jeudi 12 septembre 2013

LA CHARTE DES VALEURS QUÉBÉCOISES : UNE GRANDE DIVERSION

Bernard Rioux met les barres sur les « T » et les points sur les « i » au gouvernement Marois:










LA CHARTE DES VALEURS QUÉBÉCOISES : UNE GRANDE DIVERSION


mardi 27 août 2013, par Bernard Rioux

Interdire les signes religieux chez les fonctionnaires et les employéEs des services publics. Voilà le grand débat de société que nous propose le gouvernement Marois. Cette interdiction fonderait une charte des valeurs québécoises. Derrière, cette nouvelle priorité, les dirigeantEs péquistes nourrissent l’espoir que cet exercice d’affirmation nationale permettra la reconstruction de la base électorale de leur parti et ouvrira ainsi la possibilité de former un gouvernement majoritaire aux prochaines élections. Il s’agit d’une vaste entreprise de diversion pour faire oublier sa politique de capitulation sur tous les terrains.

De la Charte de la laïcité à la Charte des valeurs québécoises

 L’affirmation identitaire du Québec, l’exacerbation du nationalisme étroit a bien peu à faire avec une laïcité véritable. D’ailleurs, débattre d’une véritable Charte de la laïcité risquerait de soulever toute une série de questions démocratiques et politiques. C’est pourquoi, le gouvernement péquiste a abandonné la perspective de Charte de la laïcité et qu’il parle maintenant de Charte des valeurs québécoises.

Défendre la laïcité, c’est d’une part défendre la liberté de conscience, la liberté des hommes et des femmes à une religion ou à des convictions philosophiques. Un État doit être libre d’élaborer des normes collectives sans qu’une religion ou conviction particulière ne domine le pouvoir et les institutions publiques. La laïcité suppose donc une séparation des Églises et de l’État et la neutralité de l’école publique en est une conséquence. Alors, poser la question de la laïcité au Québec, c’est d’abord poser la question des vestiges du pouvoir de l’Église catholique. C’est questionner le financement public des écoles privées confessionnelles. C’est en finir avec la présence des symboles de l’Église catholique dans diverses institutions. C’est s’opposer à la lutte politique que mène l’Église contre le droit à l’avortement. Ce pourrait également s’opposer à un combat que certaines déclarations annoncent contre le droit de mourir dans la dignité...

Dans la conjoncture internationale actuelle, un discours qui récupère la lutte laïque pour la détourner de son potentiel libérateur présente l’islamisme comme le vecteur principal du retour du discours religieux dans les pays occidentaux. Cela est faux. Le fondamentalisme existe bel et bien en Europe, en Amérique du Nord et au Québec. Mais, il est d’abord porté par le fondamentalisme chrétien qui tente de construire des nationalismes civilisationnels présentant la situation internationale actuelle comme une situation de guerre des civilisations.

Le discours laïque doit donc chercher à en finir avec cette notion de guerre des civilisations. Pour parvenir à cette fin, le discours laïque doit identifier les vrais problèmes qui se cachent derrière cette instrumentalisation de la religion dans la fabrique de ce mythe de la fameuse guerre des civilisations. Et les vrais problèmes, ce sont les occupations militaires occidentales en Iraq, en Afghanistan, au Liban, en Arabie Saoudite, la colonisation de la Palestine, la marginalisation profonde de vastes couches de la population par des oligarchies liées aux grandes puissances, la distribution extrêmement inégalitaire des revenus dans les pays vivant de rente pétrolière… dont les gouvernements sont liés aux pays capitalistes avancés.

L’identification des problèmes concrets qui organisent la vie de populations entières permet de dépasser les explications faciles par le religieux. Et c’est une telle vision laïque et profane du monde qui permettra de dépasser les discours mensongers des oligarchies conquérantes et des régimes autoritaires qui pratiquent la confusion du politique et du religieux. Le discours laïque refuse de se laisser enfermer dans le relativisme du multiculturalisme communautariste. Mais, il oppose à cet avatar de la pensée libérale un humanisme cosmopolitiste, un véritable internationalisme et non le repli sur un nationalisme identitaire exacerbé. Tous les peuples sont frères contre les tyrans. Le véritable esprit républicain insiste sur ce qui est commun, sur ce qui fait l’unité du genre humain et refuse de cultiver les différences. Il préfère développer une logique d’égalité humaine entre peuples, races et genres et écarte les mises en scène identitaires. [1]

Présupposées idéologiques de la Charte des valeurs québécoises

Cette laïcité identitaire du gouvernement péquiste ne vise pas d’abord la laïcisation des institutions étatiques. Ainsi, l’État du Québec pourra encore dans son Assemblée nationale arborer le crucifix duplessiste. Il pourra continuer de subventionner les écoles privées confessionnelles. Il pourra cautionner les prières catholiques ou autres dans les conseils de ville... La laïcité identitaire indique plutôt que la menace proviendrait des minorités, des étrangers, et particulièrement des musulmans.

