Laissons Francis Lagacé nous parler de notre système de santé.
La santé malade de sa gestion
14 décembre 2014
J'emprunte le titre de mon billet à l'ouvrage de Vincent de Gaulejac : La société malade de la gestion paru une première fois en 2005 aux éditions du Seuil, puis réédité en 2009. Il y a donc assez longtemps que ce chercheur et penseur français nous met en garde contre les dérives déshumanisantes de la gestion qui privilégie les chiffres et range les humains parmi les ressources qu'on peut traiter de manière comptable.
Les nombreuses et récentes modifications au système de santé québécois en sont une illustration désolante. Prenons l'une des toutes dernières proposées par le Dr Barrette, ci-devant ministre de la Santé. Au lieu de faire comme en Suède, dont on prétend s'inspirer, et d'augmenter l'accès aux soins en favorisant un plus grand nombre de médecins (il y en a 50% plus en Suède qu'au Québec, toute proportion gardée), le ministre propose que les médecins de famille voient beaucoup plus de patients. Autrement dit, qu'ils fassent du chiffre.
Ce n'est pas vraiment une nouveauté que d'appliquer une technique exigeant qu'on fasse plus avec moins, qu'on ne perde pas une seconde, qu'on ne respire pas entre deux activités de travail, qu'on performe comme sur une chaîne de montage et qu'on traite les patients comme des unités de production qu'on peut multiplier. C'est l'application de la méthode Toyota, poétiquement appelée «optimisation» avec un joli nom, comme tout ce qui est dégueulasse dirait Foulquier avec les paroles de Le Prest.
Maintenant qu'on veut appliquer cette optimisation aux médecins généralistes et à leur pratique, ils se rebellent publiquement, ce qui est la moindre des choses, mais tout le système est déjà engagé dans cette voie qui «transforme les usagers en clients, les agents en représentants de commerce et les institutions en entreprises.» (de Gaulejac, édition 2009, p. 10)
Au final, notre système de santé au lieu de remettre les gens sur pied rendra tout le monde malade à commencer par ses fidèles employéEs qui n'auront plus aucun plaisir à rendre des soins selon des contraintes impossibles, qui feront des dépressions, auront des troubles de toutes sortes et ne seront plus capables d'entrer en relation avec des personnes humaines qui ont besoin d'attention et de temps de qualité, la chose la plus importante dans la guérison.
LAGACÉ, Francis
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