mardi 22 septembre 2020

L'illusion centriste

 

Parlons de centrisme avec Francis

L'illusion centriste 

3 août 2020

Dans un billet qui date du 28 novembre 2016, je parlais de la pertinence de l'axe gauche-droite. En le reprenant dans mon livre Ce billet a cours légal (p. 174-176) en 2018, j'en ai modifié le titre : « De la pertinence de la distinction gauche-droite », car j'ai abandonné l'idée d'axe, laquelle légitimerait la possibilité d'un centre. En effet, le fil du rasoir qui tranche entre la gauche et la droite est inexorable et, quand les avantages individuels l'emportent sur la justice sociale, on est clairement à droite. On ne peut pas être indifférent à la justice sociale, et prétendre que si veut simplement dire qu'on la fait passer après tout et donc qu'on travaille contre.

Je préfère aujourd'hui l'analogie avec la nébuleuse. Il y a une nébuleuse de droite et il y a une nébuleuse de gauche. Les gens qui gravitent en périphérie peuvent tromper l'analyste. Mais le pseudo-centre attire ces corps pas encore attachés vers un agglomérat beaucoup plus près du noyau de la droite que de sa périphérie. Et s'il faut parler d'un centre, c'est celui de la nébuleuse de droite, qui est ce qu'on appelle couramment l'extrême droite.

Pierre Serna définissait un « extrême centre » en 2005 dans son ouvrage La république des girouettes (noté RG dans la suite de ce billet) paru chez Champ Vallon, idée qu'il reprend pour l'appliquer à la présidence du petit caporal en polléon dans son autre livre sur le même sujet L'extrême centre ou le poison français (noté EC dans la suite de ce billet) chez le même éditeur en 2019.

Bien qu'Alain Deneault ait repris l'expression, j'ai toujours considéré qu'il s'agissait au pire d'une sorte de boutade pour moquer les prétendus centristes ou au mieux d'une métaphore pour décrire cette droite qui n'ose dire son nom.

Or, un correspondant Twitter m'a remontré avec force conviction que Serna l'avait fait passer d'une opinion proche de la mienne à l'avis qu'il s'agit bien d'un autre pôle d'attraction politique, illustré par les revirements des gouvernements français depuis la Révolution. Pour en avoir le cœur net, je me suis donc lancé à l'étude des arguments de monsieur Serna.

Alors que le corps de l'ouvrage se lit bien, Serna a le don de faire des introductions lourdes, verbeuses, répétitives et assommantes, dont il n'arrive pas à se dépêtrer comme s'il les avait écrites avant les autres parties et même avant sa recherche. On sait pourtant que le secret d'une bonne introduction est d'avoir été rédigée après tout le reste de sorte qu'elle serve de guide à la lecture. De même, ses conclusions, bien que plus agréables que ses introductions, sont laborieuses et aussi répétitives, comme s'il les avait écrites avant le développement.

Cela dit, à partir d'exemples concrets des positions politiques et des acteurs qui se sont succédé à la gouverne de la République (et au passage des empires et de la Restauration), l'auteur illustre très précisément comment une compétition s'instaure entre des personnes aux convictions droitistes (propriété privée, promotion des intérêts individuels) dont une partie provient de l'ancienne classe nobiliaire et l'autre de la nouvelle aristocratie en construction, la bourgeoisie.

Serna donne trois éléments définitoires de l'extrême centre : —La modération ; —le girouettisme ; —la concentration sur le pouvoir exécutif. [EC p. 30 à 33] Le premier est un élément de discours, il n'y a aucune modération chez les pseudo-centristes. Le second est typique de qui fait passer les intérêts particuliers avant la justice sociale (donc typique de la droite), et le troisième est l'objectif de la droite extrême qui ne cherche qu'une chose : gouverner à sa façon sans partage.

Quand il dit « Cet extrême centre, difficilement repérable, parce que toujours réactif à une droite et une gauche qui doivent énoncer leur identité... » [EC p. 21], on constate justement que cette difficulté dépend du fait que ce mouvement est tellement conforme à la droite dans ses buts et méthodes, et tellement inconséquent dans son discours.

Il convient donc de le dire, cette obsession de la troisième voie n'est rien d'autre que la recherche légitimiste de l'aristocratie bourgeoise qui voudrait bien croire et faire croire qu'elle est mieux que celle qu'elle a remplacée. C'est pourquoi la recherche sans cesse recommencée d'un centre évanescent est un sempiternel rendez-vous à Samarkande.

Voici deux exemples historiques fournis dans l'étude :

« Napoléon et Louis XVIII ne seraient que des "excroissances" passagères de deux régimes politiques contrastés, la République autoritaire et le parlementarisme monarchique, si difficiles à concilier, mais qu'il faut obligatoirement recomposer ensemble, comme le suggère Le Nain jaune. » [EC, p. 167] En fait, non, ce sont deux candidats au même gouvernail de droite, auxquels les capitalistes ne donnent leur appui que s'ils gagnent.

« En résumé, sont défendus tous ceux dont le statut professionnel et l'activité publique en font, naturellement, une sorte d'élite conservatrice des intérêts propres à chacun, une forme d'aristocratie politique, entrevue en 1791, esquissée sous le Directoire, confirmée depuis le Consulat et consolidée sous la Restauration. » [EC, p. 188-189] Serna démontre donc très bien les tropismes du camouflage centriste d'une droite passive-agressive quand elle est dans l'opposition et férocement agressive quand elle est au pouvoir.

