Parlons de réflexion avec Francis
11 février 2022
Quelqu’un de ma connaissance a voulu me traiter de libre penseur. Je ne sais pas trop dans quelle mesure cela était un compliment. Il y a lieu de se demander ce que signifie au juste « avoir une pensée libre ».
Après tout, les personnes qui s’adonnent à la réflexion sont contraintes par les objets sur lesquels se portent leur pensée de la même manière que les artistes doivent affronter les contraintes du matériau utilisé ou que les scientifiques sont soumis aux contraintes des matières étudiées et analysées.
Outre le fait que l’objet de la réflexion commande en lui-même certains paramètres de travail, il faut aussi tenir compte que le choix de telle activité ou de tel objet de recherche est le fruit de nombreux déterminismes : social, psychologique, environnemental, familial, biologique, etc.
Si la liberté de penser signifie qu’on peut penser n’importe quoi ou n’importe comment, on est plutôt en droit de s’inquiéter. « Je peux bien penser ce que je veux » est une mauvaise excuse maintes fois entendue de la part d’étudiant·e·s qui, dans leurs dissertations, proposaient des conclusions sans rapport, ou parfois carrément en contradiction, avec l’argumentation développée. Certes, il n’y a là rien d’illégal, mais disons que ça réduit considérablement la valeur d’un tel travail.
On conviendra donc que la « liberté de penser » concerne en fait le droit de faire porter son activité réflexive sur les objets de son choix, eu égard aux conditions décrites au troisième paragraphe. Cela n’est hélas pas permis en dictature où toute recherche qui porte sur des questions protégées ou taboues subit la censure. Ce n’est pas pour rien qu’on estime en général chez les littéraires que l’essai n’est pas possible en dictature. C’est-à-dire qu’on peut, oui, se livrer à l’écriture essayistique, mais qu’on n’arrivera pas à la publier.
De la même façon que la mathématicienne découvre ses formules, le penseur découvre ses idées. Ni l’une ni l’autre ne les choisit à sa guise. Il y a bien possibilité de rendre la formule plus élégante, c’est là qu’intervient l’esthétique, mais il n’est pas possible de changer le rapport qu’elle doit exprimer.
Newton n’a pas « inventé » la loi de la gravitation universelle, il l’a découverte. Pythagore n’a pas inventé son théorème, il l’a découvert. Et si Lemaître a proposé l’« œuf cosmique », plus tard appelé le Big Bang, c’est à titre de théorie explicative probable à l’éloignement des galaxies, pas parce qu’il avait envie qu’il y ait un début et une fin à l’Univers.
Ainsi la penseuse ou l’artisan sont aussi libres que leurs matériaux respectifs le leur permettent et il faudrait se garder d’associer la liberté de penser à la possibilité de croire qu’un triangle a quatre côtés si ça nous chante.
— Mais si ça me plaît, à moi, de croire qu’un triangle a quatre côtés, j’en ai bien le droit !
— Bien sûr, tu en as parfaitement le droit, tout comme tu as le droit de consulter un médecin qui a trouvé son diplôme dans une boîte de céréales. Mais lui n’a pas le droit d’exercer la médecine et, toi, tu n’as pas le droit d’enseigner la géométrie.
Francis Lagacé
«»-----------------------«»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire