Parlons de cette violence avec Francis
19 mars 2023
À la suite de tragédies particulièrement poignantes où la violence se sera exprimée sans raison apparente pour faucher la vie de personnes innocentes, on s’interrogera un peu, beaucoup sur la santé mentale. On organisera des réflexions, on fera des campagnes de promotion, on pensera à des méthodes de détection, et on cherchera divers moyens de réparer ces individus cassés dont on ne sait trop que faire.
Puis, l’actualité chassera ces préoccupations, et on se rendra compte après six mois, un an ou deux que la violence est de retour, que d’autres individus brisés ont explosé et saccagé des âmes sans malice. On ne comprendra rien, mais on se demandera comment traquer ces individus problématiques et on cherchera encore des moyens de soigner individuellement ces êtres dont le fonctionnement s’est déréglé.
On parlera de santé mentale et de responsabilité individuelle. On incitera les familles à être plus observatrices. On instaurera des programmes de surveillance dans les différents milieux. Puis, l’actualité chassera ces préoccupations, et on se rendra compte après six mois, un an ou deux que la violence est de retour, que d’autres individus abimés ont éclaté et fracassé des existences pourtant sans histoire.
On cherchera encore comment, à défaut de réparer ces individus fêlés, les arrêter, les empêcher de nuire aux autres et de détruire ce qui les entoure. On réfléchira beaucoup à la violence individuelle, mais on ne réfléchira pas à la violence systémique.
Violence systémique, cette notion qu’aucun néolibéral ne veut entendre parce qu’elle l’obligerait à comprendre que le capitalisme est un système d’oppression qui broie les individus dans le monde du travail, de la technologie, de la consommation, de l’habitation et des relations sociales.
Violence systémique au travail désormais atomisé dans lequel plus personne n’est responsable de quoi que ce soit, dans lequel les gestes posés au quotidien ont perdu tout sens pour les corps qui les accomplissent.
Violence systémique de la technologie, où l’obsolescence programmée nous fait sentir dépassé·e·s à tous les deux ou trois mois, où il faut toujours payer plus pour avoir le service supplémentaire qui corrige les erreurs de la version actuelle du logiciel de fonctionnement.
Violence systémique de la consommation, où tout est destiné à l’éphémérité, où il est impossible de parler à une personne humaine pour nous expliquer les nouvelles politiques, où la publicité nous incite à vouloir toujours plus et à courir dans une fuite en avant infinie après une satisfaction illusoire et un désir de puissance inaccessible parce que l’achat d’une camionnette ne nous transporte pas dans une île paradisiaque où les routes sont désertes et les arbres fruitiers chargés toute l’année.
Violence systémique de l’habitation, où le faux idéal de la maison unifamiliale pour tous est impossible à atteindre et écologiquement non viable, où les loyers montent en flèche non parce que les logements sont réparés et entretenus, mais juste parce qu’il faut bien « suivre le marché », où les gens se retrouvent à la rue parce que le quartier où ils vivaient jusqu’ici est devenu trendy.
Violence systémique des relations sociales, où la dépense et le clinquant sont la mesure de la réussite. Violence systémique des réseaux sociaux, où les grandes vedettes sont les monstres narcissiques qui écrasent les autres sans pitié et n’ont aucune loyauté même envers leurs proches.
Non, de la violence systémique, on ne parlera pas. Du mode de vie capitaliste sans aucune valeur humaine, qui laisse les particuliers seuls devant leurs problèmes dans un monde qui n’a aucun sens, on ne parlera pas non plus. On pistera plutôt les individus délabrés qui ne se sont pas adaptés.
Puis, l’actualité chassera ces préoccupations, et on se rendra compte après six mois, un an ou deux que la violence est de retour...
Francis Lagacé
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