Laissons la parole à Francis
8 juillet 2021
En chinant chez un brocanteur de ma connaissance, j’ai avisé un petit secrétaire qu’il m’a bradé pour à peine plus qu’une bouchée de pain, car deux de ses tiroirs étaient fermement coincés. En travaillant à les débloquer, j’ai trouvé une sorte de cahier collé sous le fond du premier tiroir.
Le papier du cahier était épais comme on en trouvait dans les tablettes d’écriture semblables à celles que mon père utilisait pour les rares lettres officielles. Je me rappelle, la première page était un buvard. On y écrivait avec ce qu’on appelait une plume fontaine. Sur la page du dessus était dessinée une marquise vautrée dans un fauteuil luxueux surmontée d’un phylactère dans lequel était écrit en lettres fioriturées Au temps de jadis.
Dans le cahier, j’ai découvert ce petit conte anonyme, que je vous livre ici tel quel :
Il était une fois un petit garçon qu’on appelait Polléon le fanfaron.
Tout jeune, le petit Polléon apprit ce que mentir signifiait. À la différence de Pinocchio, il n’en subissait aucune conséquence physique fâcheuse. Au contraire, il en tirait toujours plus de profit.
Il comprit que mentir à ceux qu’on méprise permet de les écarter du chemin, comme mentir pour leur faire plaisir à ceux qui ont du pouvoir et de l’argent permet d’en avoir soi-même comme de récolter la poudre d’or qu’ils sèment parcimonieusement derrière eux. L’important est de ne pas désobéir aux puissants, juste leur raconter ce qu’ils veulent entendre et faire ce qu’ils disent. Quant aux gueux, on peut les piétiner tant qu’on veut quand on peut disposer de la brigade bastonnière offerte par les maîtres.
À l’école, Polléon mentit à la maîtresse pour en devenir le chouchou. La maîtresse ne fut que la première à découvrir les ficelles qui permettaient de manipuler le manipulateur. Lui n’avait qu’à chanter ses louanges pour lui plaire.
Polléon, qui mentait beaucoup, s’attendait à ce qu’on fît comme lui, qu’on lui mente et qu’on lui obéisse. Ses yeux se révulsait quand on lui disait la vérité et il piquait des crises interminables si on ne riait pas à ses pitreries grotesques qu’il croyait spirituelles.
Le saltimbanque ennuyeux était par ailleurs d’une profonde inculture, caractéristique qu’il admirait avant tout chez son lointain cousin le trumpettiste logé autrefois dans une toute blanche maison. Mais, comme il ne pouvait s’empêcher de mentir, au lieu d’afficher son ignorance, il la maquillait sous des citations absconses, incongrues, hors de propos ou carrément inventées de la même façon qu’il maquillait sa face ravagée par les névroses. Ses rares lectures étaient malsaines et pestilentielles : Pétain, Maurras, Evola...
La petite école du village ne suffisant plus au couple étrange formé par Polléon et sa préceptrice, ils furent adoptés par un châtelain de Versailles qui les combla des présents les plus précieux. Polléon était pourri de gâteries et recevait comme naturelles les offrandes extorquées aux classes laborieuses dont les exploiteurs le couvraient.
Il a fini par se convaincre, à force de mentir, que ses habits brodés d’or avaient été mérités par le travail important qu’il faisait, c’est-à-dire étourdir les auditoires avec un babillage assourdissant. Polléon en avait conclu que les pauvres étaient tous des voleurs qui cherchaient à lui enlever son bien.
L’adolescence le transforma en prince boudeur et narcissique, semblable à cette caste qui a cru que la Révolution signifiait remplacer une aristocratie par une autre. La méchanceté pour Polléon, c’était quand on refusait de céder à ses caprices.
C’est pourquoi dans la cour du collège luxueux où il régnait désormais, il devint le champion de l’arnaque, s’enfuyant aussitôt pour se cacher derrière les plus grands, qui le protégeaient en échange de quelque privauté. Il jouissait alors sadiquement du spectacle des victimes de ses larcins, lâchement rouées, lacérées, écorchées par de grands nervis aux étoiles dorées.
C’est ainsi que Polléon sut s’attirer une cour stupide et oiseuse à qui il jetait le reste de poudre de perlimpinpin dont il n’avait pas fait usage.
Mais que devint Polléon le fanfaron à l’âge adulte ? On perd sa trace avant qu’il n’y accède.
Francis Lagacé
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