lundi 18 mai 2020

Respecter l'autonomie des vieilles et des vieux


Laissons la parole à Francis


 Respecter l'autonomie des vieilles et des vieux 

2 mai 2020

La pandémie actuelle est une situation inédite pour le 21e siècle. Il est certain qu'il a fallu des tâtonnements pour essayer de la contenir et protéger les populations vulnérables

Maintenant que l'on sait que la situation exceptionnelle risque de durer longtemps, maintenant que l'on sait que les risques de complications et de décès sont surtout liés à des facteurs de comorbidité comme le diabète, les maladies pulmonaires, les problèmes de tension élevée et les maladies du cœur, il serait bon de revenir pour y penser sérieusement sur la façon dont on traite les vieilles personnes.

On a dit aux personnes âgées de 70 ans et plus de ne pas sortir de chez elles, même pour marcher, même pour faire son épicerie. Or la marche est un élément qui renforce la santé. Emprisonner les personnes âgées bien portantes dans leur chambre a des effets délétères : affaiblir leur tonus musculaire, déprimer leur système nerveux central, ce qui conduit à de mauvaises décisions et à des pensées noires, réduire la capacité cardio-pulmonaire, ce qui les rendra plus vulnérables aux infections, réduire leur appétit et diminuer par conséquent une saine alimentation, diminuer leur capacité à bénéficier d'un sommeil réparateur, priver leur système des effets bienfaisants de l'air frais et du soleil...

Maintenant que l'on sait qu'une personne active et en bonne santé de 70 ans sans comorbidité est moins à risque qu'une personne atteinte d'un diabète incontrôlé de 50 ans, pourquoi la deuxième a-t-elle le droit de faire son épicerie et pas la première ?

Pour la suite des choses, il serait bien avisé que l'on inclue des personnes de plus de 70 ans dans les comités de réflexions sur les mesures de santé et sur les politiques gouvernementales. Ce serait faire preuve d'un âgisme douteux que de déresponsabiliser les vieilles personnes et de ne pas reconnaître leur capacité à faire des choix éclairés.

Francis Lagacé

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Les observations d'un con•finement


Laissons Francis nous parler de con-finement


Les observations d'un con•finement 

6 mai 2020

Il était impossible de rester huit semaines en état d'urgence sans faire de remarques sur notre comportement individuel et collectif. Voici donc 20 observations de confinement. Les personnes abonnées à ma page Facebook et à mon compte Twitter en auront vu passer la majorité séparément et dans le désordre. Je vous les présente ici en entier, toutes ensemble et dans l'ordre où elles me sont venues.

1. Pourquoi y a-t-il si peu de masques et de gants dans les hôpitaux et tant sur les trottoirs ?

2. Il n'y a plus de farine sur les tablettes parce que tout le monde fait son pain. Et il n'y a plus de pain industriel sur les tablettes parce que personne ne mange du pain raté que ti-Jos connaissant a fait n'importe comment.

3. Tourisme épicier : activité inventée pendant la crise sanitaire qui consiste à partir avec son gros char, à le remplir de sac de provisions achetées dans une épicerie pour partir dans une épicerie voisine le remplir à nouveau de gros sacs de provisions, puis réitérer l'opération jusqu'à ce que le gros char ploie sous le poids des emplettes.

4. Les chômeuses et chômeurs québécois sont invité•e•s par le ministre de l'Agriculture à venir travailler dans les champs afin d'aider les producteurs agricoles. Gageons qu'il n'y en aura pas des masses pour répondre à l'appel. Gageons que parmi celles et ceux qui s'y essaieront bon nombre abandonneront en cours de route. On éprouvera enfin tout ce qu'on fait subir aux travailleurs migrants, qui laissent leur famille pour gagner une maigre pitance en faisant un travail dont les conditions sont peu reluisantes.

5. La caque sent toujours le hareng

Le Premier ministre Legault, le bon père de famille qui rassure son peuple, n'a pas été long à retrouver ses bons vieux réflexes anti-syndicaux. En prétendant assumer l'entière responsabilité du fiasco des CHSLD, il profite d'un raccourci selon lequel augmenter unilatéralement, il y a quelques mois, les salaires des préposé•e•s aux bénéficiaires en passant par dessus les négociations collectives, « C'est pas facile négocier avec les syndicats. », il aurait réglé la situation déplorable d'institutions cassées par des dizaines d'années de dérives managériales. Il aurait ainsi effacé 40 ans de néolibéralisme, aurait ressuscité l'ardeur des préposé•e•s et fait disparaître la voracité des propriétaires d'établissements privés. Quel simplisme !

6. Les crises sont toujours un révélateur. Dans le mouvement social de 2012, j'avais fait un bon ménage dans mes correspondant•e•s Facebook qui s'alignaient sur la répression. De même, aujourd'hui je me rends compte que certain•e•s n'ont que faire des plus vulnérables.

7. Les bénévoles qui viennent de l'extérieur pour aider un milieu contaminé doivent mettre l'épaule à la roue, mais sûrement pas la main à la pâte.

