Le discours d’assermentation de Françoise David, députée de Gouin
28 septembre 2012
En 1884, dans un livre intitulé tout simplement Les Patriotes, mon arrière grand-père, Laurent-Olivier David écrivait en préface dans une description de l’époque 1837-1838 :
«La justice souillée par toutes les infamies; la malversation protégée par le pouvoir; les places, les honneurs et les gros traitements prodigués à une orgueilleuse faction, au détriment des droits de la majorité; la proclamation la plus audacieuse des projets les plus effrontés d’anglicisation; la violation constante de toutes les lois constitutionnelles et parlementaires…»
Il poursuivait en appelant à honorer la mémoire des citoyens valeureux qui avaient combattu les oppresseurs.
J’ai lu ce livre toute jeune et relu dernièrement. Ce qui me frappe : sa pertinence dans la description historique et l’appel à résister. Résister au pouvoir du mensonge et de la division. Résister à la tentation du confort et de l’indifférence. Se mettre debout et proposer un autre Québec, le Québec de tous les possibles.
Je viens de m’engager à servir le peuple du Québec de mon mieux. J’en ai fait le serment et, croyez-moi, je prends cela très au sérieux.
Depuis au moins 40 ans, je tente d’être utile à la société québécoise de toutes les façons possibles et de promouvoir des progrès sociaux, culturels et politiques. J’ai été active dans les comités citoyens des années 70, travaillant dans l’un des quartiers les plus pauvres de Montréal. Découvrant, moi qui venait d’un milieu aisé, le défi que représente la survie dans un quartier populaire en même temps que l’entraide et la solidarité.
Je fus aussi syndicaliste, proposant un syndicalisme de combat et me portant à la défense des services publics. Puis j’ai travaillé et milité 14 ans dans le mouvement des femmes, l’une des plus belles expériences de ma vie. La Marche Du pain et des roses demeure un souvenir extrêmement cher à mon cœur. 800 femmes marchent 10 jours contre la pauvreté. Plusieurs nous avaient dit que c’était impossible mais nous l’avons fait. Nous avons obtenu des gains substantiels. Et surtout la reconnaissance, une reconnaissance bien méritée à un mouvement féministe trop souvent méconnu, envers qui subsistaient tous les préjugés possibles. Puis, suite à la Marche mondiale des femmes, après la fin de non-recevoir donnée à la Fédération du Québec par un Premier ministre sourd à ses demandes, je me suis mise à songer à la politique active. Si les décideurs d’alors refusaient de nous entendre, pourquoi ne pas chercher à prendre leur place?
Je me suis vite rendue compte que ce n’était pas si simple. Fonder un parti politique était tout un contrat. Mais nous l’avons fait, en 2006, dans une rencontre mémorable où nous étions mille à rêver, espérer, construire.
Aujourd’hui, nous sommes deux députés à l’Assemblée nationale. 264,000 personnes ont voté pour que les valeurs portées par Québec solidaire soient représentées au Salon du peuple et beaucoup d’autres sont sympathiques à nos idées. La route sera longue vers le pouvoir mais nous y arriverons. J’ai confiance.
Je continue de croire que le peuple québécois mérite mieux que des injustices perpétuées de génération en génération.
Mieux que des paysages profanés et que des terres abandonnées. Mieux que le tiers-monde autochtone. Mieux qu’une démocratie tronquée par un mode de scrutin passéiste et qu’un certain populisme pour tout discours. Mieux qu’une culture dont on calcule seulement les retombées économiques et que l’anglicisation rampante de grandes villes et des milieux de travail. Mieux que la course effrénée des familles pour concilier métro, boulot et dodo.
Je me permets de rêver à un Québec où l’on réfléchira en vert. Où on créera des milliers d’emplois dans toutes les régions pour les femmes et les hommes en âge de travailler. Des emplois socialement et écologiquement responsables.
Je rêve d’un Québec où le travailleur et la travailleuse se sentiront respectés dans leurs droits les plus essentiels : un salaire décent, une journée de travail raisonnable, un fond de pension, des vacances qui donnent du temps pour se reposer et vivre avec les enfants.