En centrant sa Charte des valeurs québécoises sur l’interdiction des symboles religieux portés par employéEs de l’État et des organisations subventionnées, la Charte des valeurs québécoises se fait un instrument politique de la construction de la méfiance vis-à-vis les étrangers et les étrangères, et particulièrement les musulmanEs. La Charte des valeurs québécoises balisera les accommodements, nous dit-on. Mais que craint-on ? On croit que les symboles religieux (et les personnes qui les portent) sont porteurs d’une possible régression sociale. Cette dernière serait principalement provoquée par les minorités venues d’ailleurs qui tardent à accepter nos valeurs québécoises.

La Charte des valeurs québécoises fera de l’égalité des sexes une valeur cardinale. Mais, cette seule affirmation fait l’économie de la critique de la société actuelle. La société québécoise est d’emblée présentée comme une société égalitaire pour les hommes et les femmes niant l’existence au Québec de la domination patriarcale.

En s’insurgeant contre les signes d’un sexisme « étranger », notre société ne fait-elle pas la preuve qu’elle ne supporte pas le sexisme ? Donc elle ne saurait être sexiste. Voilà comment, en restant au seul niveau du discours, « on fait d’une pierre deux coups » : l’altérité des autres, sexistes, est confirmée, tandis que notre absence de sexisme est prouvée par l’altérité des sexistes. Elle permet de présenter notre société comme égalitaire en oubliant le sexisme quotidien, la violence conjugale, la discrimination salariale, la distribution patriarcale du pouvoir économique et politique.

Un court circuit est opéré entre égalité des sexes et laïcité réduite à la seule stigmatisation de l’islam. Alors que la laïcité devrait être d’abord le combat pour de nouvelles libertés laïques, permettant de démasquer le sexisme quotidien, structurel de la société tout entière. En somme, peu importe que les femmes s’intègrent dans une société où le sexisme est quotidien pourvu qu’elles le fassent sans foulard !

Les minorités religieuses deviennent des boucs émissaires porteurs de l’obscurantisme, de la puissance de la religion, des diverses formes d’oppression. Mais ce qui relève de l’héritage de la réalité religieuse d’ici, est identifié au patrimonial et, est donc par nature, national. [2]

La grande diversion

Non seulement la manoeuvre du gouvernement péquiste est idéologiquement dangereuse, mais elle constitue une diversion totale des problèmes majeurs qui confrontent la société québécoise. On fait des signes religieux, un enjeu d’importance pour s’en servir comme véritable poudre aux yeux de la majorité qui est la victime des attaques de ce gouvernement.

Que veut-on écarter de notre regard ? L’acceptation de ce gouvernement de la stratégie canadienne de développement des hydrocarbures, son ralliement aux accords de libre-échange avec l’Europe, sa politique d’austérité et sa poursuite du déficit zéro contre les intérêts de la majorité populaire, sa reprise du Plan nord et le maintien d’une politique extractiviste dans le logique de soumission aux économies canadienne et américaine, mais surtout, son refus d’engager et de mener de façon conséquente la lutte pour l’indépendance... Le gouvernement Marois est en place depuis quelques mois seulement, mais il a beaucoup à faire oublier.

Braqué sur la volonté de conserver son hégémonie sur le mouvement national québécois, le Parti québécois a connu pendant près de 20 ans une série de crises qui trouvaient leur fondement dans l’incapacité de gagner une majorité du peuple québécois à la perspective de l’indépendance...

Incapable de tirer le bilan des défaites, bilan qui aurait du l’amener à la compréhension de la nécessaire articulation entre projet social pour la majorité populaire, de réformes radicales des institutions démocratiques et de la lutte pour l’indépendance, le Parti québécois s’est replié sur nationalisme identitaire. Le pluralisme et (même l’interculturalisme) devenaient l’ennemi principal du nationalisme québécois. L’identification de valeurs communes de la nation remplaçait le combat pour l’indépendance nationale. Il s’agissait de plus en plus de fonder la conscience nationale sur la communauté québécoise francophone, davantage que sur un véritable processus de libération nationale.

Il faut maintenant en finir avec la logique défaitiste du gouvernement péquiste qui mène ce parti à reporter la lutte pour l’indépendance aux calendes grecques et à la remplacer par une stratégie d’affirmation nationale complètement impuissante à assurer notre libération nationale. La Charte des valeurs québécoises pourra peut-être aider le PQ à semer des illusions et à reconstruire sa base électorale, mais elle participe de l’approfondissement de son abandon de la lutte pour l’indépendance du Québec.

Notes

[1] Voir Georges Corm, « La question religieuse au XXIe siècle, La découverte, 2012 »

 [2] Voir Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La découverte, 2012)

INFORMATION PRISE ICI

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