lundi 24 juin 2024

Réunions et patience

 

Laissons la parole à Francis

Réunions et patience


18 juin 2024

Quand on vieillit, on développe ce que j’appelle une sensibilité de « cœur d’artichaut ». Un rien nous émeut, et l’on se surprend à arroser nos joues à la simple lecture d’une histoire touchante ou à la vue d’une scène attendrissante dans un feuilleton par ailleurs terriblement kétaine.

Un certain soir, je regardais l’une de ces émissions avec mon conjoint. Le personnage central arrivait toujours en retard à la maison et ratait souvent des soirées avec sa compagne parce que son travail le retenait sans cesse. Je me suis retourné larmoyant vers mon amoureux, je lui ai pris la main et je lui ai dit : « Je comprends que je t’ai fait vivre ça pendant tant d’années à cause de mes maudites réunions qui n’en finissaient plus. »

Puis, ce fut comme une révélation : l’aversion viscérale que j’ai développée envers les réunions n’était pas due comme je le croyais à une sorte de stress post-traumatique, même si à la seule idée d’une réunion, je transpire, j’ai des vertiges et j’ai des flash-backs de réunions qui ont mal tourné.

Non, ma détestation des réunions est une réaction saine. Pendant près de trente ans, j’ai accumulé un immense déficit de temps où j’aurais pu être avec mon mari.

C’est une expérience très personnelle que je vous rapporte. Si vous croyez que ce billet est un réquisitoire contre les réunions, vous vous trompez. Je vous invite à lire tout de suite l’avant-dernier paragraphe du texte.

Je me suis toujours fait un devoir de ne pas quitter une réunion où je tenais un rôle de responsabilités. C’était immanquable, dans chaque groupe, je finissais toujours par occuper un tel poste : président, secrétaire, trésorier, animateur, responsable des suivis, responsable de la logistique, responsable du rappel des membres, responsable des communications, agent de liaison, conseiller politique, rapporteur des décisions, etc.

Cela a été particulièrement douloureux au début des années 2000, quand j’étais membre de trente-six comités. Ce n’est pas une figure de style comme dans l’expression « trente-six métiers, trente-six misères ». Je me suis assis, l’un des exceptionnels soirs de l’année 2004 où je n’avais pas de réunion, et j’ai fait la liste de tous les comités où j’occupais un poste. Ça prenait deux colonnes complètes sur une feuille de 8 1/2 par 14, et je les ai comptés : exactement 36.

C’est un supplice que de voir les personnes s’agglutiner derrière le micro pour commencer leur intervention par « Je viens pour dire la même chose que celui qui m’a précédé. » Ce sont en général des hommes qui tiennent absolument à écouter leur propre voix quand tout a déjà été dit. J’ai remarqué que les femmes sont rares à répéter inutilement des arguments déjà bien développés par d’autres.

C’est aussi assez désolant de voir des candidat·e·s céder à la croyance que, plus on parle longtemps, plus on a de chances d’être élu·e·s. Comme président d’assemblée, j’ai souvent prévenu les impétrant·e·s que, généralement, la personne qui parle le plus longtemps n’est pas élue. Ça ne ratait jamais, certain·e·s ne lâchaient le micro qu’après trois avertissements, puis subissaient le rejet par le vote.

Même après ma retraite en 2013, j’ai continué à présider des réunions pour des syndicats, des associations, des organismes communautaires, et j’en passe. Puis un jour de 2018, l’élastique s’est cassé, et j’ai décidé que je ne voulais plus rien savoir d’aucune réunion.

Ne vous méprenez pas, je crois que les réunions sont nécessaires et utiles. Elles permettent l’échange d’idées et le partage d’information avant de décider des actions. Les défauts et les excès sont inévitables, il y en a toujours un peu. La nature humaine est ce qu’elle est. Mais, de mon côté, j’aimerais passer les 30 prochaines années à ne pas faire attendre mon époux, car je suis conscient du déficit de temps de qualité. Ce déficit, je ne chercherai pas vainement à le combler, je me contenterai de m’employer à ne plus le creuser.

Vous me direz que j’en ai mis du temps et que je n’ai à m’en prendre qu’à moi-même. Vous avez parfaitement raison. Moi, je dirai surtout que la patience de mon chum est vraiment extraordinaire.

Francis Lagacé

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