas en quoi ces mesures peuvent réduire le parc automobile du Québec en forte croissance ou permettre d’en finir avec l’étalement urbain et la congestion qui découleront. Mais pour ce qui est de soutenir le droit à l’exploitation pétrolière et gazière, la loi 106 montre clairement où crèche le gouvernement.

La construction de nouvelles infrastructures permettant de sortir du sol des énergies fossiles s’inscrit pour le gouvernement, dans une politique de transition énergétique. Cherchez l’erreur. Quand il s’agit de soutenir le développement d’un mix énergétique, la politique du gouvernement Couillard se fait plus concrète. Il se propose de « mettre en place un projet pilote de stations multicarburants (essence, biocarburant, gaz naturel, propane, électricité, hydrogène) et de l’étendre à l’échelle du Québec d’ici 2030. » [4]. Et quand, il s’agit de soutenir l’utilisation du gaz naturel, ses intentions sont claires et précises. Le gouvernement veut « soutenir l’objectif de Gaz Métro d’augmenter de 15 % la flotte de véhicules lourds propulsés au GNL et au GNC d’ici 2030. Pour assurer leur approvisionnement le gouvernement travaillera de concert avec Gaz Métro afin d’évaluer la possibilité d’étendre l’axe nord-sud la Route Bleue, un réseau de stations de ravitaillement en GNL pour les véhicules lourds qui assurerait une couverture complète du Québec. » [5] D’ailleurs, les objectifs de Gaz Métro (d’Énergir) sont clairs au niveau de la lutte à l’électrification des moyens de transports individuels et collectifs. [6] Dans son mémoire, Énergir – Gaz Métro explicite sa volonté de rendre admissible au soutien gouvernemental les solutions à gaz naturel pour les autos et les autobus. Toyota rentre aussi dans la danse par ses démarches auprès du gouvernement Couillard pour le soutien au développement de la filière des autos à l’hydrogène.

Défenseurs des intérêts capitalistes, le gouvernement Couillard n’est pas seulement ouvert à l’exploitation du pétrole et du gaz en territoire québécois au mépris de la protection de notre environnement, il est également un promoteur du gaz naturel comme énergie propre au mépris de toutes les analyses scientifiques qui rejettent cette prétention. En fait ce que nous propose la politique énergétique du gouvernement, c’est de diversifier le mix énergétique, qui fera du Québec une société marquée par une consommation énergétique encore plus importante. Sans parler des bourses du carbone et du trafic des droits à polluer qui s’est avéré jusqu’à maintenant tout à fait inefficaces comme moyens de lutte aux changements climatiques

Comme le démontre, la politique du gouvernement Couillard, la prétendue décarbonisation de l’économie dans un contexte de recherche de croissance, conduit à la soumission de la transition à la logique de l’accumulation du capital toujours à la recherche de nouvelles sources de profit et de croissance.

Un tournant radical est nécessaire

Les chercheurs de l’IRIS, Renaud Gignac et Bertrand Schepper [7] proposent un objectif de réduction « de 53 % de gaz à effet d’ici 2030 et de 88 % d’ici 2050 si on vise le seul 2 °C. » Pour y parvenir, il faudrait laisser l’énergie fossile dans le sol ; assurer la diminution rapide des émissions de GES et identifier les conditions pour ce faire ; rejeter la captation du carbone et les mésaventures de géoingénérie et en finir avec toute subvention aux énergies fossiles et procéder à un désinvestissement massif conduisant à l’abandon rapide de la production d’énergies fossiles qui est aujourd’hui le fondement de notre l’économie.

Ces objectifs nécessitent une démarche radicalement démocratique, car les problèmes environnementaux nécessitent des réponses collectives qui débouchent sur la reconversion de l’appareil de production à partir d’une planification démocratique et écologique des grands choix économiques.

Pour que cette planification écologique puisse être possible, il faut que les secteurs de l’énergie et des transports et de la finance soient complètement déprivatisés. C’est la seule façon d’aller vers l’abandon de l’automobile privée et de développer le transport collectif des personnes et des marchandises : métro, rails, cabotage et de réorganiser l’ensemble de ces secteurs en rupture avec leurs soumissions aux énergies fossiles.

Les travailleurs et les travailleuses savent bien que la lutte aux changements climatiques requiert des transformations majeures de l’économie québécoise, aujourd’hui aux mains des capitalistes d’ici et des multinationales. Ils savent bien que la bataille pour les changements climatiques nécessitera de s’appuyer sur l’action de masse des organisations syndicales, populaires, féministes et autochtones pour imposer les solutions qui pourront réellement contrer les changements climatiques. Se contenter du lobbying militant comme nous le propose le groupe de travail sur « La transition énergétique et la main-d’oeuvre québécoise », c’est se contenter d’offrir sa collaboration aux gouvernements et aux entreprises voués à la défense de ce système capitaliste qui portent en son sein des catastrophes imminentes et c’est donc rester en deçà des nécessités de ce combat vital.

[1] Les membres du Groupe de travail qui ont participé a l’élaboration du document sont : la CSN, la Chaire de gestion du secteur de l’énergie (HEC Montréal), Équiterre, Fondaction, le Conseil du patronat du Québec, le Regroupement régional des conseils régionaux de l’environnement, le Chantier de l’économie sociale, Coefficience, le Comité sectoriel de la main-d’oeuvre de l’économie sociale, le Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable, le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services, et Copticom- stratégie et relations publiques

[2] D’ici à 2030, le gouvernement se donne des cibles ambitieuses et exigeantes : 1. Améliorer de 15 % l’efficacité avec laquelle l’énergie est utilisée ; 2. réduire de 40 % la quantité de produits pétroliers consommés ; 3. Éliminer l’utilisation du charbon thermique ; 4. Augmenter de 25 % la production d’énergies renouvelables ; 5. Augmenter de 50 % la production de bioénergie. Gouvernement du Québec, L’Énergie des Québécois, source de croissance

[3] Gouvernement du Québec, L’énergie des Québécois, source de croissance

[4] (Ibid)

[5] Ibid.

[6] Consultations sur le développement du plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétique 2018-2023 préparé par transition énergétique Québec, Mémoire D’Énergir

[7] voir Transition, in Cinq chantiers pour changer le Québec, Écosociété, 2016

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