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MES ARCHIVES QUE JE PARTAGE AVEC VOUS
LE TESTAMENT DE CHEVALIER DE LORIMIER
14 février 1839 11 heures PM
Le public et mes amis en particulier attendent peut-être une déclaration sincère de mes sentiments. À l’heure fatale qui doit nous séparer de terre, les opinions sont toujours regardées et reçues avec plus d’impartialité. L’homme chrétien se dépouille en ce moment du voile qui a obscurci beaucoup de ses actions pour se laisser voir en plein jour.
L’intérêt et les passions expirent avec son âme. Pour ma part, à la veille de rendre mon esprit à son créateur, je désire faire connaître ce que je ressens et ce que je pense. Je ne prendrais pas ce parti si je ne craignais qu’on ne représentât mes sentiments sous un faux jour. On sait que le mort ne parle plus et la même raison d’État qui me fait expier sur l’échafaud ma conduite politique pourrait bien forger des contes à mon sujet. J’ai le temps et le désir de prévenir de telles fabrications et je le fais d’une manière vraie et solennelle, à mon heure dernière, non pas sur l’échafaud environné d’une foule insatiable de sang et stupide, mais dans le silence et les réflexions du cachot.
Je meurs sans remords. Je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance. Mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun (des) crimes qui déshonorent l’humanité et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence des passions déchaînées.
Depuis 17 à 18 ans j’ai pris une part active dans presque toutes les mesures populaires, et toujours avec convictions et sincérités. Mes efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes. Nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà décimé plusieurs de mes collaborateurs. Beaucoup gémissent dans les fers, un plus grand nombre sur la terre de l’exil, avec leurs propriétés détruites et leurs familles abandonnées sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien. Malgré tant d’infortune, mon coeur entretient encore son courage et des espérances pour l’avenir. Mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres. Un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent.
Voilà ce qui me remplit de joie lorsque tout est désolation et douleur autour de moi. Les plaies de mon pays se cicatriseront. Après les malheurs de l’anarchie d’une révolution sanglante, le paisible Canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent. Tout concourt à ce but ; les exécutions même. Le sang et les larmes versés sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué des deux étoiles des Canadas.
Je laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir de mes malheurs. Pauvres orphelins ; c’est vous que je plains. C’est vous que la main sanglante et arbitraire de la loi martiale frappe par ma mort. Vous n’aurez pas connu les douceurs et les avantages d’embrasser votre père aux jours d’allégresse, aux jours de fête. Quand votre raison vous permettra de réfléchir, vous verrez votre père qui a expié sur le gibet des actions qui ont immortalisé d’autres hommes plus heureux. Le crime de votre père est dans l’irréussite. Si le succès eût accompagné ses tentatives, on eût honoré ses actions d’une mention respectable. "Le crime fait la honte et non pas l’échafaud." Des hommes d’un mérite supérieur au mien m’ont déjà battu la triste carrière qui me reste à courir de la prison obscure au gibet. Pauvres enfants ! Vous n’aurez plus qu’une mère tendre et désolée pour soutien (et) si ma mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence, demandez quelques fois en mon nom, je ne fus pas insensible aux malheurs de l’infortune.
Quant à vous mes compatriotes ! Puisse mon exécution et celle de mes compagnons d’échafaud vous être utiles. Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du gouvernement anglais. Je n’ai plus que quelques heures à vivre, mais j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes devoirs religieux et ceux à mes compatriotes. Pour eux, je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants, de mon épouse, sans autre appui que mon industrie et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la Liberté, Vive l’indépendance.
Chevalier de Lorimier
Lettre conservée aux Archives nationales du Québec à Québec, série des Événements. Cette lettre est considérée comme le testament politique de Chevalier de Lorimier.
Montréal, Prison-Neuve, 15 février 1839, 5 heures a.m.
Lette à une amie
Lettre écrite par de Lorimier, le jour de son exécution, à une dame qui lui avait demandé d’écrire dans son album quelques lignes qu’elle garderait comme souvenir.
Vous voulez, madame, que j’écrive un mot dans votre album. Que puis-je écrire, je vous le demande ? Vais-je abandonner mon âme à des sentiments de regret, à de tristes pensées ? Vous diriez que ces sentiments ne sont pas dignes d’un homme qui meurt pour la liberté de son pays. Vous dirai-je, pour vous attendrir, tout ce que j’ai souffert dans mon cachot depuis que je suis tombé dans les mains de mes cruels ennemis ?
Ce serait, comme je viens de le dire, peu digne de la position que j’occupe devant le monde. Vous m’avez visité dans ces noirs cachots où les rayons du soleil sont inconnus aux pauvres victimes de la tyrannie anglaise. Il n’est pas nécessaire de parler ni d’écrire, pour faire comprendre l’état le plus misérable auquel la nature humaine puisse être réduite.
Vous dirai-je tout le respect que j’ai pour vous, quand vous en avez eu tant de preuves ? Cependant ce serait honteux de ma part de ne pas me rendre à vos désirs. Permettez-moi alors, madame, de vous demander une faveur, c’est de garder une place pour moi dans vos pensées, après que l’heure terrible du sacrifice sera passée. Quand je serai parti, vous vivrez encore.
Dans quatre heures, je mourrai sur l’échafaud érigé par les ennemis de notre chère patrie. Oh ! quels mots enchanteurs je viens de prononcer ! — " Ma patrie ! " ma patrie ! à toi j’offre mon sang comme le plus grand et le dernier des sacrifices que je puisse faire pour te délivrer du joug odieux de tes traîtres ennemis. Puisse le Tout-Puissant agréer mon sanglant sacrifice ! Vous verrez des jours meilleurs.
Cette conviction intime et l’espoir que vous, madame, votre mari et tous mes amis, penserez quelquefois à moi, quand je ne serai plus, seront pour moi une source de consolation et de force dans les dernières tortures de l’agonie. La grande cause pour laquelle je suis à la veille de souffrir, triomphera.
Adieu, madame ! Soyez heureuse ainsi que votre mari, vous le méritez tous deux. C’est le voeu d’un homme qui dans quelques heures aura sacrifié sa vie au salut de sa malheureuse patrie et à la liberté qu’il préfère à la vie. Je vous dis encore une fois adieu, madame.
Votre malheureux mais sincère ami,
CHEVALIER DE LORIMIER.
Source : Les Patriotes 1837-1838 de Laurent Oliver David, P 284, 285, J Frenette Éditeur Inc. 1981.
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