Parlons d’illusion avec Francis Lagacé
L'illusion responsable
8 mars 2019
On nous chante sans cesse qu'il faut se responsabiliser si on veut sauver la planète, comme si les individus sans cesse bombardés par l'hégémonie culturelle les obligeant à consommer toujours plus en des termes toujours plus courts avaient le choix de leur mode de vie quand tout un chacun est évalué en terme de possessions et de dépense, quand les banques vous exhortent à utiliser le plus de crédit possible pour vous accuser ensuite de n'être pas raisonnable dans votre budget. Quand la seule façon d'exister aux yeux de l'œil hégémonique est de consommer.
On vient de découvrir tout à coup qu'on dépense beaucoup trop d'argent dans les vêtements et que les dépenses dans ce secteur sont bien plus élevées qu'autrefois. Et les curés de la consommation responsable de nous enjoindre : « Avant de vous acheter des vêtements, regardez ce que vous avez dans votre garde-robe ! » Comme si les bourgeois se posaient ces questions ! Comme si c'était monsieur et madame Panet de la rue Panet qui avaient inventé l'effet de mode.
De la même manière qu'on a prétendu responsabiliser les pauvres avec la proposition de modulation des tarifs d'Hydro-Québec (et la réponse stupide d'Hydro-Québec à l'effet que les gens ont le choix n'a aucune valeur puisque, justement, ce choix n'existe que pour les mieux nantis), on prétend reporter sur les épaules des consommateurs démunis enchaînés à leurs besoins nécessaires de base (logement, chauffage, nourriture, vêtement) le fardeau de protéger l'environnement que les minières, l'industrie agro-alimentaire, les pétrolières et autres producteurs se plaisent à défuntiser allègrement.
Encore une fois, ce sont les méchants pauvres qui s'habillent chez Winners qui sont responsables du gaspillage orchestré par les ploutocrates du vêtement. Les pauvres s'habillent chez Walmart, Costco et Winners parce que leurs salaires sont toujours plus bas et que ces bannières se vantent d'avoir les prix les plus bas. Et comme elles vendent des cochonneries qui sont complètement déglinguées après trois mois, ben les pauvres y retournent de plus en plus souvent. Après, on les accuse d'être responsables du gaspillage auquel ils sont obligés.
Si on est de classe inférieure ou moyenne inférieure, non seulement on est totalement absent des médias sur lesquels on n'a absolument rien à dire, mais en plus on est responsable de tous les maux de la planète !
Les pseudo-écolos verts et autres capitalistes déguisés sont passés maîtres dans l'art de culpabiliser les individus pour les catastrophes causées par le système capitaliste. Même si tout le monde se mettait à recycler demain matin et même si tout le monde se mettait à composter demain matin, ce qui n'est guère possible, la planète serait autant en danger qu'aujourd'hui. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas recycler ni composter, cela signifie simplement que les actions individuelles ne suffiront jamais à compenser les effets d'un système de production basé sur la destruction, la prédation et la consommation à outrance. Les bourgeois excellent dans l'art de rendre les pauvres responsables de leur gabegie. Pas parce qu'ils sont plus méchants que la moyenne des ours, mais parce qu'ils sont les rouages d'un système dont ils sont incapables d'imaginer le dépassement.
Que tout le monde composte et recycle ne mettra pas fin à l'obsolescence programmée, ne mettra pas fin à l'utilisation du glyphosate et autres pesticides dans l'agriculture, ne mettra pas fin au sur-emballage, à l'abondance excessive de sucre dans les aliments, à l'utilisation de l'huile de palme dans les produits transformés et donc à la destruction des forêts, à la publicité pour les automobiles consommatrices de pétrole, à la vente sous pression des VUS, à la généralisation des concours, lesquels surstimulent la consommation et produisent l'effet de mode, à l'extraction minière des terres rares nécessaires pour la production des téléphones et tablettes stupides présentées comme intelligentes, au tourisme destructeur dans les habitats fragiles, à l'utilisation des hydrocarbures, à la surpêche des ressources halieutiques, à la compétitivité entre les États pour attirer les entreprises les plus polluantes et les plus destructrices, à l'utilisation des plastiques dans toutes les productions, à la surexploitation des sources d'eau, etc. La liste est infinie.
Aucune mesure individuelle ne remplacera des lois et règlements gouvernementaux qui obligeront les industries à restituer l'environnement dans son état premier et à inclure ces coûts dans le coûts fixes d'opération. Aucune mesure individuelle ne remplacera la transformation des processus de production en processus respectueux de l'environnement et l'obligation de la production agricole écosociale. Rien de tout cela ne peut se faire sans intervention étatique. Et cela exige une pression sociale importante. Contrairement à ce que prétendent les fondations philanthrocapitalistes, il n'est pas toujours vrai que tout seul ça va plus vite et qu'ensemble on va plus loin, il arrive qu'ensemble, on aille mauditement plus vite parce que la responsabilité individuelle ne sera jamais aussi efficace que des obligations législatives. Il faut savoir penser collectif et systémique.
Francis Lagacé
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