samedi 26 juin 2021

Tous les fragiles œufs de nos données dans le même panier informatique

 

Parlons sécurité avec Francis

Tous les fragiles œufs de nos données dans le même panier informatique 

4 juin 2021

L’obsession de la sécurité fait fortune dans une société où le nombre de meurtres diminue et les crimes contre la personne reculent. Il y a certes les crimes contre les enfants qu’avec raison on dénonce de plus en plus ainsi que la violence conjugale et les féminicides qui préoccupent, mais cela dit, globalement selon Statistique Canada, la criminalité diminue, ce qui rend d’autant plus odieux et incompréhensibles les crimes contre les femmes et les enfants.

L’exception à cette baisse est la cybercriminalité qui, elle, se propulse à des vitesses astronomiques.

Malgré cela, nous avons une attitude paradoxale à l’égard de la protection de nos données personnelles, pourtant un bien extrêmement précieux.

Que disent les experts de toute sorte quand il s’agit de protéger ses biens ? de les identifier, de ne pas les placer tous au même endroit, de mettre les objets de valeur à l’abri dans différents meubles, chacun verrouillé indépendamment des autres.

Que disent les spécialistes de l’investissement ? de ne pas tout mettre dans le même portefeuille, de diversifier les placements, pour éviter qu’une chute dans un secteur ne cause la ruine. Je sais, la plupart de mes lectrices et lecteurs n’ont pas de placements à diversifier, mais l’idée est ici de reporter ce principe à ce qu’il convient de mettre à couvert : nos données personnelles.

Que disent les conseillers en matière de voyage ? Ne mettez pas tout votre argent dans le même portefeuille que vos papiers. Dispersez vos affaires entre différentes poches. Laissez votre passeport dans un coffre à l’hôtel et gardez une photocopie sur vous.

Curieusement, face à la technologie si gourmande de nos données, de quoi rêve l’utilisateur béat ? de tout centraliser, de tout confier à une seule et unique application qui gérera le moindre détail de sa vie.

Que propose-t-on à l’abonné docile ? un gestionnaire de mots de passe de sorte que tous les mots de passe relèveront d’une seule application. Ainsi, dès qu’un hacker aura trouvé le mot de passe de votre gestionnaire, il aura accès à toute votre vie et pourra non seulement s’en emparer, mais aussi vous rendre l’existence misérable à souhait.

Confier tous ses mots de passe à un gestionnaire de mots de passe revient à n’avoir qu’un seul et même mot de passe pour toutes ses applications et services, exactement ce qu’il ne faut absolument pas faire selon les conseillers en sécurité qui, du même souffle, nous vendent des gestionnaires de mots de passe.

Sans arrêt, on nous incite à tout remettre entre les mains d’une seule et unique machine à gérer notre vie alors que la plus élémentaire prudence consiste à séparer les différentes fonctions, à séparer les accès et à séparer les données, de la même façon qu’on le fait avec les biens de valeur.

En rendant tout plus simple pour nous, on rend aussi les choses beaucoup plus aisées pour les pirates. Un téléphone qui permet de contrôler toute votre vie, dans ses plus infimes détails, facilite beaucoup la vie de la personne qui en prendra possession et s’accaparera de ses fonctions. Sans compter que cette gestion exige que vous soyez connecté en ligne 24 heures sur 24, une autre chose qui est fortement déconseillée par les experts quand on veut éviter les attaques de pirates.

C’est malgré tout dans cette direction que pointe la pléthore d’appareils intelligents qui encombrent le marché.

Personne ne semble comprendre qu’on ne veut pas que le four à micro-ondes donne la météo ou que la radio fasse le café ni que son frère jumeau puisse fouiller dans nos courriels parce qu’il a la même face pour ouvrir le téléphone. De la même manière, vous serez horrifié·e de ne plus avoir accès à rien si votre téléphone ne vous reconnaît plus étant donné que le chat vous a griffé le visage.

