mardi 2 juin 2020

Rattrapage culturel : un livre et un film


Francis nous parle de rattrapage culturel


Rattrapage culturel : un livre et un film 

31 mai 2020

Le confinement m'aura permis de combler au moins deux des innombrables trous qui tapissent l'infinie passoire de mon fonds culturel. Ce sont par ailleurs deux contributions que je dois à la complémentarité de mon conjoint.

1. Le livre : la puissance des baudruches

Dès 1980, on faisait grand cas dans mon entourage, j'avais étudié en lettres, du roman Les puissances des ténèbres d'Anthony Burgess, traduction de Earthly Powers. « Il faut absolument que tu lises ça, Francis. »

Je ne me le suis jamais procuré et n'ai jamais vraiment senti le goût de lire cet ouvrage. Quand j'ai emménagé avec celui qui partage ma vie, j'ai constaté qu'il possédait ce titre dans sa bibliothèque. Il l'avait lu et n'en gardait pas grand souvenir. Il a souvent voulu le jeter, mais je lui ai dit de le garder, car un jour peut-être je le lirais. La mise sur pause du Québec en mars 2020 allait me fournir cette occasion.

Si je n'ai pas abandonné la lecture après 30 pages (le délai de grâce que je laisse à tout ouvrage pour attiser mon intérêt), c'est que j'avais du temps en masse et que je me préparais déjà à faire le parallèle avec Sodoma, le grand reportage que j'ai démoli ici même le 19 avril 2019. Tout comme ces fameux articles vides et prétentieux des magazines pipole, l'écriture relève d'un procédé répétitif qui consiste à planter un décor et à exposer sa complaisance en jetant des noms et des titres d'œuvres en pâture aux amatrices•amateurs.

On aurait pu résumer ces plus de 700 pages en à peu près 100. Les descriptions superficielles et les anecdotes sans suite ne suffisent pas à donner du contenu ni une structure à un récit qui ne devient intéressant que vers la page 500, mais qui, encore trop souvent, est interrompu par des scènes nettement superfétatoires.

On pardonnerait volontiers au narrateur (que l'on soupçonne de ressembler drôlement à l'auteur) d'avoir placé saint Pierre sur le chemin de Damas plutôt que saint Paul, d'avoir devancé de quatre ou cinq ans la commercialisation du synthétiseur de monsieur Moog et d'avoir avancé de plus de 10 ans Jonestown et son massacre sectaire tout en le plaçant en Californie, si la jaquette de France Loisirs ne nous annonçait un genre de Crimes et châtiments et si résumant, dit-on, la critique anglaise et américaine, on ne nous présentait l'affaire comme ni plus ni moins que « le roman du siècle ».

Or, loin de résumer une époque en l'incarnant dans le destin d'un homme, comme l'a fait Robert Musil pour la Belle Époque dans son Homme sans qualités, on a ici un homme « avec qualités », singulier et sans aucun ancrage véritable. Au lieu de voir le siècle à travers lui, on le voit se pavaner de manière narcissique, les éléments de contexte historique ou géographique ne servant que de prétexte à donner un « effet de réel », auquel on n'arrive pourtant pas à croire, car on voit surtout là un artifice qui offre l'occasion de multiplier les descriptions ennuyeuses, pas du tout révélatrices, mais certainement très utiles pour remplir des pages. Le narrateur aurait pu faire toutes ses pirouettes en un seul pays, en une seule ville, ou même dans une prison au fond du désert : le siècle lui est parfaitement indifférent et ne lui sert que de décor factice.

On nous promet de nombreuses scènes où l'on s'esclaffera, et d'autres où l'on aura le cœur déchiré. J'ai souri trois ou quatre fois et me suis assombri une ou deux fois. En 700 pages, c'est bien peu. Et l'on subit en plus cette irritante attitude de snobard britannique qui ne conçoit de civilisé que ce qui lui ressemble avec cette prétention absolument ridicule qu'on ne retrouve que chez les auteurs anglo-saxons selon laquelle ils sont les seuls à pouvoir parler des langues étrangères sans accent. Ne me dites pas que c'est de l'ironie, l'ironie laisse toujours des indices, il n'y en a ici aucun.

D'ailleurs, on se demande bien pourquoi le narrateur s'acharne contre les œuvres postmodernes, car son récit est typiquement postmoderne, ne comportant qu'une seule conclusion véritable : rien ne sert de s'engager, de prendre position ni de donner du sens à sa vie, l'important est de sauver ses fesses. Il n'y a pas d'histoire, seulement une série d'anecdotes déclenchée sous un prétexte oiseux dont le seul lien est qu'il s'agit des mêmes personnages, ce qui n'aurait rien d'obligé. Les personnages n'ont aucune épaisseur psychologique et n'évoluent pas, comme s'ils étaient apparus tout faits et définitivement formés comme dans les fables de la bible.

Ce genre de patchwork affirme la fumeuse illusion de l'individu souverain ignorant tout des déterminations sociales. En ce sens, il s'agit ironiquement d'une production tout à fait emblématique de la détestable Angleterre thatchérienne pour laquelle elle a été conçue.

Après avoir arraché la page où se trouve son ex libris, mon amoureux pourra enfin mettre ce pavé au recyclage.

2. Le film : un chef d'œuvre populaire

Je n'avais jamais vu, et c'est impardonnable pour un gai qui se respecte, le fameux Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz avec le fabuleux trio que constituent Elizabeth Taylor, Richard Burton et Rex Harrison.

Mon irremplaçable mari avait acheté, il y a plusieurs années, le DVD de l'édition du 50e anniversaire dans une boutique de vidéo qui fermait ses portes. Nous n'avions encore jamais entamé la cellophane qui en protégeait le sarcophage, après tout c'est quatre heures de visionnage.

Un rare dimanche où mon compagnon ne travaillait pas, nous avons décidé d'ouvrir le coffret et de nous installer devant le petit écran. Comme je savais que c'était une production hollywoodienne acclamée par toute la gaitude planétaire, je me péparais à être très sévère et à ne rien laisser passer devant mon œil critique.

La magie a tout simplement opéré. On pardonne aux scripteurs les bourdes historiques, notamment celle de faire apparaître le maïs 1500 ans avant la découverte de l'Amérique. On pardonne les breloques trop américaines pour être égyptiennes. On pardonne la copie de Roméo et Juliette pour la finale. On pardonne tout, car c'est un film fait pour plaire au grand public en lui donnant du contenu : une belle et forte histoire d'amours successifs avec un contexte politique, ici bien intégré dans le récit et non pas plaqué. On y croit parce qu'il y a des sentiments humains et des motivations, pas juste des gestes additionnés. On y croit parce que les personnages évoluent.

Les scènes de foule sont renversantes, les décors somptueux, les enchaînements entre les scènes sont solides et tous réussis. La photographie est époustouflante. L'ajout de scènes coupées au montage rajoute à la compréhension des caractères et donne encore plus de force à l'intrigue.

Si on peut regarder un film pendant quatre heures sans regarder sa montre une seule fois, sans décrocher une seule seconde, en étant même surpris de voir arriver la mention « entracte », c'est simplement que le long métrage est un succès. On nous en met plein la vue, mais ça ne sent pas le m'as-tu vu. Les actrices et acteurs ne se regardent pas jouer.

Il faut dire qu'on y a mis les moyens et que ce film fut extrêmement coûteux. Mais l'objectif en tout cas était de plaire au peuple en léchant tous les détails, pas en le méprisant, et on y est parvenu.

Francis Lagacé

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