Je tiens à féliciter Simon Tremblay-Pépin et
l'équipe de l'IRIS pour leur excellent travail
faisant contre-poids à cette Institut économique
de Montréal qui n'a d'institut que le nom.
CE QUI JUSTIFIE LA RICHESSE
mardi 18 décembre 2012, par Simon Tremblay-Pepin
La semaine dernière, on m’a convié à répondre à la question « Le Québec a-t-il peur des riches » à l’émission Open Télé animée par Sophie Durocher. Assis en compagnie de sept autres hommes (!), j’ai débattu pendant plus d’une heure. Mon but n’est pas ici de revenir sur chacun des rebondissements de cet échange « viril » sur le rapport des Québécois-es à la richesse, mais de m’attarder à un argument qui semblait faire consensus chez mes coreligionnaires et sur lequel je me suis pris à me questionner depuis.
Tiré du site de l’IRIS.
Risque, sacrifice et besoins
Voyons d’abord l’argument lui-même, je tente de le reproduire le plus fidèlement possible. Il est légitime que le riche entrepreneur soit devenu riche car il a pris des risques dans la fondation et la mise en place de son entreprise. Ainsi, son action dans le monde (création d’emplois, investissements) et la possibilité que cette action échoue et lui prenne son investissement justifie qu’il soit mieux récompensé.
Michel Kelly-Gagnon, de l’Institut économique de Montréal (IEDM), ajoutait que cette récompense était également justifiée par la réponse à un besoin social. L’entrepreneur obtient donc un retour à la mesure de l’utilité sociale de ce qu’il a produit : plus on est riche, mieux on répond à un besoin social donné. En ce sens, il rejoignait Charles Nouyrit, un entrepreneur français ayant récemment immigré au Québec, qui soutenait durant les échanges qu’il devait être récompensé pour avoir eu de bonnes idées (c’est bien connu dans son pays d’origine : quand on n’a pas de pétrole, on doit avoir de bonnes idées).
Enfin, comme l’affirmait du haut de son expérience François Lambert, actuel dragon et ancien dirigeant de Atelka, l’entrepreneur prend aussi le risque d’assumer les moments difficiles. Il nous expliquait qu’à sa première année, ses revenus n’avaient atteint que 20 000$ et à peine 30 000$ celle d’après. Le premier sacrifié quand l’entreprise va mal, c’est l’entrepreneur, conclut-il. En bref, l’entrepreneur prend un risque en tentant de combler un besoin social et il est récompensé (ou non) à la mesure de la pertinence et du succès de cette tentative et de l’investissement fait. Sans aller jusqu’à prétendre que mes confrères trouvent équitable l’ensemble de la distribution des biens dans la société, j’ai senti que pour eux les prémisses énumérées justifiaient la majeure partie des inégalités.
Cette explication de la distribution de la richesse, a priori séduisante, me semble poser au moins trois problèmes importants.
La prise de risques
Mon premier problème est que je ne partage probablement pas la même notion de « risque » que mes « chums » de débat. J’ai l’étrange impression que le mineur prend plus de risques (pour sa vie), que le patron de la mine et qu’ils ne sont pas récompensés en fonction de ce niveau de risque. J’ai l’impression que la prestataire de services aux bénéficiaires prend beaucoup plus de risques pour sa santé que le propriétaire de la résidence où elle travaille. En fait, la seule prétention que ces risques (et une petite centaine d’autres qui me viennent en tête) seraient mêmes équivalents me semble relever de l’indécence crasse.
Ensuite, sur le risque de se retrouver sur la paille, je ne vois vraiment pas en quoi le travailleur prend moins de risques que l’investisseur. Non seulement, il risque de se retrouver lui aussi sans le sous si l’entreprise ferme, mais en plus, il risque d’avoir dépensé la force de son corps, le soleil de ses jours et la vivacité de son esprit pour cette entreprise et se retrouver à cause de cette usure au final potentiellement moins employable après cette expérience qu’avant.
Le sacrifice
Quant à l’idée qu’un entrepreneur est le premier sacrifié quand l’entreprise va mal, voilà une thèse qui ne se vérifie pas beaucoup. Que ce soit dans les grandes ou les petites entreprises, on voit les employés faire les frais des compressions ou des coupures de postes bien avant les cadres ou les dirigeants (qu’ils soient les entrepreneurs d’origine ou non). L’exception vient seulement quand un entrepreneur est incapable de se priver d’un employé précis (par pénurie de main-d’œuvre ou spécialisation).
Ensuite, en matière de sacrifice, on peut ajouter que bien des gens dans la population occupent des emplois à 20 000$ ou 30 000$ par année (rappelons que le revenu moyen au Québec est de 34 000$) sans qu’ils soient récompensés par la suite pour cette période de « sacrifice ». On peut penser aux travailleurs du secteur communautaire, aux artistes en général ou à ceux et celles qui font du bénévolat : les sacrifices salariaux qu’ils effectuent ne seront jamais récompensés monétairement.
Récompenser la réponse aux besoins sociaux utiles
Il est tout aussi étonnant de prétendre que « ceux qui parviennent à répondre aux besoins sociaux seront récompensés » par le système économique d’aujourd’hui. Il est plus juste d’affirmer que « la capacité de remplir le désir d’une clientèle solvable peut rapporter gros ». Il y a un monde de différences entre ces deux affirmations. Tout le monde admettra que guérir la malaria est plus utile socialement que de guérir la dysfonction érectile.
Pourtant, les inventeurs du viagra sont beaucoup mieux récompensés que ne le seront ceux qui trouveront un jour (si leurs recherches sont financées) le médicament contre la malaria. Le désir des uns riches, l’emporte littéralement sur la vie des autres pauvres.
On pourrait ajouter que parmi les besoins sociaux, il y a aussi : s’occuper des personnes qui nous entourent. De ses enfants, de ses relations amoureuses, de ses parents et de ses amis. Généralement, ce travail de soin est fait sans bénéfice monétaire. Ces soins sont d’ailleurs majoritairement fournis par un genre qui brillait par son absence dans les invités d’Open Télé de ce soir-là.
Bref, loin de récompenser le risque, le sacrifice ou ce qui est socialement utile, notre système économique récompense des pratiques et des objectifs biens précis et laisse dans l’ombre tout un pan de l’utilité sociale, ce qui n’est pas sans créer, systématiquement, des inégalités et une subordination dont on cherche toujours la légitimé.
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