Parlons de dépression avec Francis
La dépression : un problème social
10 décembre 2019
On a diffusé le 8 décembre 2019 un fort intéressant programme des Années lumières, le magazine radio scientifique de la première chaîne de Radio-Canada. En deuxième partie de l'émission, un Bar des sciences en collaboration avec le magazine Québec Science qui portait sur la dépression. On pourra écouter l'émission en cliquant sur ce lien Bar des sciences sur la dépression.
Cette heure de discussion a permis de réfléchir aux causes (sociales, biologiques et psychologiques) et aux traitements (médicamenteux, psychologiques et comportementaux).
On a fait des études sur la prévalence selon le sexe et l'on trouve d'après les modèles animaux que le genre féminin y serait plus sujet. Toutefois, on n'a pas fait le lien entre les causes sociales et la prévalence chez les femmes. La question de départ était la suivante : « Est-ce une question de biologie ou de psychologie ? »
Heureusement, grâce à la question d'un des auditeurs présents, on ajouté la question sociale. Malheureusement, dans la réponse, on s'est contenté d'une définition très simple du social, soit l'interaction entre les personnes. Limiter le social à l'interaction entre les personnes, c'est comme vouloir comprendre le comportement de la mer en s'intéressant à l'étude des relations entre les gouttes d'eau.
Et dans les solutions, on a concentré l'attention sur l'intervention au sens de « socialiser » et d'avoir des rapports avec les autres, mais pas sur la répression du harcèlement ni sur l'humanisation du travail.
L'éléphant dans la pièce n'a jamais été abordé : la relation entre l'emploi et la dépression. Le travail rend malade ; les congés de maladie pour cause de dépression sont légion et les médecins posent le diagnostic de « trouble d'adaptation », ce qui renvoie la travailleuse et le travailleur à sa responsabilité individuelle. Pourtant, si le travail rend malade, c'est le travail qu'il faut changer. La gestion autoritaire, l'organisation du travail en flux tendu, la surveillance des moindres ralentissements, tout cela crée une atmosphère délétère et entraîne une compétition malsaine entre les employé·es.
Quand on dit à quelqu'un de changer de travail s'il ne se sent pas heureux, ça n'est pas toujours possible. Par ailleurs, on peut constater que certains emplois sont désertés dans des domaines comme l'enseignement et les soins de santé.
Tout au long de l'émission, on a proposé nombre de mesures très agréables : réduire le stress, faire du yoga, prendre du temps pour soi, écouter de la musique, se balader dans un parc, méditer, prendre des médicaments, tout ça est bien beau.
Toutefois, certaines personnes n'ont juste pas la possibilité de faire ces choses quand elles ont trois emplois précaires et mal payés, qu'elles ont des dettes et des enfants dont elles doivent s'occuper. La résilience est une belle chose, mais elle ne peut pas être la solution à un problème qui est facilement identifiable : l'inhumanité des processus de gestion.
Il existe même une application qu'on peut ajouter à son téléphone et qui suit le ton et le rythme de votre voix. Quand elle détecte les patterns propres à la parole d'une personne déprimée, elle envoie un message à une personne ressource. C'est très bien si c'est vous qui l'avez installée et si la personne ressource est quelqu'un que vous avez choisi et en qui vous avez confiance. Mais imaginez si c'est l'employeur qui en fait la promotion et qui décide ainsi de surveiller ses employé·es !
Ce traitement individualiste ou micro-social de la question illustre fort bien l'hégémonie culturelle selon laquelle c'est l'individu qui pose problème, mais pas le contexte. On fait comme si l'environnement de travail pouvait être choisi par la personne, comme s'il n'était pas imposé par les structures industrielles et managériales. Quand on évoque l'importance de l'environnement, insécurité alimentaire, pauvreté, etc., on nous ramène à des solutions individuelles : « Trouvez à quoi vous raccrocher ». Une personne déprimée ne peut pas trouver par elle-même les moyens de se raccrocher à quelque chose. C'est son entourage qui doit s'en occuper.
D'ailleurs, à la fin, une intervenante souligne que les personnes dépressives ne peuvent pas trouver elles-mêmes la force de chercher de l'aide. Pourtant, personne ne fournit de moyen de remédier à cette situation et on n'indique pas à l'entourage comment procéder pour atteindre un proche déprimé. Pour tout ce qui concerne la prévention, on a absolument mis de côté la lutte à la pauvreté et l'amélioration des conditions de travail.
L'intervention préventive doit être plus large et plus systémique. Il faut des publicités sociétales pour aider l'entourage à détecter les signes de dépression chez les proches. Il faut des approches progressives et compréhensives pour aider les personnes qui en souffrent. Mais ce qu'il faut surtout, c'est des programmes de prévention du harcèlement à grande échelle, des formations pour apprendre à respecter les limites des employé·es et une transformation du monde du travail.
On doit adapter le travail à celleux qui le pratiquent et non l'inverse. Ça veut dire, entre autres, des comités d'employé·es qui peuvent intervenir de manière décisive sur la gestion du travail. Pour caricaturer les mesures de prévention, j'aimerais suggérer que le syndicalisme de combat, qui vise à améliorer tant la société que les milieux de travail, est un bon outil de prévention de la dépression.
Une gestion humaine autrement qu'en paroles ferait diminuer grandement le taux de dépression. La réduction de la pénibilité du travail permet de diminuer la détresse. Quand les gens ont une prise sur leur destin, ils sont moins dépressifs. Mais tout ça était déjà dans La société malade de la gestion de Vincent de Gaulejac, paru il y a bientôt 15 ans, et il est fort étonnant, ou au contraire très symptomatique, que personne n'y ait fait référence.
Francis Lagacé
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