Il y a des gens qui ne veulent pas d’une maison intelligente qui, quand elle se détraquera, vous fera des embêtements jusque dans la salle du « trône », où elle vous enfermera peut-être pour y subir les derniers moments de votre vie rocambolesque. [Oui, c’est une hyperbole, et c’est pour rire !]

On a beaucoup de mal à expliquer à l’ordinateur qu’on ne veut pas de trousseau de clés parce qu’on veut justement que ce soit compliqué d’accéder à nos affaires. Imaginez expliquer ça à quelqu’un qui préfère acheter des gadgets plutôt que de s’arrêter pour réfléchir.

Francis Lagacé

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jeudi 3 juin 2021

La course au temps

 

Francis nous parle de temps

La course au temps 

16 mai 2021

Nous courons après le temps et, sans cesse essoufflé·e·s, nous en manquons. Afin d’en « améliorer » la gestion, à chaque occasion nous nous demandons ce que nous pourrions faire pour rogner sur le temps, pour consacrer moins de temps à chacune des tâches qui nous incombent ou pis encore pour accomplir le plus de tâches possible dans le même temps.

Toujours, nous sommes en réaction plutôt qu’aux commandes. C’est que reculer l’horloge ne changerait rien à la flèche temporelle, inexorable dimension à laquelle notre humanité est soumise.

Il me semble toutefois que, pour faire face à ce problème, nous nous y prenons d’une fort mauvaise façon. En effet, notre objectif ne devrait-il pas être de disposer de plus de temps ? Donc de pouvoir prendre un temps plus long pour réaliser notre ouvrage ou encore d’avoir moins de travaux à effectuer dans le même temps ?

Plutôt que de nous acharner à faire plus avec moins, nous avons désespérément besoin de solutions qui nous offriront la chance de faire moins en plus de temps. C’est ce qui s’appellerait un véritable progrès. En principe, les machines devaient accomplir des opérations plus rapidement, ce qui avait pour but de nous permettre d’accorder de plus longues périodes à nos loisirs et à nos activités agréables. Dans la pratique, plus les appareils vont vite, plus nous sommes en compétition avec eux pour multiplier la besogne par dix. La conséquence en est que nous n’avons pas ajouté de durée à notre plaisir, mais qu’au contraire nous nous évertuons à en soustraire.

À l’époque où j’étais sur le marché du travail, j’étais hyper-occupé et mes journées débordaient par tous bords et côtés. Je me demande encore comment j’arrivais à caser mes innombrables charges dans l’agenda. Toutefois, chaque matin, quand je considérais ma journée, il est une question que je me posais avant de m’attaquer à la liste interminable des opérations : Quelles sont les tâches que je n’exécuterai pas aujourd’hui ?

Non, le but n’était pas de les retarder indûment. Non, ces travaux-là ne sont pas moins importants que les autres. Je voulais justement prendre le temps de bien les réaliser. Mon argument était toujours le même : je ne veux pas bâcler le travail, il faut m’accorder un délai pour fournir un résultat acceptable. Je n’y arrivais pas toujours, mais cette préoccupation ne m’a jamais quitté.

Prenons l’exemple des courriels. Leur instantanéité a conduit tout le monde à croire que la réponse elle-même devait être instantanée. Voyez le résultat : au lieu de régler un problème rapidement, la succession des courriels de demande, de réponse, de réplique, de contre-réponse institue une conversation dans laquelle manquent deux choses : le temps de la réflexion et la coopération d’une personne qui vous accompagne dans le processus. Dans l’échange de courriels (ou pire encore de textos) chacun·e est de son côté comme dans une bataille rangée plutôt que dans un travail d’équipe. Cela produit des résultats précipités et souvent bancals.

D’abord le courriel personnel, je l’ai toujours traité comme un service postal ultra-rapide qui livre le message immédiatement. Mais, comme pour le service postal, je ne le consulte qu’une fois par jour, ce qui libère un temps considérable.

