mardi 26 janvier 2021

Justice du désespoir

 

Parlons des victimes d’agressions sexuelles avec Francis Lagacé

Justice du désespoir

23 janvier 2021

Il y a quelque chose de profondément décourageant à constater les acquittements successifs de Gilbert Rozon et d’Éric Salvail en décembre dernier dans des causes d’agressions sexuelles.

On se rappelle que de nombreuses personnes les accusaient, mais que le ministère public avait sélectionné les causes spécifiquement, nous disait-on, selon les chances de succès. Or, il s’avère que, dans les deux cas, on a choisi des événements parmi les plus anciens dont le rapport était nécessairement sujet aux trous que le temps ne manque pas de creuser dans ce genre de souvenirs, d’autant plus que ce sont des expériences traumatiques déjà par nature plus susceptibles d’affecter la mémoire. À quoi sert donc la sélection d’une cause parmi tant et tant si le fait de l’écarter par acquittement a comme conséquence d’en effacer des dizaines d’autres ?

Les agressions sexuelles sont des crimes qui se commettent généralement sans témoin. Leur condamnation par une cour est donc peu vraisemblable dans la mesure où les règles de la preuve exigent que la culpabilité de l’accusé soit démontrée hors de tout doute raisonnable.

Loin d’être une preuve de l’atteignabilité de la justice, le célèbre et infiniment malheureux cas de Nathalie Simard est au contraire une démonstration éclatante de la quasi-impossibilité de faire accuser et condamner un agresseur, même lorsqu’il a poursuivi ses agressions sur de nombreuses années.

Rappelons que cette femme admirable, courageuse, patiente et entêtée a dû subir l’enfer pendant des décennies. Après toutes ces années de souffrance aux mains du même bourreau, elle a, avec l’aide de la police, réussi à enregistrer une conversation avec le coupable, parce qu’il n’avait pas cessé ses crimes, avant d’en venir à des accusations. Combien de personnes pourraient en supporter autant ? Et ne peut-on coincer les criminels qu’après un si long calvaire ?

Tous ces processus ne donnent pas le goût de déposer des plaintes. D’ailleurs, il faut bien le comprendre, le système judiciaire ne vise pas à rendre la justice, mais à porter des jugements de conformité à l’égard de certaines règles et procédures.

Une vraie justice pour les victimes passerait probablement par un espace d’expression où la véracité de leur expérience n’est pas constamment mise en doute.

Il serait intéressant de consulter toutes les victimes de ce genre d’agression pour connaître les processus qui leur ont fait du bien et leur ont permis de sentir qu’elles avaient repris leur dignité. Il conviendrait d’étudier les cas où des agresseurs ont été confrontés à leurs crimes et ont reconnu leurs gestes et leur culpabilité. On découvrirait quels sont les mécanismes qui peuvent les amener à se remettre en question et à sortir du déni en évacuant leur sentiment de toute-puissance.

Il est clair par ailleurs que certains agresseurs ne peuvent pas s’extirper de leur narcissisme pervers et qu’il n’y a rien à en attendre. On doit par contre leur faire savoir que nous ne sommes pas dupes.

Je connais des victimes de viol et d’abus qui ont abandonné tout espoir de justice. L’absence de témoins, la puante solidarité de celles et ceux qui n’ont pas intérêt à voir craqueler l’image illusoire d’une famille unie ou d’un patron généreux, la tendance naturelle du groupe à se ranger du côté du harceleur tout-puissant, l’impossibilité de correspondre aux règles et procédures préétablies les ont convaincues que l’abus exercé sans preuve et sans témoin reste impuni.

Hélas, la peur n’a pas encore changé de camp… pas encore.

Francis Lagacé

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Pardon d’avoir bâti votre maison

 

Parlons de la Covid-19 avec Francis.

Pardon d’avoir bâti votre maison

16 janvier 2021

La première vague de la Covid-19 a causé un véritable géronticide avec le délestage des hôpitaux vers les Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

Maintenant, au sommet de la deuxième vague, c’est le délestage des CHSLD vers les hôpitaux qui est remis en question. Depuis le début, les personnes de 70 ans et plus sont vues comme un fardeau, comme un boulet, comme une population informe et irresponsable qu’on ne sait pas trop comment caser.

Et voilà, ça y est, on se fait dire qu’il faudra bien faire des choix et qu’après tout, celleux qui n’ont pas la plus grande espérance de vie ne méritent peut-être pas d’être soignées puisqu’on manque de ressources.

Dans tous les comités de savants et d’expertes, y a-t-il quelqu’un qui s’est demandé quel est l’avis des personnes de 70 ans et plus ? Quelqu’un s’est-il mis à songer que, pas plus que les enfants, qui ont le désavantage de ne pas avoir encore formé leur jugement, les personnes âgées ne sont un troupeau à gérer comme un cheptel encombrant ? On reviendra une autre fois sur la façon dont les pauvres animaux souffrent justement du traitement en cheptel.

Eh, bien, excusez-nous, chers gestionnaires, chères administratrices, nous ne pouvions pas prévoir, quand nous avons construit vos confortables maisons en briques rouges pour vous protéger des aléas de la vie en nous appuyant sur les fondations du service public, que vous céderiez à la voix doucereuse du loup qui vous suggérait de remplacer la brique publique par la guimauve privée parce que c’est tellement moins cher et plus délicieux.

Nous vous demandons pardon d’avoir érigé vos maisons. Nous vous demandons pardon de devoir en être expulsé·e·s parce que vous n’avez plus de ressources, ressources que vous pourriez récupérer en mettant la main sur les 800 milliards que cachent dans les abris fiscaux vos petits amis capitalistes, ressources que vous pourriez utiliser si vous aviez la sagesse de rapatrier dans le public les cliniques que vous avez si libéralement permises dans le privé. Il ne s’agit pas de leur faire la part belle, mais bien de les réquisitionner. Ne sommes-nous pas en temps de crise ?

Et à tous les psychotiques de la dette, rappelez-vous donc que la dette d’un ménage doit être réglée parce qu’il vient un temps où le ménage arrive à terme, mais que la dette publique peut prolonger ses termes étant donné que l’État a vocation à la perpétuité, et qu’il lui est donc loisible de réduire le fardeau de la dette en la rééchelonnant sur 100 ans.

Pourquoi 100 ans ? Pourquoi pas 30 ou 200 ? Parce qu’une semblable crise n’apparaît qu’à tous les cent ans : en 1914, c’était la grippe espagnole (qui n’avait rien d’un virus espagnol, mais tout d’une grippe porcine états-unienne) et en 2020, c’est la covid-19.

Pardon d’avoir bâti vos maisons pour que vous y soyez à l’aise sans nous. Pardon d’avoir encore l’obligation de vous fournir les solutions auxquelles vous ne prenez pas le temps de penser, trop indisponibles que vous êtes à cause du temps que vous occupez à gérer un monde irréel où les quotas, les courbes et les statistiques ont pris la place des personnes humaines.

Francis Lagacé

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