L’émergence du nationalisme conservateur québécois
Axe: Réinventer le Québec
Par Jonathan Durand-Folco • Mis en ligne le 05 juillet 2013
Cet article représente une tentative de prospective politique québécoise. Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir à la manière d’un prophète ou d’un futurologue, mais de concevoir des scénarios d’évolution des configurations politiques en fonction d’une approche globale et d’une analyse des tendances lourdes de l’histoire en cours. Le but de cette démarche consiste à replacer l’analyse de conjoncture politique dans le temps long en articulant 1) un bilan historique ; 2) l’explicitation de forces émergentes ; 3) leur prolongation imaginative au cours des prochaines années. Le cadre théorique utilisé dans cette prospective politique ne s’appuie pas sur une approche mécanistique ou positiviste, mais sur une perspective historico-compréhensive liée à l’analyse générale du capitalisme. Matérialisme historique et critique discursive seront donc les principaux leviers permettant de réunir des fragments d’observations dans un tout cohérent.
La prospective, pour être efficace, doit être à la fois humble et audacieuse. Elle doit d’abord reconnaître son caractère incertain, expérimental et inachevé ; elle constitue des hypothèses de recherches devant être corroborées par des faits ou corrigées le cas échéant, dans un processus d’auto-correction permanent. Ensuite, elle doit laisser place à l’intuition et l’exagération. L’intuition relève moins du sentiment subjectif approximatif que d’une certaine attention portée sur les événements, d’une perspicacité permettant d’amener des pistes devant être approfondies par la logique et la recherche empirique. Enfin, l’exagération consiste à grossir certains traits de la réalité afin de déceler des tendances encore imperceptibles. L’exagération représente ainsi une méthode possédant une valeur épistémologique, à la manière du philosophe Günther Anders :
Les exposés qui vont suivre, du moins certains d’entre eux, donneront une impression d’« exagération ». Et cela pour la simple raison que ce sont effectivement des exagérations. Je donne naturellement à ce terme, puisque je le conserve malgré tout, un sens différent de son sens habituel : un sens heuristique. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il y a des phénomènes qu’il est impossible d’aborder sans les intensifier ni les grossir, des phénomènes qui, échappant à l’œil nu, nous placent devant l’alternative suivante : « ou l’exagération, ou le renoncement à la connaissance ». La microscopie et la télescopie en sont les exemples les plus immédiats, qui cherchent à atteindre la vérité au moyen d’une image amplifiée.
Entre anticipation et répétition de l’histoire
Cette démarche combinant la critique historique, l’analyse matérialiste et l’exagération n’a pas une simple fonction théorique, parce qu’elle vise à guider la pratique via l’élaboration d’une stratégie. Si la stratégie doit se baser sur la compréhension du passé et la prise en compte du contexte actuel, elle doit surtout anticiper les transformations sociales à venir. L’hypothèse de départ de cette recherche repose sur l’idée que nous traversons une époque de fragilisation du statu quo, annonçant ainsi la fin d’une période hégémonique, le retour en force de la coercition, de la bipolarisation, des ruptures révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Le processus de mondialisation néolibérale et la croyance en un marché autorégulateur reproduisent une dynamique analogue à celles des années de l’entre-deux-guerres, telle que décrite par Karl Polanyi dans son livre magistral La Grande transformation.
Le retour en force du fascisme et du socialisme, dans certains pays dont la Grèce représente le meilleur exemple, constitue le symptôme d’une crise générale qui affectera plusieurs sociétés dans les deux à dix prochaines années. Cela ne signifie pas que la gauche radicale et l’extrême-droite se tirailleront les haillons du Québec dans un avenir rapproché. Plus précisément, une nouvelle polarisation de l’espace public et politique déclenchée par le dernier printemps érable n’est pas sur le point de se résorber, bien au contraire. L’échec du modèle québécois, représenté par la décomposition de l’État-providence, la crise de confiance démocratique et l’irrésolution de la question nationale, constitue un cocktail explosif pour les mouvements révolutionnaires et conservateurs. De plus, la logique néo-impérialiste de l’État canadien, combinée à la fragilité de l’économie financière et la crise écologique, ajoutent des éléments déclencheurs dont les répercussions sont difficilement prévisibles.
Nous entrons dans une importante phase de transition. Elle ne reproduira pas mécaniquement l’histoire passée, mais risque tout de même d’engendrer certains phénomènes sociopolitiques sensibles aux contextes de crise. « Si l’histoire ne se répète pas, les comportements humains se reproduisent », comme le rappelle Michel Godet.
La métamorphose du Parti québécois
Je tien à féliciter Jonathan Durand-Folco pour son travail
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