Ensuite, pour ce qui est du courriel de travail, il n’est pas bien avisé de répondre dans la minute, car ça signifie qu’on se détourne du reste de ses occupations. Une séquence de consultation est nécessaire selon la connaissance qu’on finit par acquérir des habitudes de ses interlocuteurs et selon le degré d’« urgence » réelle de chaque demande : chaque heure, chaque demi-heure. Et quand on se met à la rédaction d’un document, sauf si on attend des nouvelles sur un sujet précis, on ferme ses antennes pendant deux ou trois heures.

Si je ne possède pas la réponse immédiate à une question, je réplique : « J’y réfléchis et je te donne des nouvelles dès que possible. » La réflexion demande du temps et ne se fait pas de manière linéaire. On oublie qu’une grande partie de notre processus de réflexion est inconscient et que, si le résultat nous apparaît à un moment donné, ce n’est pas par magie ou par influence divine, mais juste parce que le ménage a eu le temps de se faire dans nos circuits et que l’ordre des choses finit par émerger à la conscience ou, pour paraphraser la jolie expression de Musil dans L’Homme sans qualités, l’affinité entre les objets se rencontre dans le cerveau. Cela ne se fait pas en appuyant sur un bouton.

Je me rappellerai toujours une anecdote parlante à ce sujet. J’étais à l’époque rédacteur pour une organisation politique. À la fin de la journée, j’étais en train de déballer mon sandwich au bureau. Le responsable des relations avec les médias m’avise alors qu’un personnage célèbre du monde culturel venait de décéder. Il me fallait pondre un projet de communiqué dans l’heure.

Je répondis oui et me mis à croquer mon sandwich. Le visage du responsable devint livide et un ordre péremptoire sortit de sa bouche : « Ben, mets-toi à l’ouvrage tout de suite ! »

Ma réplique fut implacable. J’ai une tendance à l’hypo-glycémie. Si je ne mange pas maintenant, il est possible que je fasse une chute, et c’est toi qui devras me réanimer. Quant à ton texte, il manquera toujours à l’appel. Si tu me laisses manger tranquille, je peux réfléchir à mes idées en même temps. Je pourrai ensuite les inscrire dans mon traitement de texte. Ce n’est pas en tapant des lettres au hasard sur le clavier qu’on fait des communiqués.

Vingt minutes plus tard, la première version du communiqué était prête et il n’y eut besoin que de deux ou trois petites retouches. Le responsable en fut tout étonné et me félicita. Ma répartie enfonça le clou : quand on sait travailler, c’est comme ça.

Il y a différents types d’urgence. Certaines personnes estiment que tout ce qu’elles demandent doit faire l’objet d’une réalisation immédiate. Il faut pourtant choisir sa priorité, décider du moment le plus opportun pour exécuter telle tâche si on veut s’assurer le meilleur résultat.

Quand on ne m’indique pas de délai, j’en propose un moi-même en gardant à l’esprit l’ensemble des obligations qui m’attendent.

Claudette Carbonneau m’a dit un jour que j’étais de tous ses contacts la personne la plus difficile à joindre, mais qu’elle aimait bien mon répondeur, lequel proclamait clairement qu’on n’aurait jamais de réponse directe. Cela me permettait de filtrer les demandes et surtout de ne pas m’agiter comme un chien fou.

Hélas, il y a beaucoup de gens qui n’ont aucune autonomie dans leur travail. Ce sont en général les moins bien payé·e·s. Les personnes qui travaillent manuellement, peu importe le secteur (santé, éducation, alimentation, livraison, manutention, fabrication, services), n’ont pas le luxe de décider de ce qui ne sera pas accompli aujourd’hui ; on les soumet à une pression dictée par la robotique et la surveillance.

Ces travailleuses et travailleurs comprennent mieux que quiconque les beaux vers de la chanson État d’âme de Jean Ferrat :

« À l’idée de l’exécuter,
J’ai le moral en marmelade
Si le travail, c’est la santé
Tous mes copains en sont malades. »

À ces personnes, on ne peut que conseiller l’organisation et la syndicalisation. On s’est battu et on est mort pour faire respecter un cycle humain : huit heures de travail, huit heures de loisirs ou de vie familiale, huit heures de sommeil. On dirait que tout le monde a oublié ça. Qui dort huit heures de nos jours ?