Je veux un Québec où la pauvreté et les inégalités seront choses du passé. Un jour, on dira : «Ça n’avait pas de bon sens, comment a-t-on pu accepter que des êtres humains aient perdu ce qui est pourtant un ingrédient essentiel au simple goût de vivre : la dignité humaine?» . Cert m’apostropheront dès maintenant ainsi : «Vous rêvez, c’est une utopie»! J’assume! Il faut avoir des rêves pour avancer. Celles et ceux qui se sont battus contre le travail des enfants, pour les droits des femmes ou des homosexuels rêvaient aussi! Et ils ont connus des victoires dont nous bénéficions aujourd’hui.
On peut et on doit imaginer un autre Québec. Solidaire, vert, féministe, souverainiste. C’est un tout, rien ne doit être laissé de côté. Nous pouvons décider que nos services publics resteront publics, pour tout le monde. Nous avons le droit d’exiger que les personnes disposant d’un revenu élevé fassent leur part dans une société où ils vivent si bien. Il est temps que les grandes entreprises contribuent davantage au budget de l’État. Nous devons soutenir avec vigueur les milliers d’organismes communautaires et culturels qui rendent la vie bonne et pleine de sens pour les villes et les villages, partout au Québec.
Tout cela est possible, c’est ce que je m’emploierai à répéter sans cesse dans cette enceinte, dans ma circonscription et dans tous les milieux où l’on voudra bien m’écouter. Non seulement possible mais nécessaire, essentiel, dans un Québec riche de tant de ressources et surtout de tant de gens formidables.
Je ne serai pas seule pouvant compter sur les 14,000 membres de Québec solidaire. Je veux aussi m’appuyer sur le travail essentiel des mouvements sociaux qui façonnent déjà le Québec de demain. Et, bien sûr, je vais travailler avec Amir, mon collègue et ami.
Amir… Je profite de la tribune qui m’est donnée aujourd’hui pour vous dire quelques mots sur ce député exceptionnel. Premier élu de QS, il a tenu le fort avec son équipe exceptionnelle durant près de quatre ans. Amir a le verbe haut et franc. Il défend tous les opprimés, qu’ils vivent ici ou ailleurs dans le monde. Sa parole dérange parfois mais à moi elle inspire confiance et audace. Amir, merci pour tout le travail accompli dans des conditions difficiles. Et bravo pour ton élection dans Mercier, une victoire incontestable qui te donne une incroyable légitimité pour continuer ton travail à l’Assemblée nationale.
Ce travail, nous le ferons ensemble, avec le soutien de nos équipes mais aussi celui des militantes et militants de Québec solidaire.
Car nous formons une grande famille. La victoire de l’une ou de l’autre, nous la devons aux efforts quotidiens et généreux de milliers de personnes engagées au sein de Québec solidaire de toutes les façons possibles. Merci!
Merci, en particulier aux membres du Comité de coordination national et à la permanence de Québec solidaire. Merci encore une fois à la formidable équipe électorale de Gouin et au Comité de coordination local. Merci à ma famille, mes amis, mon fils, mon amoureux…pour leur inlassable patience à mon endroit, m’accompagnant dans une vie plutôt mouvementée. Merci de croire en moi, en Québec solidaire.
En finissant, et toujours dans le livre de mon arrière grand-père, ces mots de Robert Nelson, patriote de la rébellion de 1838, signataire d’une déclaration solennelle dans laquelle on retrouvait ces mots prophétiques :
«Nous, au nom du peuple du Bas-Canada… faisons choix de cette forme de gouvernement qui rétablira l’empire de la justice, assurera la tranquillité domestique, pourvoira à la défense commune, augmentera le bien général et garantira à nous et à notre postérité les avantages de la liberté civile et religieuse.»
Je nous souhaite surtout la liberté profonde d’espérer, d’agir et de trouver ensemble les chemins d’un Québec inclusif, d’une prospérité partagée et d’une démocratie réelle.
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