Alexandre Leduc nous parle de l'exemple islandais
La constituante islandaise: un exemple pour le projet de Québec solidaire.
Posté le 29 juillet 2013 par Alexandre Leduc
La constituante islandaise: un exemple pour le projet de Québec solidaire.
J’ai terminé récemment la lecture d’une plaquette fascinante : La Révolution des casseroles, chronique d’une nouvelle constitution pour l’Islande de Jérôme Skalski.
Le journaliste au Monde diplomatique relate en détail les différentes étapes entre la révolution des casseroles de 2010 et l’adoption par référendum de la nouvelle constitution de l’Islande en 2012.
À mesure que le débat autour de la démarche constituante prend de l’ampleur au sein du mouvement souverainiste (en témoigne l’adoption d’une résolution à ce sujet aux États généraux ), il faut que QS peaufine son discours et sa position qui est, pour l’instant, claire sur les principes, mais plutôt vague sur la mécanique. Ce flou s’explique en partie par le fait que nous n’avons presque aucun exemple historique contemporain d’une nation qui a fait son indépendance au même moment ou il a adopté sa nouvelle constitution. Nous devons donc construire un modèle particulier pour l’expérience québécoise. Celui de l’Islande peut nous aider.
Pour bien comprendre les différences d’échelles entre la société islandaise et la société québécoise, l’Islande est une nation peuplée de 319 000 habitants dont les 2/3 habitent dans la grande région métropolitaine de Reykjavik. La chambre des députés contient 63 sièges. Quant au Québec, nous sommes 8 millions dont la moitié habitent dans la grande région de Montréal. Il y a 125 sièges à l’Assemble nationale.
C’est suite à la crise économique de 2008 que la population islandaise se mobilise contre les élites qui tentent de se servir des deniers publics pour renflouer les grandes banques responsables du désastre financier. Le peuple sort dans la rue et exige un référendum sur le plan de sauvetage banquier. Elle l’obtient et rejette le plan avec une forte proportion. Le gouvernement en place est forcé de démissionner en janvier 2009. C’est la Révolution des casseroles.
De nouvelles élections générales sont tenues en avril 2009 et les partis de gauche et de centre prennent le pouvoir sous l’impulsion de la Révolution des casseroles. Ils ont alors le mandat de renouveler la constitution qui date de 1944.
Le projet de loi pour instituer l’Assemblée constituante est déposé en chambre le 4 novembre 2009. De nombreuses tractations politiques font en sorte que son adoption définitive n’aura lieu que plusieurs mois plus tard, c’est-à-dire le 16 juin 2010. L’assemblée peut siéger du 15 février 2011 au 15 avril de la même année. En d’autres mots, elle a deux mois pour exécuter ses travaux.
Il y a 25 sièges à être pourvu par un scrutin général ou tout le monde peut déposer sa candidature à l’exception des députés. Au total, 525 personnes font de la sorte et les électeurs islandais doivent voter par ordre préférentiel pour 25 candidats. Particularité intéressante, un nombre de 6 sièges supplémentaires est prévu en cas de trop grande disparité entre le nombre d’hommes et de femmes élus parmi les 25 personnes. Comme le résultat est de 15 hommes et 10 femmes, on juge le déséquilibre pas suffisamment important pour débloquer les sièges supplémentaires.
Blocages
L’auteur identifie deux défis importants auxquels la constituante doit faire face. Le premier est le taux de participation très décevant de 37 %. Alors que l’élection générale de l’année précédente avait mené 85% des Islandais aux urnes, un record dans l’histoire politique de cette nation, le résultat de la constituante s’explique en partie par un boycott en sourdine de la droite et un silence médiatique.
Ce triste résultat est peut-être tributaire du deuxième problème : l’opposition de la Cour suprême. En effet, la plus haute instance judiciaire du pays, dont les juges ont été nommés par les partis traditionnels de droite, décide peu de temps après le scrutin de déclarer illégale l’élection des membres de la constituante pour cause d’allégations de quelques irrégularités dans la tenue du scrutin. Cela prend la coalition au pouvoir par surprise et le gouvernement est contraint de procéder à la nomination par un vote au parlement des 25 personnes qui avaient remporté le scrutin.
La « Fourmilière »
Une autre particularité fascinante de la démarche de la constituante islandaise est ce qui a précédé les travaux des commissaires. En effet, des centaines d’organismes de la société civile avaient fondé une coalition, la « Fourmilière », avec le mandat d’organiser des grands débats citoyens alentour du renouveau politique et de la démarche de la constituante. Leur puissance d’organisation et le succès de leur premier événement (plus de 1500 participants) forcent le gouvernement à les inclure dans la préparation de la démarche officielle.
