Laissons Francis Lagacé nous parler de la T.V.
Le talent et la sagesse
9 décembre 2013
Mon conjoint et moi ne regardons à peu près jamais Tout le monde en parle, mais hier soir nous avions envie d'une soirée un peu molle, passive, où nous nous contenterions de regarder passer les trains (comme dans la chanson Les Bonbons de Brel).
Alors, nous regardions sans grand intérêt et sans passion défiler les plus ou moins «pipoles» tout en sirotant le digestif. Évidemment, nous avons zappé quand nous avons entendu l'annonce que le si bon Dr Julien venait dans la séquence suivante. Nous n'avions nullement envie d'entendre une ennième fois sa promotion de l'action sociale vue comme une entreprise alors que le gouvernement a dépouillé les CLSC, qui avaient cette mission sociale, laquelle n'est surtout pas une affaire ou une entreprise.
Ça nous a permis de revoir sur une chaîne de Plattsburgh une séquence de Columbo et de nous demander comment on pouvait porter un imperméable par dessus un complet quand on travaille à Los Angeles, un pays où il fait chaud et où il pleut très rarement.
Quand nous sommes revenus à la télé radio-canadienne, on annonçait Daniel Clarke Bouchard. Drôle et plein d'aplomb, mais quand nous l'avons entendu jouer, ce fut le choc! Je n'ai qu'un mot: Wow!
Des talents comme ça, il y en a peu.
Ensuite, je me suis rappelé une anecdote que j'aime bien raconter pour montrer comment se comportent les vrais grands artistes.
C'était au tout début des années 90. Je m'étais rendu à un brunch organisé par l'Union des écrivains et j'étais accompagné de mon conjoint. Mon conjoint était assis juste à côté du grand poète et musicien africain Francis Bebey, que dans mon ignorance, je ne reconnus donc pas.
Devant monsieur Bebey, il y avait l'une de ces dames qui aiment tant la culturre en roulant les r, et qui s'extasiait sur la Toscane. «Ah, monsieur Bebey, connaissez-vous la Toscane?» Et l'autre répondit tout simplement: «Non.»
--Ah, monsieur Bebey, il faut absolument que vous y alliez! C'est la plus belle partie de l'Italie, reprit-elle.
--D'accord, rétorqua-t-il poliment avant de se tourner vers mon conjoint pour lui demander s'il était poète.
Mon compagnon répondit qu'il accompagnait un écrivain en me désignant du doigt. Et monsieur Beby de reprendre:
--Donc, c'est vous l'écrivain. Mais vous, Monsieur, toujours en s'adressant à mon homme, vous faites quoi?
--Je travaille dans le textile.
--C'est bien, et vous, Monsieur, s'adressant à moi, qu'est-ce que vous écrivez?
--Des poèmes, contes, des nouvelles, des romans.
--C'est beaucoup!
--Est-ce votre première visite à Montréal m'enquérai-je alors?
--Non, je suis venu au Festival de Jazz l'été dernier. Et là, j'ai été invité par l'Union des écrivains. Hier, j'étais à la Maison des écrivains, j'ai beaucoup aimé.
--J'espère que vous apprécierez votre séjour, ajoutai-je.
--Malheureusement, je dois partir aujourd'hui, car je donne un concert ce soir.
--Pas ici?
--Non, c'est à New York.
--À quel endroit?
--C'est au Carnegie Hall, dit-il tout simplement sans en faire plus de cas.
--Mais, dites-moi, dans quel style écrivez-vous?
Et notre conversation fut abrégée par les discours qui commençaient à l'avant-scène.
Les plus grands ne se prennent pas la tête et accordent de l'importance aux gens peu importe d'où ils viennent et ce qu'ils font. Ils ne se glorifient pas d'aller ici ou là. Ils font ce qu'ils ont à faire.
Daniel Clarke Bouchard est plein de talent. Il est très jeune aussi. La sagesse lui viendra avec l'âge, ou pas.
LAGACÉ, Francis
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