La convergence entre les partis souverainistes est-elle possible?
Oui, mais il faudra mettre en œuvre
des moyens novateurs et audacieux
des moyens novateurs et audacieux
par Paul Cliche
L’indépendance du Québec n’appartient pas aux partis politiques, mais aux citoyens. L’affirmation de la souveraineté populaire est au coeur des déclarations de principes des deux rassemblement mis sur pied en 2111 pour se livrer à un travail de mobilisation citoyenne, le réseau Cap sur l’indépendance et le Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ).
Mais comme ce ne sont que des partis politiques qui peuvent servir de véhicules pour que ce statut constitutionnel obtienne une reconnaissance juridique, la nécessité d’une convergence entre les trois principaux partis souverainistes (le Parti québécois, Québec solidaire et Option nationale) est ressentie avec de plus en plus d’acuité par les militants. Bernard Landry vient d’admettre que les Québécois ne pourront pas s’unir sous la bannière d’un même parti politique contrairement à ce qu’il avait toujours soutenu. Il a fait cet aveu devant une centaine de militants souverainistes réunis à l’initiative du NMQ dimanche dernier. L’ex-premier ministre a alors suggéré que les trois partis souverainistes concluent «un pacte mathématique aux prochaines élections».
Le NMQ préconise une option semblable. Son porte- parole Jocelyn Desjardins a déclaré qu’il faut trouver un moyen de «se réunir sous un parapluie commun». Il a alors annoncé que l’organisme souhaite organiser, le printemps prochain, un «congrès national québécois» où les partis politiques souverainistes pourraient tenter de trouver un terrain d’entente. Mais, lors de la même réunion, le militant et metteur en scène Dominic Champagne s’est montré plus pessimiste soutenant que, lors des prochaines élections, le PQ fera probablement le pari qu’il peut faire l’économie d’alliances avec Québec solidaire (QS) et Option nationale (ON) et que ces derniers penseront peut-être qu’ils peuvent augmenter leurs suffrages en restant autonomes. «Les souverainistes se cherchent», a conclu le journal 24h qui a rapporté l’évènement. Comment mettre fin à cette incertitude paralysante?
Un constat qui entraine des corollaires
Comme M. Landry, la quasi-totalité des souverainistes sont maintenant d’accord pour admettre que la conjoncture qui prévalait en 1968, alors que le Rassemblement pour l’indépendance nationale de Pierre Bourgault et le Ralliement national de Gilles Grégoire se sont dissous pour se joindre au PQ de René Lévesque, est bien différente aujourd’hui. Comment alors opérer la convergence entre les trois formations pour éviter la division qui a marqué les dernières élections et qui pourrait même causer la défaite du gouvernement Marois lors des prochaines ?
Premier corollaire de ce constat : Il faut réaliser que nous ne sommes pas en face d’une problématique causée par une situation conjoncturelle mais bien structurelle. Cette dernière ne peut donc se régler par des négociations sur une éventuelle alliance électorale qui serait de toute façon impossible à conclure. Il faut plutôt envisager des solutions en profondeur qui obligeront le PQ à effectuer des changements de cap majeur sur des questions essentielles comme la réforme du mode de scrutin, ainsi que l’acceptation de la coalition comme mode de gouvernance.
Le PQ devra d’emblée renoncer à sa traditionnelle hégémonie sur le mouvement souverainiste. Il faut -comme ça s’est encore malheureusement produit le 4 septembre et risque de se reproduire la prochaine fois- qu’il cesse de se servir du vote stratégique pour contraindre moralement des milliers de souverainistes progressistes de l’appuyer en se pinçant le nez plutôt que de voter selon leurs convictions en faveur de partis comme QS et ON. Même le Nouveau mouvement pour le Québec s’est prêté à ce jeu, douteux démocratiquement, à la veille du denier scrutin.
Que chaque parti puisse faire le plein de ses voix
Ce climat politique malsain ne pourra se dissiper que si le mécanisme électoral qu’est le mode de scrutin permet à chaque parti de faire le plein de ses voix ainsi que de faire élire un nombre de députés en proportion des votes recueillis. Il faut aussi que le système cesse de déformer la volonté populaire qui s’exprime dans l’urne au profit du parti vainqueur et aux dépens des formations d’opposition surtout des tiers partis qui sont la plupart du temps exclus de toute représentation parlementaire. Le 4 septembre dernier, la surreprésentation du PQ et Parti libéral, d’une part, et la sous-représentation de Québec solidaire ainsi que l’absence de représentation d’Option nationale, d’autre part, ont fourni une ixième illustration de ces résultats aberrants qui constituent pourtant la règle d’airain du scrutin majoritaire.
Une alliance entre les partis souverainistes ne pourra donc survenir en conservant un tel mode de scrutin car les deux formations en émergence n’y trouveront pas leur compte. Quand tiendra-t-on enfin compte de cette réalité incontournable dans les cercles souverainistes traditionnels? Ou feint-on de ne pas la voir ? Aux ronrons qui se veulent rassurants doivent succéder la mise en œuvre de moyens innovateurs et audacieux seuls capable d’apporter des solutions valables. Il faut s’atteler à la tâche plutôt que de se réfugier hypocritement dans la zone éthérée des vœux pieux qui, telles des incantations, servent en réalité à masquer la défense d’intérêts purement partisans.
