Laissons la parole à Francis
14 septembre 2025
C’était en 1982. Au mois de mai ou pendant l’été ? Je ne sais. Je me rendais à une entrevue d’embauche pour une compagnie américaine qui donnait des cours de français en Nouvelle-Angleterre. Un poste s’était ouvert pour l’automne à venir. J’habitais Sherbrooke à l’époque. On m’avait donné rendez-vous dans des bureaux du centre-ville de Montréal. Rue Crescent, Stanley, Peel, tous les bureaux se ressemblent.
Je me souviens que c’était la première fois que je me rendais à Montréal avec ma voiture, une immense Dodge Polara de 1973, couleur butterscotch, que la plupart de mes amis appelleront « le bateau ». J’ai été assez impressionné en franchissant le pont Victoria parce qu’en regardant à côté de l’auto, on voyait le fleuve sous la chaussée grillagée de fer. Les pneus faisaient un vrombissement spécial.
Je ne me souviens pas beaucoup de l’entrevue, à part la finale qui a été décisive. La représentante de la DRH m’a demandé quelle était ma qualité principale. J’ai répondu « la franchise ». Vous pouvez être certaine de savoir ce que je pense quand vous me poserez une question. « Très bien, opina-t-elle. »
Ensuite, elle me demanda quel était mon principal défaut. J’ai répondu « la franchise ». « Mais la franchise n’est pas un défaut, reprit-elle. » Je repartis : Eh bien, si dans six mois ou deux ans, vous commettez un manquement à l’éthique ou aux droits des personnes que vous employez, je vous dénoncerai. Elle se rembrunit d’une façon qui ne laissait aucun doute sur cette éventualité. Je continuai : Et maintenant, nous savons tous deux pourquoi je n’aurai pas le poste. Je me levai et partis.
Il faisait beau, l’air était bon et le ciel était d’un bleu presque cobalt. J’avisai un café sur la rue Crescent et me ruinai en prenant deux espressos de suite (plus de 5 $ avant pourboire, on était en 82, bon sang !), choix que j’allais aussi regretter la nuit suivante avec mon pouls surexcité et mon incapacité à dormir.
Avant de rentrer, comme je n’étais pas loin, je me rendis au Musée des Beaux-Arts, ma première visite. Je passai du temps à admirer la collection permanente. En sortant, j’aperçus l’église Erskine and American. J’y entrai et découvris de magnifiques vitraux qui représentaient les saints et la passion de manière très moderne, dans un style début du XXe siècle, qui préfigurait l’Art déco. J’apprendrais plus tard qu’ils étaient de Tiffany.
Dans les années qui suivirent, outre au Jardin botanique et au marché Jean-Talon, j’envoyais tous les touristes vers cette église à cause de ses vitraux remarquables. Je continuais encore à y diriger les visiteurs après 2004, dans mon ignorance que l’église était fermée.
Je n’avais jamais revu les vitraux depuis 1982, et je ne cessais de dire à mon amoureux que je devrais l’emmener voir ça. Pourquoi je ne l’avais jamais fait, je ne sais. Il y a de ces choses qu’on se promet et qu’on retarde indéfiniment.
Quand nous les avons enfin vus ensemble, c’était en 2010 au Musée du Luxembourg à Paris, où ils attendaient, après leur restauration, d’être réinstallés aux fenêtres du bâtiment désaffecté acquis par le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM). C’est ainsi que j’appris la fermeture de l’église.
Aujourd’hui, dans ce pavillon du MBAM, l’intérieur de l’église porte le nom de salle Bourgie. L’acoustique y est parfaite. On y donne des concerts que nous avons eu grand plaisir à entendre. Chaque fois, on a pris le temps d’admirer ces vitraux qui réjouissent notre vue et ma mémoire.
LAGACÉ, Francis
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