lundi 29 janvier 2018

Manifeste « L’autre gauche » ou l’art de refuser de francs débats


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Manifeste « L’autre gauche » ou l’art de refuser de francs débats



Mardi 23 janvier 2018 / DE : Bernard Rioux

Roméo Bouchard et Louis Favreau viennent de lancer un manifeste intitulé : « L’autre gauche au Québec, ce grand réseau citoyen et démocratique enraciné dans l’action collective ». « L’électorat écrivent nos auteurs, est déçu, confus et déstabilisé », mais le manifeste ne nous offre comme perspective au moment de passer à l’action que de faire la promotion d’un projet politique vaguement défini « auprès de nos concitoyens et auprès de nos réseaux, organisations de même qu’auprès de ceux qui nous dirigent et aspirent à nous diriger. » C’est vraiment court. Donner à la gauche citoyenne le rôle de groupe de pression sur les élites politiques, c’est déjà une impasse.

Le manifeste ne donne pas l’ombre d’une explication aux fondements du blocage de la société québécoise et à la domination des partis néolibéraux chez l’électorat. Il ne semble pas entrer dans les préoccupations des auteurs de tenter d’expliquer la situation actuelle par des questionnements sur les stratégies déployées sur les terrains national et social, qui ont permis à l’oligarchie dominante et à l’État fédéral de s’imposer. C’est pourtant de pareils bilans qui sont essentiels. Au lieu de ces nécessaires réflexions, on nous assène une formule qui relève d’une possible quête du Graal qui n’aurait pas abouti : « Aucun projet ne parvient à susciter la confiance et l’enthousiasme. »

D’autant que les partis politiques, prétendent-ils « changent de programme au gré des sondages et des scandales politiques ». Québec solidaire a pris dix ans dans un processus fondamentalement démocratique à développer un programme concret. Mais les auteurs identifient Québec solidaire à une telle pratique sans autres formes de procès. Québec solidaire serait trop multiculturel, trop électoraliste, trop socialiste passéiste et trop peu enraciné dans notre histoire et notre territoire. Mais nos auteurs ne se donne pas la peine d’apporter le moindre argument sérieux à ces jugements péremptoires. Mais, le PQ lui aurait « un programme renouvelé nettement progressiste sur le plan social, économique et environnemental. » Il est important de tenir compte de cette posture politique pour mieux saisir la suite.

Une gauche citoyenne progressiste et monochrome

Le manifeste se veut généreux. Être citoyen progressiste, c’est travailler à l’avènement d’un Québec démocratique, égalitaire, solidaire, écologique, souverain, libre et heureux. Mais la définition concrète de ce projet et les voies pour parvenir à ce projet de société ne sont pas l’objet de ce manifeste. Le manifeste vise à construire une opposition radicale entre deux secteurs de la gauche : celle que l’on retrouvait dans les syndicats, les groupes communautaires, les entreprises d’économie sociale, dans les groupes luttant pour la reconnaissance des autochtones, qui lutteraient pour l’égalité des femmes et pour la solidarité avec les pays du sud et une gauche multiculturaliste, inclusive et postnationale, montréalaise et somme toute déracinée.

Pourtant dans l’ensemble des organisations des différents mouvements sociaux, la gauche n’est pas unicolore. Dire que la gauche des mouvements sociaux est pour l’émancipation du Québec, la laïcité et l’accueil des personnes immigrantes, c’est définir la réalité de cette gauche par des mots-valises. Car sur toutes ces questions, des débats traversent la gauche. Et ces débats doivent être menés, car leur résolution sera la source d’une unité retrouvée. Les objectifs invoqués sont l’objet de débats stratégiques incontournables : faut-il unir la gauche et la droite dans la lutte pour l’indépendance, la concertation sociale avec le patronat doit-elle être privilégiée dans la bataille contre l’offensive néolibérale ? Une transition énergétique peut-elle ou non s’appuyer sur des secteurs du patronat ou passe-t-elle par la reprise en mains de nos richesses naturelles et le contrôle populaire sur les investissements en matière d’énergies ? La lutte contre le racisme systémique est-il un moment essentiel de la lutte pour l’égalité dans une société démocratique ou un faux problème ou problème secondaire ? La laïcité est-elle une marque de l’identité québécoise ou une lutte pour la liberté religieuse et la totale indépendance de l’État face au pouvoir religieux ? La gauche qu’on définit comme citoyenne et démocratique qui aurait tranché sur toutes ces questions n’existe tout simplement pas. En fait, des jeunes étudiant-e-s, des femmes membres d’ organisations comme la Fédération des femmes du Québec, des écologistes qui posent la question de la transition en pointant les puissances d’argent, il en existe partout au Québec… Les militants et les militants de Québec solidaire proviennent pour l’essentiel de ces mouvements… Pourquoi nos auteurs dénient-ils des réalités fort bien connues ?