Deuxième corollaire du constat: Seul un mode de scrutin doté d’une composante proportionnelle significative peut régler ces problèmes fondamentaux qui nuisent considérablement au fonctionnement d’institutions parlementaires fragilisées suite à l’élection d’un gouvernement minoritaire. Sans mentionner les prochaines élections qui surviendront inéluctablement dans 18 à 24 mois mois au maximum. Pendant la dernière campagne électorale, on a pourtant pu constater que l’urgence de réformer le mode de scrutin a été un des sujets les plus fréquemment abordés par les commentateurs et les citoyens autant dans les médias sociaux que traditionnels. Il était saisissant de constater comment le fossé était profond avec les trois partis principaux qui, mus par leur opportunisme électoral à courte vue, ont complètement ignoré cet enjeu capital.
La nécessité d’une coalition
Ceux qui préconisent des coalitions gouvernementales dans les pays où est implanté le parlementarisme britannique ont bien peu de succès. On l’a constaté à Ottawa, il y a quelques années, alors que le premier ministre Stephen Harper a laissé poindre une crise constitutionnelle s’il n’obtenait pas de la gouverneur générale Michaëlle Jean la permission de proroger la session. Il voulait ainsi empêcher les libéraux et les néo-démocrates, appuyés par les bloquiste, de renverser son gouvernement minoritaire et de le remplacer par un gouvernement de coalition qui aurait été majoritaire.
C’est donc évident que les coalitions ne font pas partie de notre culture politique. Ce phénomène s’explique par le fait que le scrutin majoritaire, issu de l’Angleterre, a réussi pendant plus d’un siècle à assurer des gouvernements stables puisque ce dernier assurait l’alternance au pouvoir des deux seuls partis importants existants. Mais avec les changements survenus dans la société, surtout depuis la dernière Guerre, cette dualité s’est transformée en multipartisme puisque l’éventail des tendances idéologiques s’est considérablement élargi. Résultat: neuf élections sur 19 tenues au niveau fédéral depuis 50 ans ont produit des gouvernements minoritaires. Et au Québec, ce phénomène s’est manifesté en 2007, en 2012 et se reproduira probablement la prochaine fois.
Il est donc évident que le scrutin majoritaire n’est plus un mécanisme électoral approprié puisqu’il ne réussit plus à atteindre son principal objectif qui est de mettre en place des gouvernements majoritaires. Il ne reste donc que la représentation proportionnelle qui se décline sous plusieurs formes dont le scrutin mixte avec compensation (majoritaire-proportionnel) qui allie les avantages des deux modes. C’est d’ailleurs un système semblable que le gouvernement Charest a envisagé d’instaurer. Un projet qu’il a finalement mis sur les tablettes en 2006 succombant aux pressions de lobbyistes. Mais ce projet existe toujours et il n’attend que d’être dépoussiéré pour qu’il se matérialise.
Toutefois, un scrutin proportionnel nécessite presque toujours la constitution de coalitions où le parti arrivé en tête s’allie avec d’autres avec lesquels il a des affinités pour former un gouvernement. Contrairement au préjugé prévalant au Canada, l’expérience vécue ailleurs dans le monde depuis des décennies démontre que ces gouvernements ont une durée de vie sensiblement plus longue que nos gouvernements minoritaires et qu’ils performent très bien. Qu’on pense, par exemple, aux pays scandinaves, à l’Allemagne, à la Suisse, à la Nouvelle-Zélande et à bien d’autres.
Comment un tel système pourrait-il fonctionner au Québec? Pour garantir la transparence du processus, les partis souverainistes signeraient un document pré-électoral où, dans l’éventualité d’une victoire, ils se mettraient d’accord sur un certain nombre de points de convergence. Le contenu de ce document serait rendu public et les électeurs en prendraient connaissance durant la campagne électorale. On serait alors bien loin de tractations de coulisses post-électorales où la volonté exprimée par l’électorat risquerait d’être bafouée.
Par ailleurs, les partis demeureraient des adversaires à part entière sur le plan électoral et défendraient leur propre programme durant la campagne avec l’objectif de recueillir le plus grand nombre de votes possibles. Grâce au scrutin proportionnel ils pourraient faire le plein de leurs voix Mais on aurait tout au moins aménagé un terrain d’atterrissage pour que la suite des choses se déroule de façon plus ordonnée.
Voilà le genre de défis que les souverainistes devront relever pour faire en sorte que leur option prévale électoralement et que le Québec aient les moyens politiques de cheminer surement vers un pays indépendant. Autrement, l’option souverainiste sera promise à un déclin inéluctable avec tout ce que cela implique de déboires pour la nation québécoise.
Montréal, 29 novembre 2012
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