8. Aux États-Unis, on a découvert la panacée : chacun•e s'équipera d'un gun pour cribler de balles le méchant virus.

9. Le masque sert à éviter de respirer les gouttelettes des autres et à protéger les autres de nos propres goutelettes. Avis aux personnes qui portent un masque en conduisant en solo leur voiture.

10. Des citoyen•ne•s du Québec installé•e•s en Chine pour y profiter du turbo-capitalisme qu'on y pratique se réjouissent d'être pisté•e•s par leur téléphone. « C'est pour leur bien. »

11. Il y a tellement de bla-bla dans les discours de Trudeau que l'on devient distrait et que, finalement, on en rate le contenu... quand il y en a.

12. Isolées et maltraitées, nos personnes âgées sont devenues ali-aînées.

13. Un certain virus a transformé des sociopathes qui ont détruit nos conquis sociaux à la hache en experts dont on sollicite l'avis.

14. On ne sait plus comment appeler les personnes âgées. On ne trouve plus qu'aîné•e•s fait l'affaire. On propose le doux euphémisme de sages. Quant à moi, je suis un vieux et je trouve que l'appellation convient parfaitement.

15. Les savants perdent leur bon sens et parlent de « patient zéro » pour désigner le premier patient. Si on ajoute les 100 patients suivants, ça nous donne 100 + 0 = 100, au lieu de 101. Un zérotième patient, ça n'existe pas. Le premier patient est en toute logique le patient numéro 1. Zéro n'est pas un nombre naturel et, comme me le disait mon prof de math en première secondaire, on ne dit jamais : « Je compte zéro vache dans le champ. »

16. Plusieurs pays investissent dans la recherche pour trouver un vaccin ou des médicaments, mais on dirait qu'aucun ne songe qu'en nationalisant les pharmaceutiques ils se garantiraient un approvisionnement continu et des prix raisonnables.

17. Pendant la crise sanitaire, dans les gares, on ne rencontre plus celleux qui ont réussi et qui ne servent à rien. On ne rencontre que celleux qui ne sont rien et sans qui celleux qui ont réussi seraient incapables de se nourrir.

18. Le nouveau mantra très intelligent des néolibéraux : « Après plus rien ne sera pareil, car il faudra que tout reparte exactement comme avant. »

19. Les personnes qui se dévouent dans les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée ne sont pas en guerre, elles ne se battent pas contre un ennemi. Elles soutiennent à bout de bras des infrastructures de santé délabrées par des décennies de néolibéralisme. Elles soignent des personnes malades ; elles aident à réparer des êtres vivants pour reprendre à ma façon le titre du roman de Maylis de Kerangal.

20. Avec les femmes qui portent des foulards pour cacher la repousse des cheveux et tout le monde qui se met au masque, on va se rendre compte que les lois qui les bannissent dans l'espace public sont un peu ridicules.

Francis Lagacé

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mardi 5 mai 2020

Le mystère de l'Ouest


Laissons Francis nous parler de musique Country et Western.


Le mystère de l'Ouest 

22 avril 2020

Pour beaucoup, dans les milieux intellectuels, l'immense popularité de la musique Country et Western est incompréhensible. Quand j'étais adolescent et que je ne jurais que par le rock et la musique dite progressive, on faisait état de ventes de disques nettement supérieures à toutes les autres catégories pour cette musique aux guitares plaignardes et aux voix parfois nasillardes. Les vedettes de ce genre durent très longtemps et elles font des carrières très prospères même en étant boudées par les médias généralistes, dont elles sont parfois complètement inconnues.

Des succès ont pourtant percé les ondes, qu'ils soient de Johnny Cash ou de Renée Martel, et le genre n'a cessé d'influencer les stars les plus populaires, que ce soient Elvis, John Lennon ou, au Québec, Beau Dommage. Une chanteuse comme Guylaine Tanguay est aujourd'hui très reconnue et un excellent auteur-compositeur-interprète unanimement célébré comme Patrick Norman y a consacré la plus grande part de son répertoire.

Je n'ai pas tardé à comprendre ce qui faisait l'efficacité de cette musique. J'avais alors 17 ans et je connaissais ma première peine d'amour. Celui sur qui j'avais jeté mon dévolu ne s'intéressait pas à mon genre et le changement d'école pour l'année suivante ferait en sorte que je ne le reverrais jamais.

Cet été-là, un disque de succès de radio traînait dans la maison. Bien qu'étant en général indifférent à ce genre de compilation, je me mis, par désœuvrement, à en consulter la liste. Il y avait sur la dernière plage du premier côté de cette galette de vinyle une chanson de Joe Dassin, associée très clairement au genre country. Elle s'intitulait Salut les amoureux. Je l'ai passée un nombre incalculable de fois sous l'aiguille du stéréophone.

