Laissons la parole à Francis
Le chandail rose
7 janvier 2025
Il y a bien des années, je me suis acheté un pull rose. Malgré l’usure et les années, je le porte encore, comme le complet bleu du chanteur qui rêvait d’avoir son nom en haut de l’affiche dans la chanson d’Aznavour.
Pendant toute ma cinquantaine, je n’ai vu personne réagir au fait que je porte ce chandail couleur de bonbon à sucer. Mais depuis que je suis dans la soixantaine avancée, je perçois comportements et commentaires qui me laissent songeur.
Il y a d’abord eu cette employée d’une clinique de physiothérapie où j’accompagnais mon amoureux. Elle se répandait en éloges sur mon audace et sur le courage de m’affirmer : j’étais un exemple de bravoure, un modèle de détermination pour les jeunes. À part un sourire confus et des remerciements embarrassés, je ne savais trop comment répondre à ces effusions qui me paraissaient imméritées.
Puis, il y a eu cette fois dans un pub anglais, où nous dégustions nos fish & chips avec une pinte. Un groupe de trois jeunes dans la vingtaine est entré. Iels se sont dirigés vers le comptoir pour passer leur commande. Il y avait d’abord un couple homme et femme, puis le troisième larron : jeune homme à la belle barbe rousse fort bien taillée. Il portait de longues tresses blondes.
Ce dernier me dévisageait avec une expression de stupéfaction mêlée de crainte en écarquillant les yeux. Sa bouche s’arrondissait démesurément au point de susciter en moi l’image d’un tunnel ferroviaire. Je l’ai regardé en souriant, mais il semblait paralysé. Pourtant, je ne me croyais pas le moins du monde en mesure de faire ombrage, ni même compétition, à ses jolies nattes. Au bout d’un moment, ses deux acolytes l’ont pris par le bras pour le ramener en aval dans la file qu’il retardait.
Récemment, lors d’une fête de Noël dans l’un des commerces du quartier, une dame que je voyais parfois au restaurant est venue me parler. Elle tenait absolument à me féliciter pour mon beau chandail rose qui me va si bien au teint et que j’ai la hardiesse de porter sans me soucier des qu’en-dira-t-on. Elle donnait l’impression d’avoir bu un peu pour trouver le cran de m’aborder. Elle a affirmé : « Ça fait longtemps que je voulais vous le dire. »
Comment vous dire ma perplexité ? Montrer mon étonnement aurait été discourtois. J’avais également le souci de ne pas lui faire perdre cette impression justifiée qu’elle avait bien agi et que sa démarche était positive. J’ai souri. J’ai dit en montrant mon conjoint : Lui aussi trouve que ça me va bien au teint. Il s’est empressé d’opiner au ravissement de la dame.
Depuis, je ressasse ces scènes et me perds en conjectures. Peut-être mes lectrices et lecteurs, tous gens fort perspicaces, auront d’autres interprétations à me suggérer, mais pour le moment j’avance ceci :
— qu’un homme porte du rose semble encore considéré comme une affirmation d’homosexualité (ce que je croyais dépassé depuis longtemps) ;
— et, en conséquence, rendre son homosexualité publique peut être vu comme un défi à la société si on est un petit vieux.
Francis Lagacé
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