Ce texte a beau dater de 2011 il en demeure d’actualité
La charité n'est pas la justice
5 décembre 2011
Le mois de décembre au Québec se signale entre autres par le retour des grandes guignolées, ces événements médiatiques où l'on fait appel à la charité du public pour combler des besoins qui existent à l'année longue.
Certains ont dénoncé le véritable show médiatique que constitue la surenchère de la charité, cela s'accompagnant souvent d'une pipolisation des âmes charitables. En effet, ce sont des vedettes qui attirent les dons et c'est le désir des les fréquenter, elles ou quelque chose qui leur est lié, qui est mis en avant pour susciter les contributions.
Plusieurs se sont sentis offusqués qu'on vienne remettre en cause leurs bonnes intentions, après tout ils ne veulent faire que le bien. Mais, personne n'est contre le bien, le problème n'est pas là. On aimerait plutôt que des solutions plus collectives et plus durables soient mises en place pour contrer la pauvreté qui n'est pas qu'un phénomène saisonnier.
Là où il s'agit d'une très grave injustice, c'est que l'on s'en remette uniquement à la bonne volonté des individus pour soulager la pauvreté alors que ce devrait être l'une des missions d'un État bien compris. Sinon, c'est s'exposer à l'arbitraire (on choisit ses pauvres, comme dans la chanson de Brel) et au caractère plus ou moins «sexy» ou tendance des causes (le cancer du colon est-il plus vendeur que le cancer de la prostate?).
J'ai saisi distraitement une conversation tenue très tôt le dimanche matin du 4 décembre 2011 à l'émission radiophonique de Radio-Canada Dessine-moi un dimanche entre Normand Baillargeon, Xavier Brouillette et l'animateur Franco Nuovo. Il y était question de l'opposition entre la liberté et l'obligation de contribuer pour soulager la pauvreté.
Grosso modo on opposait deux philosophies, celle voulant que, par la liberté absolue des individus, on laisse les gens choisir s'ils donnent ou pas aux pauvres, ce qui risque d'en laisser plusieurs sur le pavé et celle voulant que, par la volonté collective, on impose les revenus afin de répartir les richesses, ce qui devrait permettre d'atteindre une certaine égalité. Mais, je crois que c'est monsieur Brouillette qui l'affirmait, la question qui se pose est dans quelle mesure respecte-t-on la liberté quand on impose ainsi tout le monde et il continuait en disant que la guignolée était aussi quelque chose devant quoi on se sentait obligé, donc qui exerçait peut-être une pression indue, mais seulement morale.
Tout le monde avait l'air d'acquiescer. Peut-être ai-je raté quelque chose dans la suite qui aura corrigé le tir, mais on aurait dû immédiatement relever deux sophismes dans ces énoncés.
Le premier et le plus simple est que, si la guignolée exerce une pression morale ou sociale, elle n'exerce pas une pression juridique, elle n'entre donc pas dans la catégorie des choses imposées à tous par l'État et va au contraire dans le sens de ceux qui revendiquent la liberté de chacun de choisir s'il donne ou pas. Elle n'est donc pas une solution collective.
Le second est plus complexe. On peut se demander si c'est une atteinte à la liberté que de lever des impôts sur chacun pour répartir la richesse entre tous. C'est ce caractère obligatoire qui semble s'opposer à la liberté. Mais, si on se rend compte que, dans la société, il existe de très grandes inégalités de sorte que certains sont très riches au détriment d'autres qui en souffrent, on constate alors que la liberté des uns n'est pas celle des autres, et qu'une liberté sans égalité n'est qu'illusion. Ce sont là des réflexions qui ont été tenues depuis Jean-Jacques Rousseau.
Et c'est tout de même un penseur de droite, Henri Lacordaire, il faut le rappeler, qui nous a donné cette belle maxime: «Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit.» En effet, c'est la loi, qui en imposant une certaine égalité, assure une meilleure liberté de tous en évitant que la liberté des plus forts leur permette d'opprimer les autres.
Les mesures sociales sont la meilleure façon d'assurer une répartition de la richesse qui permet une meilleure égalité et donc une meilleure liberté, car ces deux éléments doivent être en équilibre. Si chacun paie des impôts en proportion de ses moyens, il contribue à une société plus équitable.
Il ne faudrait pas oublier qu'à l'origine la propriété n'est rien d'autre que l'appropriation, par celui qui en avait la force, des biens qui étaient accessibles à tous. C'est ce qu'a voulu démontrer le bon Jean-Jacques dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.
Nous n'avons pas les moyens de remonter le temps pour défaire ces inégalités. Nous avons la possibilité d'assurer une meilleure égalité, et donc une liberté qui se fait dans la justice, par des moyens collectifs.
Faire la charité, c'est bien; faire la justice, c'est mieux.
LAGACÉ Francis
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