Écouter ces paroles simples sur une musique berçante me faisait du bien et me permettait de cuver ma peine sans qu'il y paraisse trop, car il ne fallait surtout pas que ça se voie. S'il avait fallu que je me mette à écouter Ne me quitte pas de Brel ou Avec le temps de Ferré, je me serais probablement pendu dans la grange, car contrairement à ce qu'écrivait Rimbaud, on est sérieux à mort quand on a 17 ans.

Survivre aux épreuves de la vie sans en faire une irrémédiable tragédie grecque, c'est là toute la force de cette musique qui convient aux personnes sans prétention. Quand on n'a pas le luxe d'un destin héroïque, on se dit qu' « Une simple histoire comme la nôtre/ Est de celle qu'on n'écrira jamais. » Et c'est ainsi qu'on pose un baume point trop coûteux sur des plaies qui ne doivent pas nous défigurer pour toujours.

Francis Lagacé

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Héroïsme et société


Laissons la parole à Francis


Héroïsme et société

12 avril 2020

Mon propre héros personnel est rentré du travail hier, samedi, en fin de journée complètement fourbu, épuisé par les hordes de clientes et clients qui se précipitent dans les allées pour vider les étagères, exigeant qu'il soit là pour les remplir à mesure et qu'en même temps il ne soit pas sur leur passage parce qu'elles et ils le voient comme un nid à virus. Mais pourquoi donc les commis d'épicerie ne sont pas comme les bonnes portugaises ? Invisibles et toujours à la merci de la clochette qui les commande ?

Sa mission ? À part recevoir les insultes et entendre les gémissements, cris, vociférations, lamentations, mélopées et autres dies irae d'une clientèle en proie à la détresse et à l'affliction, il est chargé entre autres de faire repousser l'herbe là où Attila et ses Huns sont passés. Au milieu du peuple qui déchire sa chemise, se frappe la poitrine et hurle au désespoir, il doit remettre du stock sur les tablettes en évitant de se faire frapper par les paniers véloces et de se faire enfoncer dans les étalages par le chaland•la chalande (on a envie de dire « l'achalant•l'achalante ») qui le repousse de toutes ses forces.

Une anecdote illustrera un processus incessament réitéré comme un rituel sacrificiel : des camarades avaient emporté dans une allée une palette de sacs de farine pour pouvoir regarnir les étagères dévastées. Les consommatrices•consommateurs se sont rué•e•s sur la palette, déchirant le plastique qui la recouvrait pour s'emparer au plus vite et en premier d'un sac de farine tels des fourmis qui se jettent sur le sucre. À la différence des fourmis qui chacune reprennent un morceau de sucre pour le rapporter à la fourmilière, les individus ici se battent et se déchirent comme des hyènes à savoir qui en aura le plus. S'il n'y avait pas la limite de deux par personne, ça finirait dans le sang. En fait, les comparaisons animales sont inexactes. Chez les loups, le mâle alpha mange à sa faim en premier, puis laisse les autres se nourrir. Il ne cherche pas à tout prix à en priver les autres.

Cette folie dévoratrice signe notre impuissance individuelle en tant que rouage isolé du capitalisme confiné à son rôle de pôle consommateur dans le flux des produits, idéal ultime de l'hégémonie marchande. Ce phénomène est bien décrit par Corrine Dupré dans Cannibalisme et capitalisme. En ne dépassant pas la conscience individuelle qui nous est assignée, on se prive de toute une partie de son être, de la pensée plus large, de l'appartenance à la société. On n'a pas alors la reconnaissance de l'autre en soi ni de soi en l'autre. On ne touche pas la réalité, toujours plus vaste que notre identité rabougrie d'individu, comme le démontre éloquemment Miguel Benasayag dans Le mythe de l'individu.

Et il faudra bien, un jour, plus tard, réapprendre à se toucher autrement que par la pensée pour enfin réaliser le beau slogan du Front homosexuel d'action révolutionnaire : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! » À cet égard, une pensée moins marchande et plus humaine aurait permis que des hôpitaux disposent de stocks suffisants d'équipements et de médicaments, ce qui pourrait réduire d'autant les craintes de débordement et le confinement qui en découle. Tout comme une meilleure compréhension des besoins humains ne ferait pas courir de manière effrénée les pions au service de la machine à flux tendu des marchandises, qui alimente en même temps la machine à dévastation environnementale.

C'est pourquoi la•le prolétaire ne se limite au cadre restreint de son individualité. Ielle en déborde largement dans tous ses contacts d'être social et dans toute sa réalité créée par son environnement, ses expériences, et la pensée qui circule en icelle•icelui non pas comme une marchandise, mais comme un potentiel connecté sur l'être-là de la culture toujours en train de se construire.

Pour dépasser, c'est-à-dire à la fois assumer et transcender, son destin tragique, l'héroïne ou le héros ne se contente pas de défier les dieux ; elle ou il se met au service des autres. Elle ou il ne roule pas sa pierre en vain ; elle ou il s'en sert pour entretenir le chemin que les autres empruntent à leur passage. C'est ainsi que l'héroïsme n'est plus un exploit individuel, mais un rôle social.

Francis Lagacé

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