Francis Lagacé

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Fréhel, Rock Star avant la lettre

 

Laissons la parole à Francis

Fréhel, Rock Star avant la lettre

25 mai 2021

Marguerite Boulch', dite Fréhel, fut l'une des plus grandes stars de la chanson réaliste. Elle chantait le malheur des femmes et de la vie quotidienne, mais aussi la vie des Folles nuits parisiennes.

D'abord connue sous le nom de Pervenche, elle fait tourner les têtes. Sa liaison tumultueuse avec Maurice Chevalier, qui lui préfère Mistinguett (laquelle faisait la loi dans le showbizz), la pousse au désespoir. Elle se promène alors en Europe (les pays slaves, puis la Roumanie) et continue néanmoins à alimenter les chroniques.

Elle revient en 1923 sous le nom de Fréhel et chante ses chansons les plus tragiques L'amour des hommes, Où sont tous mes amants ?, Les filles qui la nuit, Pleure, mais aussi des chansons humoristiques et grinçantes comme Tel qu'il est, Tout change dans la vie, La môme catch-catch.

Elle tourne aussi de nombreux films. Je retiens ici quelques titres :

La rue sans nom ;

Pépé le Moko, dans lequel elle interprète Où est-il donc ? , titre faussé par rapport aux paroles du refrain qui commence en effet par « Où est-il mon moulin d’la Place Blanche :? » mais demande surtout où sont les amis, les copains, les vieux bals musette et les « repas sans galette, quand je bouffais même sans avoir un rond » et se termine par « Où sont-ils donc ? » ;

et L’enfer des anges, où elle joue le rôle de la femme Sulpice.

Elle est l’une des grandes inspirations de Piaf, qui la vénérait. Elle a été l’une des interprètes pour qui Trénet a composé des chansons.

Histoires d'amour nombreuses, alcool, drogue, fréquentation des milieux un peu louches, elle a tout de la rock star. Elle meurt, il y a 70 ans de cela, dans un hôtel miteux de Pigalle (probablement d'une overdose, 20 ans avant Janis Joplin et Jimmy Hendrix) le 3 février 1951 à l'âge de 59 ans.

Elle est enterrée au cimetière parisien de la ville de Pantin (23e division), le cimetière des « chiens perdus », d'où Jacques Chirac a fait rapatrier le corps de la Goulue dans les années 2000. Seule sa carrière cinématographique a été retenue par les auteurs du plan du cimetière affiché sur un écriteau à l’entrée où elle n’est présentée que comme « actrice ».

Le plan pdf fourni sur Internet la décrit comme chanteuse et indique son plus grand succès La java bleue, titre qui permet au plus grand nombre de la raccrocher à un souvenir auditif. Je n’en avais pas encore parlé dans mon topo parce qu’elle est un peu prisonnière de ce succès, comme Michel Louvain de sa Dame en bleu, alors qu’elle a excellé dans une diversité de styles.

À chaque visite que nous faisions à Paris, à l’époque où cela faisait encore partie des choses envisageables, mon conjoint et moi allions fleurir sa tombe. Sa rivale, Damia, y est aussi enterrée, mais sa tombe n’est pas bien entretenue et les inscriptions y sont difficilement lisibles.

En cliquant sur le lien YouTube souligné par le titre, vous atterrirez sur une chanson qui donne une bonne idée du personnage, La Môme catch-catch, dont voici un extrait du refrain :

« J'ai une poigne de fer
Un cœur en acier
La gueule en or
Et les deux pieds tatoués
Je fais les pieds au mur
Comme un échalas
Le grand écart et je crache à 15 pas
Je bois du gros rouge qui tache
C'est moi la môme catch-catch »

Musique M. Alexander, paroles M. Vandair

Une première version de ce billet, par ailleurs moins développée, a fait l’objet d’un statut sur mon profil Facebook le 16 février 2019.

Francis Lagacé

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