Dans les mois précédents les débats officiels des 25 élus de la constituante, la Fourmilère organise, de concert avec le gouvernement, un immense forum citoyen sur la révision de la constitution. Cette démarche permet de nourrir les travaux des élus de la constituante. Les procès-verbaux des délibérations de ceux-ci sont d’ailleurs tous publics et une séance synthèse est diffusée sur le web une fois par semaine. Le 2.0 est donc largement mis au service du débat citoyen.
Démocratiser le pouvoir législatif
Cette forte présence citoyenne jumelée au fait que la constituante est le fruit d’une coalition gouvernementale d’un parti de gauche et d’un parti de centre a fait en sorte que la nouvelle constitution contient des dispositions étonnantes :
1) Suite à la signature de 10% de la population, un projet de loi est introduit dans l’agenda législatif de la chambre. Cela est, selon l’auteur, inédit en Occident, voir dans le monde. Partout ailleurs, ce sont uniquement les députés qui peuvent introduire des projets de loi. En Islande, le peuple détient également ce pouvoir.
2) Suite à la signature de 10% de la population, tout projet de loi doit obligatoirement être l’objet d’un référendum. Cette procédure se rapproche des référendums d’initiative populaire qui font consensus dans la gauche québécoise et dont le principe a récemment été adopté par le PQ sous l’initiative de Bernard Drainville.
Résultat
Au final, l’assemblée constituante délibère durant 3 mois et remet un projet de constitution au parlement le 29 juillet 2011 contenant 114 articles répartis en 9 chapitres. Ce n’est que le 20 octobre 2012, donc plus d’un an plus tard, que la proposition constitutionnelle est mise aux voix par référendum. Seulement 49% des Islandais se prononcent lors de ce référendum et 66% d’entre eux approuvent les propositions de la constituante.
Précision importante, les électeurs votent d’abord pour ou contre l’ensemble de la constitution. Ensuite, ils votent sur 5 questions plus précises du type : «Dans la nouvelle constitution, voulez-vous que les ressources naturelles qui ne sont pas une propriété privée soient déclarées propriété nationale ?» ou encore «Voudriez vous voir mentionner dans la nouvelle constitution qu’une certaine proportion de l’électorat peut exiger que des questions soient soumises au référendum ?»
Ainsi, la Constituante permet donc de valider certains points plus litigieux avec le peuple islandais. Le seul endroit où la population a voté contre la suggestion de la constituante est à l’idée d’abolir les références à une Église d’État dans la constitution.
Ce qu’il faut retenir de l’expérience islandaise
Ce que je retiens de la démarche de la constituante islandaise est qu’elle est le fruit d’un mouvement populaire très fort qui a su imposer un agenda à la classe politique et au gouvernement. Il faut ensuite réaliser l’importance des groupes populaires et des technologies du web 2.0 dans les délibérations citoyennes précédant la tenue formelle de l’assemblée constituante.
L’intrusion de la Cour suprême islandaise est à prendre au sérieux. Il ne serait pas étonnant qu’un coup fumant du même acabit soit mis en branle par la Cour suprême du Canada. Rappelons-nous qu’elle ne s’est pas gênée pour déterminer que 50%+1 n’était pas suffisant pour déclarer l’indépendance.
Finalement, ma principale critique du livre de Jacques Skalski est le peu d’attention dévolue à la joute politique. Il décrit rapidement les différents partis de gauche, de centre et de droite et les jeux de coalition entre eux. Cependant, il n’y a aucune explication par rapport aux liens entre le parti de gauche (similaire à QS) membre de la coalition au pouvoir avec le parti de centre (plus proche du PQ). Alors que l’on n’a jamais autant parlé de « convergence nationale » et d’États généraux du mouvement souverainiste, il aurait été intéressant de comprendre un peu mieux la dynamique entre les deux partis au pouvoir tout au long de la démarche de la constituante.
Finalement, l’auteur n’a pas vraiment préparé de conclusion où il aurait pu présenter une analyse synthèse. Pour vous faire votre propre idée de son travail et pour découvrir plus de détails à propos de ce sujet fascinant, je vous invite à trainer son bouquin durant vos vacances!
Référence complète : Jérôme Skalski, La Révolution des casseroles, chronique d’une nouvelle constitution pour l’Islande, Éditions la Contre allée, France, 2012, 102 p.
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