Caricaturer sans vergogne la gauche qui refuse toutes les formes d’oppression

Après avoir construit une gauche définie par des termes vagues, le manifeste se concentre dans un véritable jeu de massacre contre ce qu’il nomme une gauche multiculturelle, inclusive et postnationale. En fait, il n’existe pas une telle gauche qui « défend l’intégrisme islamique ». Il n’existe pas une telle gauche qui « ne jure que par la Charte canadienne des droits de la personne ». Nos auteurs pour qui une gauche inclusive semble odieuse ne disent pas un mot sur la réalité ou non du racisme systémique, de l’islamophobie ou de la xénophobie au Québec, comme ils ne disent rien sur les prises de position du Parti québécois ou de la CAQ sur les récentes vagues d’immigration. Il n’explique pas davantage pourquoi la notion de catholaïcité n’est pas pertinente, alors que les seuls véritables engagements envers une religion au Québec concernent le financement des écoles privées religieuses dont la vaste majorité est catholique. Sur toutes ces questions, il y aurait un consensus. Voyons donc. Ces débats concernent toute la gauche…

Parler de gauche postnationale, et placer Québec solidaire dans cette catégorie, c’est pour le moins douteux. L’idée de nation n’a rien d’évident. Le nationalisme ne se décline pas dans une seule version. Les interprétations de la nation par les défenseurs du nationalisme de souche ne relèvent pas de la même réalité que le nationalisme anti-impérialiste exprimant l’indignation face au contrôle par les multinationales étrangères des ressources du Québec. Les élites nationalistes qui ont pris la direction du mouvement souverainiste ont transformé l’objectif de l’indépendance en souveraineté-association, en souveraineté-partenariat ou en gouvernance souverainiste. Leur incapacité d’envisager une rupture totale avec l’État canadien a affaibli le mouvement indépendantiste. Et il ne faudrait pas faire le bilan de ces expériences de défaites et identifier les voies d’un dépassement. Il ne s’agit pas de dénoncer des traîtres, mais de comprendre ce qui nous a menés à la situation de recul actuel afin de ne pas s’engager de nouveau sur le chemin des défaites.

L’indéfinition d’un projet dit rassembleur ?

Le projet rassembleur est défini par quatre grands axes : une réforme démocratique, une meilleure répartition de la richesse, une transition écologique et la souveraineté politique. On pourrait dire, si on y ajoutait une société refusant la domination patriarcale, que ce sont là des axes de Québec solidaire. Et ce serait vrai. Mais, on ne mobilise pas sur de grands principes par ailleurs mal définis. Quelle réforme démocratique ? Quelles transformations à nos institutions ? Quelle place doit jouer la démocratie au sein même des entreprises ? Quelles sont les conditions d’une véritable transition énergétique ? Quelle laïcité promouvoir ? Comment lutter contre le patriarcat ? Pourquoi la lutte contre le racisme systémique est-elle un combat essentiel pour la gauche ? Comment concevoir la solidarité entre les peuples et une réelle altermondialisation ? Ce sont là des questions sur lesquelles se sont penchés les membres de Québec solidaire et dont les réponses forment l’armature de son programme. Le projet rassembleur de votre Manifeste se rapproche-t-il du programme renouvelé du PQ « nettement progressiste sur le plan social, économique et environnemental » alors que ce programme vise la « construction d’un pays prospère en soutenant le Québec entrepreneurial de toutes les forces d’un gouvernement péquiste » et que la Proposition principale avance la participation aux alliances militaires des grandes puissances : l’OTAN et NORAD. On est loin d’une politique favorisant une culture de paix et la participation à des institutions pacifistes et de la nécessaire sortie de l’OTAN et de NORAD que l’on retrouvait dans le programme du Parti Québécois de 1970. Le projet du manifeste « l’Autre gauche » n’est rassembleur que par ce qu’il ne dit pas et par les divergences qu’il refuse de trancher !

En somme, cette attaque contre une gauche caricaturée au nom d’une gauche citoyenne fantasmée qui ne serait pas traversée par des débats et des clivages et qui se reconnaît pour une bonne part dans le programme renouvelé du PQ, c’est celle d’une gauche qui refuse de clarifier un projet réellement en rupture avec celui des élites nationalistes et qui refuse d’assumer une indépendance politique totale par la construction d’un véritable parti de la gauche populaire. C’est tâche a mobilisé l’ensemble des militantes et militants de Québec solidaire depuis plus dix ans maintenant. Chercher à mépriser ses efforts par le déni et la caricature est pour le moins irresponsable.

L’autre gauche est un manifeste qui se caractérise par ses non-dits et des caricatures de ses opposants politiques. Il s’avère incapable de se donner les moyens de ses fins. Il est le point zéro de toute politique stratégique. Roméo Bouchard et Louis Favreau oublient l’essentiel que nous rappelle Émir Sader : « La gauche prend naissance dans ses luttes contre l’oppression, les injustices et les discriminations. Elle est là pour défendre les droits de tous, l’égalité et la justice. »

 

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