mardi 21 février 2012

Pauvreté: le collectif individuel

Oui encore fois,

la plume de Francis Lagacé voit juste

20 février 2012

Pauvreté: le collectif individuel

Les Journées de la persévérance scolaire qui viennent de se terminer m'ont frappé par le paradoxe qu'elles illustrent. S'il est fort bon que tout le monde s'entende pour encourager les jeunes à continuer leur scolarité, s'il est très louable de les inciter à raccrocher s'ils ont abandonné en cours de route, il y a quelque chose d'inconséquent à prétendre s'unir dans un effort collectif pour favoriser la réussite scolaire tout en ne ciblant que les individus alors que tout le monde s'accorde pour dire que l'un des prédicteurs les plus sûrs du décrochage est la pauvreté.

Si la pauvreté est liée au décrochage, comment peut-on prétendre la réduire en rendant les jeunes responsables de leur condition? Comment peut-on influer sur la persévérance si aucune mesure sociale n'accompagne nos bonnes intentions? Tout se passe comme si on traitait la pauvreté comme une tare individuelle.

Or, ce sont certaines conditions sociales qui conduisent à la pauvreté. C'est la répartition de la richesse ainsi que l'accession à une éducation gratuite et de qualité qui conduiront les jeunes à vouloir, et à pouvoir surtout, mener leurs études à terme.

J'ai eu une démonstration flagrante de ce paradoxe lors d'une activité tenue dans le cadre de ces journées de la persévérance scolaire. J'étais entouré de personnes de condition favorisée qui dans un même souffle voulait faire persévérer les jeunes tout en voulant les convaincre de payer des frais de scolarité plus élevés.

J'ai eu beau expliquer à mes interlocuteurs que la hausse des frais réduirait les aspirations des classes moins favorisées et que, s'il est vrai que les facultés continueraient à recruter malgré des frais plus élevés, elles seraient toutefois peuplées de filles et de fils de bonne famille et non de jeunes provenant de tous les milieux, cela ne les a pas fait broncher.

Si une réflexion générale ne les touche pas, je me suis dit qu'un exemple personnel pourrait peut-être les convaincre. Je me suis alors pris comme exemple: faisant partie de la première génération de diplômés universitaires dans mon milieu d'origine, ce qui aurait été impossible sans des frais très bas et un bon programme de prêts et bourses, j'estime que les générations subséquentes du même milieu devraient aussi y avoir droit. Je n'ai eu pour toute réponse qu'un haussement d'épaules. Preuve, s'il en était besoin, qu'on ne cherche pas à améliorer le sort des classes défavorisées, on veut seulement sauver les bons pauvres, certains qui sont dociles et chanteront nos louanges, et tant pis pour les autres!

Cette absence totale de vision systémique, cette perception étriquée de la réalité sociale ne laisse de m'ébaubir.

La lutte à la pauvreté ne se fait pourtant pas par des interventions individuelles ni par des campagnes de charité. Ce qu'il y faut, c'est la justice sociale, ce qui signifie une fiscalité progressive dans laquelle les entreprises et les hauts revenus contribuent à la mesure de leurs moyens.

Là-dessus mon opinion converge avec celle de Robert Cadotte dans son livre Lettre aux enseignantEs (voir note 1), dont Louis Cornellier (voir note 2) a bien résumé le message le plus important: «...la nécessité d'en finir avec le paradigme médical-individuel pour expliquer le décrochage scolaire et l'urgence de renouer avec une perspective sociologique critique dans ce débat.»

Tant que la lutte au décrochage se limitera à des encouragements individuels, elle ne fera que culpabiliser ceux qui n'ont pas pu persévérer. Tant que la lutte à la pauvreté ne fera pas l'objet de mesures sociales visant la répartition de la richesse collective, elle ne sera qu'une campagne de charité permettant aux bons riches de se faire du capital politique sur le dos des bons pauvres manipulés qu'on exhibera comme autant de trophées à la gloire de la générosité des plus favorisés dans une société qui restera injuste et inégalitaire.

Note 1: Lettre aux enseignantEs, Robert Cadotte, Ville Mont-Royal, M éditeur, 2012, 288p.

Note 2: «La réforme Cadotte de l'école», Louis Cornellier, Le Devoir, samedi 18 et dimanche 19 février 2012, p. F6.

LAGACÉ Francis


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