jeudi 28 avril 2022

L’individuel, le collectif, le social

 

Parlons d’individualisme avec Francis.

L’individuel, le collectif, le social

26 avril 2022

Le gouvernement de François Legault est foncièrement individualiste comme l’est son chef. C’est pourquoi il est incapable de penser le social qu’il assimile au mieux au collectif, c’est-à-dire à une collection d’individus. Je me rappelle l’une de ses phrases d’encouragement à la population pendant cette interminable pandémie : « On est 8 millions de Québécois, je peux pas croire qu’on peut pas se tenir pour réussir à vaincre ce virus. »

Or, 8 millions de Québécois, c’est beaucoup plus que 8 millions de personnes. C’est une société complète avec toutes ses interactions, ses institutions, ses courants de pensée, ses groupes sociaux, ses classes et leurs intérêts divergents, ses associations, ses syndicats, ses partis, son hégémonie culturelle, toutes choses qui ne fonctionnent pas par aggrégation de comportements, mais plutôt selon des mouvements qui sont propres à leur structure.

Le problème essentiel des individualistes, c’est qu’ielles posent leur conscience individuelle comme l’alpha et l’oméga de la réalité. En fait la conscience individuelle, bien que point de départ incontournable de notre appréhension du monde, est aussi notre limite principale à sa compréhension.

Parce que notre conscience, construite au fil du temps par l’interaction entre nos perceptions et notre mémoire, n’est qu’un pâle reflet de la réalité même si, en même temps, elle est la seule porte pour la connaissance et l’interprétation du monde. C’est bien sûr en arrivant à l’objectiver qu’on peut réussir à faire la part des choses entre notre volonté subjective, notre réalité objective, les réalités objectives des autres et les réalités subjectives des autres.

Mais même en tenant compte de tous ces aspects, on ne dépasse pas l’individuel. Il y a plus. Certes le collectif exige de prendre en compte les besoins d’une multitude, mais cela n’épuise pas le social, car le social, c’est aussi les interrelations qui se nouent entre les différentes instances d’une population donnée. Si l’individuel et le collectif sont en constante négociation, le social transcende les deux dans toutes leurs réalisations.

Le poids d’une communauté, ce n’est pas uniquement le poids du nombre, mais aussi son poids social constitué de toutes les interactions qu’elle implique et du comportement global, lequel ne réside pas dans l’addition des comportements individuels et ne saurait être révélé par la dissection individuelle.

L’individualiste dit qu’un couple est formé de deux personnes, donc 1 + 1 = 2. Les socialistes, quelle que soit leur tendance, savent qu’un couple constitue plus que deux entités : il y a chacune des deux personnes et leurs interactions avec le monde, mais il y a aussi la nouvelle unité, le couple, et ses interactions avec le monde. Chacun·e est à même d’observer qu’un couple ne se comporte pas comme une addition de deux personnes. À tel point qu’il est facile d’observer dans une foule les groupes de deux personnes qui se comportent comme deux individus séparés et les personnes qui se comportent comme faisant partie d’un couple. Il faut donc reconnaître qu’en calcul social 1 + 1 = 3.

En fait, dans toute association, les interrelations permettent de donner des additions comme 1 + 1 + 1 = 7, soit, dans ce cas précis, chacune des unités, les trois dyades différentes plus le trio qui ont des interrelations avec le monde. La formule pour trouver le nombre d’entités sociales créées par un ensemble de n membres est donc 2n – 1. Pour un ensemble de quatre personnes, on a ainsi 15 entités, pour cinq personnes, on en a 31 et ainsi de suite. Comme le résultat de l’équation augmente rapidement avec le nombre de membres de la communautée étudiée, on peut, pour les ensembles excédant 10 personnes, décider d’arrondir et se contenter de parler de 2n, car soustraire 1 d’un nombre supérieur à 1000 n’a pas beaucoup de valeur significative.

Certes, plus le nombre de membres d’un groupe est grand, plus les entités relationnelles sont potentielles : toutes les dyades, tous les trios encore moins tous les quatuors1 ne se réalisent pas dans une ville d’un million d’habitant·e·s.

De même, l’entièreté de la relation formée par un société très nombreuse ne se réalise que de façon fragmentée, car elle est traversée par de nombreux courants. Mais on aurait tort de croire que le nombre soit peu élevé, car d’autres réseaux se forment à partir des groupes communautaires et affinitaires, des clubs, des partis, des syndicats, des équipes sportives, des associations de toutes sortes et autres sociétés de personnes.

Le potentiel est d’ailleurs démultiplié par la création des « personnes morales », qui permettent de donner la personnalité juridique à des créations commerciales ou autres, dont le nombre est théoriquement illimité.

Si on ne tient pas compte de toutes ces interactions, de toutes ces forces sociales, à quoi il faut ajouter l’influence inconsciente de l’idéologie, on ne comprend rien à une société et l’on est réduit à une vision sans aucune hauteur de vue comme celle que nous offrent le gouvernement Legault et son violent concurrent libertarien le Parti conservateur du Québec, lesquels résument la vie sociale en affrontements d’intérêts individuels.

Avec une telle vision, pas de racisme systémique, seulement de méchants individus qu’il faut sanctionner. Avec une telle vision, pas de crise du logement2, car la signature des baux relève d’une négociation entre particuliers, comme si le poids de chaque personne était le même pour une bénéficiaire de l’aide sociale en face d’un grand propriétaire appuyé par des associations de propriétaires, par des firmes d’avocats, etc.

Et, bien sûr, ces individualistes, qui ne disposent que d’une vision monochrome et bidimensionnelle, aveugles à toutes les couleurs et à qui tout ce qui a de la hauteur échappe, nous accuseront de faire preuve de manichéisme, la nouvelle parade confusionniste à la mode. On nous accusera de classer celleux qui ne pensent pas comme nous dans la catégorie des « méchants », étant donné que c’est ainsi qu’iels pensent (ou plutôt qu’iels s’abstiennent de réfléchir), alors qu’on vient juste de leur expliquer que c’est une question complexe de réseaux d’interactions.

Notes

1. L’allusion à la musique n’est pas anodine. Elle permet de bien comprendre qu’un quatuor est tout autre chose que quatre solos juxtaposés, encore moins successifs. On dit bien d’un groupe de musicien·ne·s qu’il doit jouer « ensemble », et l’ensemble exige une attention au rythme et à la production sonore de chacun·e des participant·e·s.

2. Ou si peu, à la rigueur un écart conjoncturel entre l’offre et la demande.

Francis Lagacé

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