mercredi 26 décembre 2018

Dérives néolibérales: narcissisme, fausse famille et parler gnan-gnan


Voici un texte de Francis Lagacé de 2007 qui demeure toujours d’actualité


Dérives néolibérales: narcissisme, fausse famille et parler gnan-gnan 

24 septembre 2007



L''idéologie néolibérale prégnante dans notre société favorise l''émergence et la progression des personnalités narcissiques. Le désintérêt total pour le sort des autres, l''arrivisme à tout crin et l''accumulation de capital politique et symbolique pour soi seul nous conduisent à une société froide dans laquelle le sort des déshérités est considéré comme quantité négligeable. On le constate avec la vilaine mode qui consiste à ridiculiser les pauvres et les assistés sociaux. Il y a pourtant des déterminismes économiques et sociaux contre lesquels les laissés pour compte du néolibéralisme triomphant ne peuvent à peu près rien si la société tout entière ne pratique pas la solidarité de manière systémique.



Systémique, parce que la charité privée ne vient pas à bout des problèmes de pauvreté. C''est à l''État d''assurer à chacun une subsistance décente par le biais de la redistribution des richesses. Sinon, on en arrive à une rétribution des "bons pauvres", ceux qui flattent l''égo des puissants, et à la marginalisation des "mauvais pauvres", ceux qui militent pour la justice sociale.



Mais, les narcissiques qui se hissent dans les structures de pouvoir, dans les organisations et dans les entreprises, n''aiment pas qu''on ait d''eux cette image de personnes froides et implacables. Ils se déguisent donc en personnes soucieuses de bonnes valeurs. C''est ainsi qu''ils racontent à qui veut les entendre que leur milieu de travail est comme une grande famille. Se faisant, ils atteignent deux objectifs:



1. Ils font croire qu''ils ont des sentiments pour les gens avec qui ils travaillent (ou qu''ils font travailler à leur place, ce serait plus exact).



2. Ils obligent leurs camarades de travail, qui du coup deviennent réticents à les critiquer pour ne pas leur faire de peine. Qui veut blesser son frère ou sa soeur? Qui veut faire de la peine à quelqu''un de la famille? Après tout, il faut en laisser passer si on veut que l''harmonie règne.



C''est là un piège terrible, car bien sûr éviter de faire face aux problèmes pour ne pas faire de peine est le meilleur moyen de les empirer et de créer une situation malsaine dans laquelle le narcissique a toujours beau jeu de triompher alors que ses victimes se sentent incomptétentes, humiliées, victimes d''échec parce qu''elles ne comprennent pas dans quel panneau elles sont tombées.



Il est très important au contraire de dire simplement et franchement ce qui ne va pas pour pouvoir passer à autre chose. Il ne faut pas céder au chantage émotif des narcissiques qui espèrent, de cette façon, camoufler les problèmes dont ils sont la cause. Ce n''est pas un signe de méchanceté ni de froideur que d''oser dire la vérité. C''est au contraire le signe d''une préoccupation pour des relations plus saines, plus humaines et plus généreuses.



Et cela m''amène au troisième point de mon titre: Le parler gnan-gnan.



L''une des techniques employées par ces narcissiques, qui sont de plus en plus nombreux dans toutes les organisations, dans le but de transférer leur culpabilité sur les autres, consiste à adopter un ton doucereux, quasi enfantin, et à rejeter de la part des autres toute tentative de parler fermement sous prétexte que c''est agressant, dérangeant, peu humain.



Infantiliser ses interlocuteurs est une forme de violence perverse qui permet au narcissique de s''offusquer chaque fois qu''on lui oppose un refus, chaque fois qu''on s''exprime en adulte ferme et confiant sous l''accusation d''être méchant, de parler trop fort. L''abus de cette technique finit par créer chez les victimes le goût, effectivement, de parler plus fort pour se défouler. Les déversoirs de rage contenue que sont les tribunes téléphoniques des radios, tout comme la vulgarité de certains humoristes, ne sont que le pendant naturel du parler gnan-gnan que nous imposent les dirigeants narcissiques qui veulent notre bien.



Parler clairement, sans rage, mais fermement est la meilleure façon de ne pas avoir à crier plus tard parce qu''on aurait accumulé un trop-plein à force de se contenir pour ne pas faire de peine aux narcissiques et à leurs victimes infantilisées.



Méfiez-vous comme de la peste de ceux qui prétendent que votre milieu de travail est une famille. Ce n''est pas le cas, ce ne doit jamais être le cas. Les relations de travail doivent être saines et cordiales, et non parasitées par des relations de fausse famille qui vous obligent à vous retenir de régler les problèmes à mesure qu''ils se présentent.



C''est remarquable d''ailleurs, lorsqu''on garde des enfants, on se rend compte que, si on leur tient un langage "gnan-gnan", ils se mettent à pleurer pour un rien, alors que si on leur parle normalement, ils sont beaucoup plus sereins dans tout ce qui leur arrive, même lorsqu''ils se blessent en jouant. Ces patterns existent aussi chez les adultes.



Les gens qui parlent fermement sont beaucoup moins violents que les "gnan-gnan" qui infantilisent leur auditoire. Ils assument leur statut d''adultes et traitent leurs interlocuteurs en égaux.



Outre ces attitudes à développer personnellement, il est important que nous continuions à travailler à la solidarité sociale. Il n''y a pas de solution individuelle à la pauvreté et à l''injustice.

LAGACÉ Francis

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