mardi 22 septembre 2020

Vivre en ville, un choix écologique et de santé

 

Laissons la parole à Francis

Vivre en ville, un choix écologique et de santé 

2 septembre 2020

Avec la pandémie, plein de citadines·citadins ont redécouvert la campagne et en grand nombre sont les adeptes des Pensées d'un emballeur (Jean-Louis-Auguste Commerson) qui souhaitent ardemment construire les villes à la campagne puisque l'air y est plus sain et que les décors y sont plus beaux.

Il convient pourtant, en tout respect pour l'enthousiasme romantique envers les décors bucoliques, de replacer les choses en perspective pour rappeler que la ville constitue un choix écologique et de santé hautement respectable, et ce pour de nombreuses raisons.

1. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, et c'est parfaitement logique quand on s'arrête sérieusement pour y penser, l'empreinte carbone d'une personne qui réside en ville est moindre que celle d'une personne qui vit à la campagne. Jusqu'à trois fois moindre selon certaines études.

2. L'avantage important de la ville est la mise en commun des infrastructures : la surface occupée par un·e citadin·e est beaucoup moins grande que celle occupée par un·e rural·e. Les mètres carrés d'asphalte par habitant·e sont moins nombreux en ville.

3. La mise en commun des équipements d'aqueduc et d'égoûts revient moins cher par personne en ville qu'à la campagne, grâce à la concentration des individus.

4. À la campagne, l'utilisation d'une voiture, à moins d'habiter la rue principale d'un village, est à toutes fins pratiques obligatoire. Or, il est plus facile pour les résident·e·s des villes de se passer d'automobile. Iels sont aussi un plus grand nombre à marcher pour se rendre au travail ou faire leurs courses.

5. À moins de disposer de son propre potager et d'y pratiquer une culture très variée, les urbain·e·s et les campagnard·e·s sont à la même enseigne quand il s'agit de s'alimenter. Iels se procurent dans les marchés d'alimentation des fruits, légumes, céréales et viandes qui font le tour du pays avant d'atterrir sur les tablettes. Les productrices·producteurs agricoles ne sont pas nécessairement mieux loti·e·s, la plupart pratiquant la monoculture, la biculture ou la triculture. Une personne qui ne cultive que du maïs ne se nourrit pas que de maïs ; une personne qui élève des bovins ne se nourrit pas que de bœuf.

Pour ce qui est du petit potager familial qui se pratique à la campagne, il se pratique aussi en ville dans les jardins communautaires et même sur certains toits.

6. Les élevages mono-industriels de porc dégagent des odeurs pestilentielles dans leur voisinage, ce qui est une pollution assez difficile à endurer. Les véhicules moteurs comme les « quatre roues », les motoneiges, les motomarines et autres véhicules récréatifs participent à la pollution sonore en plus de défigurer les espaces qu'ils occupent.

7. Les entreprises industrielles de culture de fruits, de céréales ou de légumes utilisent des pesticides qu'elles répandent à tous vents sur des surfaces considérables, affectant les sols, les plantes et les êtres vivants sur des aires souvent beaucoup plus grandes que celles visées. Ces pesticides ruissellent dans les cours d'eau.

8. Les dépotoirs sauvages sont aussi présents à la campagne qu'en ville. Celleux qui contribuent à les emplir ne sont pas nécessairement des personnes en visite.

9. Le mode de production capitalistique de l'industrie agricole est proprement délétère pour les employé·e·s. Le témoignage de quelqu'un qui s'est inscrit comme travailleur agricole dans le cadre de la pandémie est particulièrement éclairant à cet égard.

10. L'Institut national de la santé publique du Québec montre que l'espérance de vie en santé à la campagne est légèrement inférieure à celle de la ville. Même s'il s'agit d'une différence inférieure à deux ans, il reste qu'au point de vue statistique, cela a une certaine valeur et signifie surtout qu'il n'y a pas d'avantage automatique à naître à la campagne.

11. Les relations de voisinage ne sont pas nécessairement plus conviviales à la campagne qu'à la ville. La tradition veut que les premières soient affectées par les inévitables chicanes de clôture (cela s'applique aussi à la banlieue dont je ne traite pas ici, mais qui peut être considérée comme un mélange des désavantages des villes et des campagnes au point de vue environnemental) et que les secondes soient marquées par l'indifférence, mais quand ces difficultés se muent en hostilité, la vie devient insupportable pour tout le monde. Est-il plus facile de changer de village que d'immeuble ?

12. Le taux de suicide est nettement plus élevé à la campagne qu'en ville, soit 7 pour 100 000 de plus, nous révèle l'Institut national de la santé publique. Le mal de vivre n'est donc pas soigné par l'isolement. Et la présence d'armes à feu serait, selon les sondages, plus grande dans les foyers ruraux qu'urbains, principalement en raison de la chasse sportive. Lire à ce sujet la page 4 du document Prévention en regard des armes à feu.

13. Les accidents de voiture causant la mort sont plus fréquents à la campagne. Cela découle du fait que les déplacements en voiture y sont plus nécessaires et plus longs qu'en ville.

14. La proximité des soins de santé est un avantage considérable pour la ville. Le délai avant l'arrivée des secours dans le cas de crise cardiaque ou d'accident vasculaire cérébral est crucial et peut faire la différence entre la mort, la paralysie ou la vie en santé. Les personnes vieillissantes dont la mobilité est réduite devraient y réfléchir avant d'investir dans l'achat d'une maison au fond d'une petite vallée « comme égarée presque ignorée ».

Les conditions qui rendraient la campagne plus écologique seraient une conversion à l'agriculture biologique, une meilleure desserte de transports en commun entre les villages, une meilleure consommation locale des aliments, une gestion mieux intégrée des déchets. Il faudrait aussi améliorer l'accès à des activités culturelles variées et favoriser les échanges permettant la présence de personnes provenant de toutes les diversités.

Les conditions qui rendraient la ville plus écologique seraient un meilleur approvisionnement en produits alimentaires locaux, la création de plus d'ilôts de verdure, la concentration du développement de quartiers autosuffisants en matière de services de proximité, le développement de l'agriculture urbaine, la suppression des ilôts de chaleur, l'amélioration du traitement des déchets industriels, l'amélioration de la qualité de l'air.

Dans les deux cas, ville ou campagne, il conviendrait de redonner aux CLSC leur rôle de première ligne d'intervention en matière sociale et de santé. Le Québec qu'ils avaient contribué à humaniser est devenu obsédé par la gestion à la petite semaine avec les conséquences horribles et meurtrières que nous avons vues à l'occasion de la pandémie.

Francis Lagacé

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