mardi 4 juin 2024

Habitation, écologie, bourgeoisie

 

Laissons Francis nous parler d’habitation

Habitation, écologie, bourgeoisie


30 mai 2024

Il y a quelques semaines, j’écoutais sur les ondes de notre radio publique un reportage à propos de la difficulté d’accéder à la propriété. Un couple des États-Unis se plaignait. Dans leur enfance, on les avait nourris du rêve de posséder leur propre maison.

La dame disait : « Quand j’étudiais, je rêvais que mon emploi me permettrait de m’offrir une belle maison de deux étages en banlieue, avec un beau grand jardin, une piscine et un garage suffisamment grand pour y mettre deux voitures utilitaires. Maintenant, hélas, avec le prix de l’immobilier, ce rêve ne m’est plus accessible. » Et le journaliste de se joindre au chœur de la déploration.

Réfléchissons un peu. Doit-on se désoler du fait que ce rêve ne soit pas atteignable par tous ? Et si on se demandait comment on a pu arriver à nous imposer ce rêve. Pourquoi sommes-nous incapables de comprendre que ce mode de vie est impossible à réaliser pour l’immense majorité de la population mondiale et qu’il est tout simplement mortifère pour la planète ? Il n’y a juste pas assez d’espace ni de ressources sur la terre pour la transformer en banlieue universelle.

La pensée bourgeoise nous fait croire que de posséder une auto nous transporte dans les montagnes sur les bords d’un lac à l’eau pure. La réalité, c’est pourtant que cette maudite voiture, même électrique, est responsable de la destruction de l’environnement et de la déperdition des ressources naturelles.

Aucun média de masse ne nous dira que de vivre en commun dans des édifices à logements multiples est beaucoup plus écologique que l’obsession d’être propriétaire.

Ça me rappelle une anecdote de ma jeunesse. Je recevais mon père dans l’un de mes premiers appartements, situé en demi-sous-sol. Nous devisions ensemble des avantages et des inconvénients de mon logement quand je lui lançai : Bien sûr, je fais attention parce que je ne suis pas chez moi.

— Comment ça, tu n’es pas chez toi ? Tu es un squatteur ? Tu ne payes pas de loyer ?

— Mais non, j’suis pas un squatteur. Mais si, je paye mon loyer. Mais, je voulais dire, puisque je ne suis pas propriétaire, je suis prudent, j’évite de faire trop de bruit, d’abîmer le mobilier, d’être dérangeant.

— Si tu étais propriétaire de ton logement, tu ne ferais pas attention à ton mobilier ? Tu serais dérangeant pour tes voisins ?

— Non, c’est sûr.

— Alors, quelle est la différence ?

— Y en aucune, vous avez bien raison.

— La règle de ne pas importuner inutilement les voisins s’applique que tu sois locataire ou propriétaire. Ensuite, ne dis jamais que tu n’es pas chez toi. Si tu respectes la loi, tu es autant chez toi dans ton appartement que le propriétaire dans sa maison. Tu es protégé par l’inviolabilité du domicile.

Puis, il ajouta sur un ton solennel :

« Mon garçon, là où tu peux accrocher ton chapeau en rentrant de l’ouvrage, tu es chez toi. »

[Aparté : mon père venait d’une époque où tous les hommes portaient un chapeau dès qu’ils sortaient de la maison. Inspiré par lui, j’ai longtemps porté des chapeaux, certains de style suranné, dont je me fournissais à la Saint-Vincent-de-Paul quand j’étais étudiant. Au travers de tout cela, on pouvait aussi me voir, surtout en hiver, avec mon éternel béret.]

Pour en revenir à mon sujet, le paternel venait de casser une notion bourgeoise que j’avais intériorisée malgré moi (l’idéologie, c’est fort) et m’avait fait comprendre tout d’un coup qu’un locataire n’a pas moins de droits qu’un propriétaire. Je n’ai jamais oublié la leçon.

J’y repense souvent aussi quand on accuse les personnes immigrantes de tous les maux. Quand on refuse de comprendre que « là où iels accrochent leur chapeau en rentrant de l’ouvrage, iels sont à la maison. »

Francis Lagacé

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