Parlons des victimes d’agressions sexuelles avec Francis Lagacé
23 janvier 2021
Il y a quelque chose de profondément décourageant à constater les acquittements successifs de Gilbert Rozon et d’Éric Salvail en décembre dernier dans des causes d’agressions sexuelles.
On se rappelle que de nombreuses personnes les accusaient, mais que le ministère public avait sélectionné les causes spécifiquement, nous disait-on, selon les chances de succès. Or, il s’avère que, dans les deux cas, on a choisi des événements parmi les plus anciens dont le rapport était nécessairement sujet aux trous que le temps ne manque pas de creuser dans ce genre de souvenirs, d’autant plus que ce sont des expériences traumatiques déjà par nature plus susceptibles d’affecter la mémoire. À quoi sert donc la sélection d’une cause parmi tant et tant si le fait de l’écarter par acquittement a comme conséquence d’en effacer des dizaines d’autres ?
Les agressions sexuelles sont des crimes qui se commettent généralement sans témoin. Leur condamnation par une cour est donc peu vraisemblable dans la mesure où les règles de la preuve exigent que la culpabilité de l’accusé soit démontrée hors de tout doute raisonnable.
Loin d’être une preuve de l’atteignabilité de la justice, le célèbre et infiniment malheureux cas de Nathalie Simard est au contraire une démonstration éclatante de la quasi-impossibilité de faire accuser et condamner un agresseur, même lorsqu’il a poursuivi ses agressions sur de nombreuses années.
Rappelons que cette femme admirable, courageuse, patiente et entêtée a dû subir l’enfer pendant des décennies. Après toutes ces années de souffrance aux mains du même bourreau, elle a, avec l’aide de la police, réussi à enregistrer une conversation avec le coupable, parce qu’il n’avait pas cessé ses crimes, avant d’en venir à des accusations. Combien de personnes pourraient en supporter autant ? Et ne peut-on coincer les criminels qu’après un si long calvaire ?
Tous ces processus ne donnent pas le goût de déposer des plaintes. D’ailleurs, il faut bien le comprendre, le système judiciaire ne vise pas à rendre la justice, mais à porter des jugements de conformité à l’égard de certaines règles et procédures.
Une vraie justice pour les victimes passerait probablement par un espace d’expression où la véracité de leur expérience n’est pas constamment mise en doute.
Il serait intéressant de consulter toutes les victimes de ce genre d’agression pour connaître les processus qui leur ont fait du bien et leur ont permis de sentir qu’elles avaient repris leur dignité. Il conviendrait d’étudier les cas où des agresseurs ont été confrontés à leurs crimes et ont reconnu leurs gestes et leur culpabilité. On découvrirait quels sont les mécanismes qui peuvent les amener à se remettre en question et à sortir du déni en évacuant leur sentiment de toute-puissance.
Il est clair par ailleurs que certains agresseurs ne peuvent pas s’extirper de leur narcissisme pervers et qu’il n’y a rien à en attendre. On doit par contre leur faire savoir que nous ne sommes pas dupes.
Je connais des victimes de viol et d’abus qui ont abandonné tout espoir de justice. L’absence de témoins, la puante solidarité de celles et ceux qui n’ont pas intérêt à voir craqueler l’image illusoire d’une famille unie ou d’un patron généreux, la tendance naturelle du groupe à se ranger du côté du harceleur tout-puissant, l’impossibilité de correspondre aux règles et procédures préétablies les ont convaincues que l’abus exercé sans preuve et sans témoin reste impuni.
Hélas, la peur n’a pas encore changé de camp… pas encore.
Francis Lagacé
«»-----------------------«»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire