vendredi 23 juillet 2021

Polléon, le fanfaron (histoire rigolote et absurde)

 

Laissons la parole à Francis

Polléon, le fanfaron
(histoire rigolote et absurde)

8 juillet 2021

En chinant chez un brocanteur de ma connaissance, j’ai avisé un petit secrétaire qu’il m’a bradé pour à peine plus qu’une bouchée de pain, car deux de ses tiroirs étaient fermement coincés. En travaillant à les débloquer, j’ai trouvé une sorte de cahier collé sous le fond du premier tiroir.

Le papier du cahier était épais comme on en trouvait dans les tablettes d’écriture semblables à celles que mon père utilisait pour les rares lettres officielles. Je me rappelle, la première page était un buvard. On y écrivait avec ce qu’on appelait une plume fontaine. Sur la page du dessus était dessinée une marquise vautrée dans un fauteuil luxueux surmontée d’un phylactère dans lequel était écrit en lettres fioriturées Au temps de jadis.

Dans le cahier, j’ai découvert ce petit conte anonyme, que je vous livre ici tel quel :

Il était une fois un petit garçon qu’on appelait Polléon le fanfaron.

Tout jeune, le petit Polléon apprit ce que mentir signifiait. À la différence de Pinocchio, il n’en subissait aucune conséquence physique fâcheuse. Au contraire, il en tirait toujours plus de profit.

Il comprit que mentir à ceux qu’on méprise permet de les écarter du chemin, comme mentir pour leur faire plaisir à ceux qui ont du pouvoir et de l’argent permet d’en avoir soi-même comme de récolter la poudre d’or qu’ils sèment parcimonieusement derrière eux. L’important est de ne pas désobéir aux puissants, juste leur raconter ce qu’ils veulent entendre et faire ce qu’ils disent. Quant aux gueux, on peut les piétiner tant qu’on veut quand on peut disposer de la brigade bastonnière offerte par les maîtres.

À l’école, Polléon mentit à la maîtresse pour en devenir le chouchou. La maîtresse ne fut que la première à découvrir les ficelles qui permettaient de manipuler le manipulateur. Lui n’avait qu’à chanter ses louanges pour lui plaire.

Polléon, qui mentait beaucoup, s’attendait à ce qu’on fît comme lui, qu’on lui mente et qu’on lui obéisse. Ses yeux se révulsait quand on lui disait la vérité et il piquait des crises interminables si on ne riait pas à ses pitreries grotesques qu’il croyait spirituelles.

Le saltimbanque ennuyeux était par ailleurs d’une profonde inculture, caractéristique qu’il admirait avant tout chez son lointain cousin le trumpettiste logé autrefois dans une toute blanche maison. Mais, comme il ne pouvait s’empêcher de mentir, au lieu d’afficher son ignorance, il la maquillait sous des citations absconses, incongrues, hors de propos ou carrément inventées de la même façon qu’il maquillait sa face ravagée par les névroses. Ses rares lectures étaient malsaines et pestilentielles : Pétain, Maurras, Evola...

La petite école du village ne suffisant plus au couple étrange formé par Polléon et sa préceptrice, ils furent adoptés par un châtelain de Versailles qui les combla des présents les plus précieux. Polléon était pourri de gâteries et recevait comme naturelles les offrandes extorquées aux classes laborieuses dont les exploiteurs le couvraient.

Il a fini par se convaincre, à force de mentir, que ses habits brodés d’or avaient été mérités par le travail important qu’il faisait, c’est-à-dire étourdir les auditoires avec un babillage assourdissant. Polléon en avait conclu que les pauvres étaient tous des voleurs qui cherchaient à lui enlever son bien.

L’adolescence le transforma en prince boudeur et narcissique, semblable à cette caste qui a cru que la Révolution signifiait remplacer une aristocratie par une autre. La méchanceté pour Polléon, c’était quand on refusait de céder à ses caprices.

C’est pourquoi dans la cour du collège luxueux où il régnait désormais, il devint le champion de l’arnaque, s’enfuyant aussitôt pour se cacher derrière les plus grands, qui le protégeaient en échange de quelque privauté. Il jouissait alors sadiquement du spectacle des victimes de ses larcins, lâchement rouées, lacérées, écorchées par de grands nervis aux étoiles dorées.

C’est ainsi que Polléon sut s’attirer une cour stupide et oiseuse à qui il jetait le reste de poudre de perlimpinpin dont il n’avait pas fait usage.

Mais que devint Polléon le fanfaron à l’âge adulte ? On perd sa trace avant qu’il n’y accède.

Francis Lagacé

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jeudi 15 juillet 2021

Pourrait-on travailler dans la dignité ?

 Notre interrogation sur le monde du travail.


Pourrait-on travailler dans la dignité ?

Par Francis Lagacé et Sergio de Rosemont

Souvent lorsqu’on regarde comme le patronat traite ses employé·e·s, on se demande si les patrons se rendent compte que les travailleuses et les travailleurs ont droit à la dignité.

Tout le monde a vu les conditions incroyables que vivent les personnes travaillant dans les entrepôts d’Amazon, où surveillé par un chronomètre, on n’a pas le temps d’aller faire ses besoins naturels, ce qui est pourtant la chose la plus élémentaire.

Plus près de nous, dans Rosemont, il y a eu l’exemple des Aliments Merci sur la rue Masson où on pouvait croire que le propriétaire de l’entreprise cherchait à rendre l’ambiance et les conditions de travail inhumaines.

Lorsque vous en êtes rndu à surveiller les travailleuses et les travailleurs par caméra pendant leurs heures de pose, c’est que vous ne faites pas la différence entre des personnes humaines et du matériel.

Comme si les employé·e·s étaient des outils dont on dispose à sa guise.

Pourtant ce sont bien les travailleuses et les travailleurs font le succès des entreprises. Ce ne sont pas les employeurs qui font vivre les employé·e·s, mais l’inverse. Sans les personnes pour faire tourner la production, il n’y a pas de profit pour les propriétaires. C’est d’ailleurs pour ça que les robots sont de plus en plus populaires. Les profiteurs aimeraient bien pouvoir se passer de la « ressource humaine ».

Mais, les robots n’achètent pas les produits et services des propriétaires. Les patrons sont-ils capables de comprendre ça ?

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mardi 13 juillet 2021

La fracture de la fiction

 

Francis nous parle de fiction.

La fracture de la fiction 

9 juillet 2021

Mon titre est inspiré d’un ouvrage de Patrice Desbiens La fissure de la fiction, ce long poème narratif qu’il a écrit pour complaire à son éditeur, car ce dernier, depuis longtemps, réclamait de lui un roman. En s’exécutant, il a vite compris qu’il n’avait rien fait d’autre que suivre son habitude : écrire des poèmes près de son expérience. Le résultat ne correspondait donc pas exactement à l’écriture de la fiction narrative, mais pourtant à un poème narratif, ce qu’il n’a jamais cessé de produire dans toute son œuvre.

Cependant, aussi proche que sa prose poétique soit de sa vie personnelle, on ne saurait l’exclure de la fiction, car le poème, en transformant le réel par l’image, la métaphore et autres jeux de rythme fait entrer la vie dans la fiction ou la fiction dans la vie. Ainsi la fracture de la fiction est-elle toujours présente dans les œuvres littéraires. En effet, la littérature se soustrait à l'application des tables de vérité comme l'a bien distingué Genette dans son lumineux essai Fiction et diction. Seule la non-fiction y est soumise et les œuvres littéraires ne sauraient être déclarées vraies ou fausses.

L'écrivain n'est pas auteur s'il n'assume pas la valeur fictive de sa production. Ce n’est pas pour rien que l’autofiction est bel et bien de la fiction, même si certains énoncés, eux, peuvent subir l’épreuve des tables de vérité (être classés selon les catégories du vrai et du faux). On dit bien certains énoncés, car ce ne saurait être le cas pour l’œuvre au complet qui, elle, échappe à cette classification. On ne peut pas dire que la pièce Roméo et Juliette est vraie ou fausse, mais on peut dire que, oui, Vérone est en Italie. De même, il est impossible de dire qu’un roman est vrai ou faux. Les faits auxquels les romans réfèrent le cas échéant peuvent être vrais ou faux, mais pas la globalité du récit.

De même, les énoncés littéraires sont souvent en dehors de ce que Genette a appelé la diction. Une phrase comme « La scientifique […] aboutit chez un modeste apothicaire dont l’enseigne défraîchie arbore ce qui reste d’un cheval vert. », extraite de mon roman Rose ? Vert ? Noir ! ne peut pas être déclarée vraie ou fausse. Elle est une partie d’un texte littéraire qui ne prétend aucunement décrire une réalité autre que fictive.

Même l'essai, qui jongle avec des réalités, constitue un récit littéraire dans lequel les arguments s’ébrouent, donc une œuvre de fiction. La valeur de vérité quant aux faits évoqués n’en est pas moindre. L’effet de conviction n’en est pas réduit. Les conclusions n’en sont pas moins crédibles pour autant. Pour paraphraser une formule du spécialiste Robert Vigneault, on pourrait dire que le contenu de l’essai est une sorte d’aventure ayant les idées pour personnages, ce qui aboutit comme le disait André Belleau, autre grand essayiste, à une « fiction idéelle ».

Je me rappelle Alexandre Jardin faisant la promotion de son livre Le Zubial. Je me disais que c’était à l’évidence de la fiction. Je me demandais pourquoi il cherchait tant à faire croire qu’un récit romanesque était véridique. Mais pourquoi donc les intervieweuses et interviewers faisaient-ils semblant de le croire ? Pourquoi n'était-on pas alerté par son rire nerveux ?

Il m’apparaissait indubitable que, derrière l’auteur rayonnant, la personne de l’écrivain était profondément malheureuse. On sentait qu'il avait dû beaucoup souffrir dans son enfance pour prétendre ainsi que ses romans n'en sont pas.

Et voilà que je l'entends dans une entrevue avec Stéphan Bureau (Ici radio-canada première, le samedi 12 octobre 2019, 13 h à 14 h) dire que, dans son dernier livre Le roman vrai d'Alexandre, il annonce enfin la vérité, que tout ce qu'il racontait dans ses romans était faux, que son histoire familiale est une invention, que son rire forcé servait de paravent à sa douleur. Toutes choses qui étaient pourtant si obvies.

Fort bien, mais voilà où il devra faire bien attention dorénavant. Attention à se croire lui-même et à penser que ses nouveaux romans sont l'entière vérité et n'ont plus rien de fictif. À croire que son personnage public est enfin devenu vrai et totalement vrai. Car le récit de sa vie est fictif dans la mesure où il fait l'objet de souvenirs personnels mêlés des impressions et sentiments qui les colorent. Et il faut bien admettre que les récits biographiques ont toujours cette part de fiction.

Quant au personnage public de l’auteur, il est nécessairement fictif, car il est une construction spéculaire résultant des effets médiatiques. Cette image étant par définition médiate et partielle, elle ne saurait jamais représenter une « vérité » de la personne. Seuls certains énoncés descriptifs vérifiables peuvent être déclarés vrais et ils concernent alors la personne de l’écrivain. C'est peut-être pour cette raison que Réjean Ducharme n'a jamais voulu participer de sa personne physique à la construction de son image d'auteur et pourquoi Patrice Desbiens refuse de se prêter au jeu du chien savant, que constitue souvent la carrière médiatique d'un artiste.

Comme on l’a vu, les faits auxquels les œuvres littéraires réfèrent peuvent être vérifiables le cas échéant, mais pas le récit. La poésie non plus n’a rien de vérifiable en tant qu’œuvre. C'est pourquoi je n'accepte pas cette impertinente distinction entre la poésie supposée non-fictive et les autres genres littéraires. Tous les genres littéraires appartiennent à la fiction et se dérobent à l'application des tables de la vérité. S'il y a bien une affirmation banale et constituant le b a ba de l’élocution littéraire [dans les récits, on parle de narrateur ; dans la poésie ou la chanson, on parlera d’énonciateur], c'est le « Je est un autre » de Rimbaud. Le je de la poésie n'est pas plus identifiable à l'écrivain que le je du roman, même quand, et peut-être surtout quand il s'en revendique.

Je suis toujours choqué quand on me demande : « Vous écrivez de la fiction ou de la poésie ? » Je me dois de répondre : j'écris de la poésie, donc de la fiction, des romans, donc de la fiction, des contes, donc de la fiction, des nouvelles, donc de la fiction, des essais, donc de la fiction.

Et ce billet, est-ce de la fiction ? Est-ce un texte littéraire ? Qu’en pensez-vous ?

Francis Lagacé

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