Laissons la parole à Francis
17 août 2022
L’annonce récente du passage de l’analyste politique Martine Biron de l’emploi de notre radio publique à candidate de la Coalition avenir Québec (CAQ) est une excellente illustration de la force de l’hégémonie culturelle néolibérale.
Comment une personne qui est chargée d’informer la population de manière rigoureuse sur les enjeux politiques peut-elle se présenter pour un parti antisyndical, inerte en matière d’environnement, soumis aux diktats de la pensée économiste, pour qui « permettre de faire de l’argent » est le maître-mot de toute décision, qui nie le racisme systémique, qui ne comprend de la crise du logement que son aspect ajustement de l’offre à la demande, qui se méfie de l’immigration, qui défend une catholaïcité tournée contre les femmes musulmanes, qui mine le secteur public pour l’accuser ensuite d’être inefficace, sinon parce qu’elle est convaincue de la naturalisation de ces positions et qu’elle n’en voit pas le caractère idéologique affairiste ?
Il est d’ailleurs frappant que les publicités pré-électorales de la CAQ disent textuellement que le parti de François Legault, où l’on pratique le culte du « cheuf », exactement comme autrefois dans l’Union nationale de Maurice Duplessis, n’est pas un parti idéologique, c’est-à-dire le discours d’un parti néolibéral qui se défend bien d’être néolibéral.
À cet égard, il y a beaucoup de points communs entre le pseudo-parti de centre qu’est la CAQ (autrement dit un parti de droite qui se cache) et les divers avatars (En Marche arrière, Ensemble contre tous, Renuisance et autres appellations toutes plus antithétiques les unes que les autres) du pseudo-mouvement de centre du Petit Caporal en polléon français :
— négation du caractère profondément idéologique des pratiques néolibérales ;
— valorisation délirante du privé au détriment du public ;
— antisyndicalisme primaire ;
— gourouisation du chef ;
— psychologisation des problèmes sociaux ;
— collection de candidats affairistes ;
— utilisation de la novlangue ;
— ministres chargés de faciliter la dérogation aux règles environnementales et éthiques ;
— individualisme effréné ;
— préférence pour les primes et les chèques cadeaux qui ne servent qu’une fois plutôt que de bloquer les prix ou d’augmenter les salaires ;
— formation accélérée de type commercial aux futur·e·s enseignant·e·s ;
— mépris de la population tout en flattant la compétition de tous contre chacun ;
— instrumentalisation des immigrants ;
— islamophobie ;
— etc.
L’illusion centriste fonctionne toujours de la même façon : on fait des promesses à gauche et à droite pour ratisser large dans le bassin électoral, puis une fois élu on ne tient que les promesses de droite. La recette est aussi vieille que le monde, mais elle continue à berner les naïfs et naïves de toutes les couleurs ainsi que les volontairement aveugles.
Entre l’usage de la novlangue et la pratique férocement mercantiliste de la politique, tout ce bataillon d’amateurs pressés de se jeter sur l’assiette au beurre ne doute pas un instant de son bon droit, parce que comme le chantait ABBA The Winner Takes It All. Cette conception de la politique comme un jeu où, si les dés roulent pour nous, on n’a de compte à rendre à personne relève de la pensée néolibérale selon laquelle s’enrichir individuellement est le seul but de la vie peu importe les dégâts à l’environnement ou encore aux classes sociales défavorisées.
Les poncifs néolibéraux sont tellement ancrés dans la culture ambiante qu’ils sont, comme je le disais plus haut, naturalisés, c’est-à-dire considérés comme des données de base et non comme le résultat d’une structure de pouvoir. C’est ainsi que dans les médias on ne se demande jamais pourquoi les négociations entre employeurs et syndiqué·e·s traînent. Tout le monde croit naïvement que les patrons font vivre leurs employé·e·s alors que c’est exactement l’inverse. On présente toujours la grève comme quelque chose d’horrible alors que c’est un moyen légal de pression qui fait suite à l’inaction ou aux actions nuisibles du patron.
Quand les dirigeants d’une entreprise décrètent un lock-out, les médias ne présentent pas l’affaire comme un coup contre les employé·e·s, mais quand les syndiqué·e·s annoncent une grève, on parle de « menace » et, si la grève est déclenchée, on parle de « prise d’otages ». La grève n’est pas une menace, c’est un droit chèrement acquis. C’est encore moins une prise d’otages puisque personne n’est retenu, attaché ni menacé. Il ne viendrait à personne l’idée de qualifier le lock-out de barrage destiné à affamer les employé·e·s et, pourtant, il s’agit de priver légalement les syndiqué·e·s de leur gagne-pain.
Si les médias jetaient un éclairage plus cru sur cette disparité dans la façon de concevoir les rapports sociaux, l’hégémonie pourrait commencer à changer. Entre temps, des personnes dont le rôle était pourtant de montrer la réalité joignent une équipe qui travaille contre le bien-être général sans état d’âme puisque ça signifie une amélioration individuelle temporaire de pouvoir ou de richesse pour elles ou pour celles qui leur ressemblent.
Et si des anciens représentants syndicaux se sont joints à l’équipe depuis, c’est exactement le même phénomène qui est à l’œuvre : des personnes dont le rôle était pourtant de défendre l’égalité joignent une équipe qui travaille contre cette égalité sans état d’âme parce qu’on a affaire à des individus qui, confondant le collectif et le social (sujet que j’ai déjà expliqué dans le billet du 26 avril 2022), n’utilisent le poids collectif que pour l’amélioration de leur sort individuel comme l’hégémonie ne cesse de le leur souffler à l’oreille.
Francis Lagacé
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