Ces exemples montrent que, pour le prétendu centre, la droite royaliste sert de repoussoir à la nouvelle droite bourgeoise. Prenons cette citation de Boulay de la Meurthe : « ...la faction royaliste et la faction démagogique... » [EC p. 148] On constate la duplicité du langage : la droite (l'autre droite) est un adversaire par ses choix, la gauche l'est par nature. Les royalistes sont des légitimistes, les gauchistes sont des méchants. La gauche est par ailleurs associée à l'anarchie. La droite est donc légitime contrairement à la gauche. Très clairement, le centre, c'est la droite.

Venons-en à ce qu'il dit du macronisme : « Qu'en est-il du macronisme ? Une Révolution comme le prétendait le candidat à la présidentielle du printemps 2017, sous-entendant une projection dans le futur, ou bien ce que j'appelle ici un OPHI, un Objet Politique Historiquement Identifié, et constitué de nombreux conservatismes passés et convergents ? » [EC, p. 204]

« La REM a en fait figé le phénomène de reproduction sociale en faveur des élites, l'accentuant, au lieu de régénérer la représentation de toute la société française. Une recette aussi vieille que la bonne révolution bourgeoise de 1789 et son invention de l'égalité des droits mais avec des citoyens actifs et des citoyens passifs exclus de la députation. » [EC, p. 231]

Je n'aurais pas mieux dit moi-même pour expliquer que le centre, c'est la droite.

Ce que montre de manière fort convaincante Serna, c'est que le centre est un prétexte, un leurre, un écran de fumée qu'on donne à voir pour masquer la promotion d'intérêts particuliers au détriment du progrès social (donc le noyau dur de la droite telle qu'on l'entend aujourd'hui) avec pour méthodes les moyens favoris de la droite extrême, soit la répression féroce et violente. Le centre n'est qu'un discours sans contenu, le pragmatisme étant la forme la plus achevée de la dérive droitière.

Le phénomène décrit par Serna est réel, mais c'est comme si, ayant enlevé les couches du déguisement que le mouvement porte, puis tracé le portrait réel de ce qu'il dissimule, et voyant apparaître ce que lui-même nomme le « vrai visage » du prétendu centre, il refusait de l'appeler par son nom « la droite dure » pour accepter l'appellation contrôlée dont elle s'est masquée en lui accolant simplement l'adjectif extrême, ce qui permet de constater qu'on arrive en fait à la droite extrême.

Dans tout son ouvrage, les isotopies du déguisement sont omniprésentes : masque, démasquer, vrai visage, dévoilement, cachés, etc. Ces mots reviennent comme leitmotiv de l'analyse, et pourtant, Serna n'ose pas reconnaître la figure qu'il a lui-même déterrée.

Pourtant, il se trahit dès l'avant-propos (qui en passant est plutôt une séries de remerciements assaisonnés de quelques avertissements) du premier livre [RG, p. 8] en utilisant l'exemple de Berlusconi dont le mouvement est carrément à droite et boucle la boucle dans la conclusion du deuxième [EC, p. 276] où il affirme que LREM dérive clairement vers la droite.

En fait, ce n'est pas une dérive, mais bien la tendance naturelle du pseudo-centre que de dissimuler son penchant fortement droitier pour prétendre à la modération. Là encore, quand il cite le fameux et oxymorique Révolution du petit caporal en polléon, il explique à l'envi comment fonctionne la prétention du centre : si c'est être à droite que d'avoir des valeurs réactionnaires (famille, travail, réussite individuelle), il est de droite, si c'est être à gauche que de croire à la l'égalité et à la justice sociale, alors il est de gauche. Mais justement non, le candidat n'y croit pas le moins du monde. Ce ne sont que des mots auxquels personne ne peut s'opposer. Ce sont des sésames. Il suffit de les prononcer et de ne jamais songer à les réaliser.

Le pseudo-centre est bien la droite révolutionnaire dont parle le chercheur israélien, Zeev Sternhell, dont Serna affirme d'ailleurs s'être inspiré [EC, p. 25] et dont il dit qu'il l'a justement démasquée [EC, p. 185]. On voit apparaître devant nous l'invention du marketing politique, illustré par la fausse représentation d'une illusion appelée centre, destinée à préserver un semblant de légitimité.

Le rapport du prétendu centre avec la droite en est un de compétition. On est sur le même terrain, on veut la même chose, on prend les mêmes moyens et c'est à qui prendra l'autre de vitesse ou de ruse. Sur le plan idéologique, c'est un rapport de fausse concurrence, c'est Pepsi qui se prétend radicalement différent de Coke.

Avec la gauche, le rapport du supposé centre en est un d'incompatibilité absolue. C'est pourquoi les discours du centre sont toujours trompeurs, souvent mensongers et parfois carrément loufoques. Ces trois cas de figure se retrouvent facilement dans les tirades hallucinantes et hallucinées du petit caporal en polléon.

Si l'on ne devait retenir qu'une chose, c'est celle-ci : le centre n'est jamais rien d'autre qu'un soi disant destiné à masquer un programme typiquement droitiste, la promotion d'intérêts particuliers au détriment de la justice sociale.

Finalement, il ne s'agit pas d'un poison français, même s'il tire son origine des bouleversements de la Révolution de 1789, mais bien d'un poison universel. Dans tous les pays, on use du subterfuge du centre pour faire avancer la droite la plus féroce. Partout dans le monde, les droitistes ignorants, honteux ou hypocrites se sont cachés derrière des déclarations où ils affirment être ni de droite ni de gauche pour attirer les ignorants, les naïfs et les arrivistes dans leur croisade pour les intérêts particuliers contre la justice sociale. Et partout dans le monde, ces groupes, lorsqu'ils sont élus, ne réalisent que les éléments du programme auxquels ils croient vraiment : ceux de droite.

Francis Lagacé

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