samedi 12 décembre 2009

Ô Liberté


Ô Liberté

Chénier sur un genou se relève un instant;
Il se dresse, aveuglé de sang, l'habit sordide,
Défiguré, hagard, effroyable, splendide;
Et, pour suprême insulte à la fatalité,

Le fier mourant cria :

- Vive la liberté!

Puis dans le tourbillon, la poudre, le vacarme,
Par un dernier effort il déchargea son arme.
Un nouvel ennemi tomba, mais ce fut tout :
Colborne et ses soudards étaient vainqueurs partout!
Ce qui suivit eût fait rougir des cannibales.

On traîna de Chénier le corps criblé de balles;
Un hideux charcutier l'ouvrit tout palpitant;
Et par les carrefours, ivres, repus, chantant,
Ces fiers triomphateurs, guerriers des temps épiques,
Promenèrent sanglant son cœur au bout des piques...

Puis la torche partout! les braves en avant!
On brûla les maisons, on brûla le couvent;
Si quelque humble demeure échappait mi-détruite,
C'est que l'on pourchassait quelques femmes en fuite.
De quartier nulle part, nulle compassion;
Partout pillage, vol et dévastation!
Les vieux citent encore des traits épouvantables :
On sabrait dans les lits, on sabrait sous les tables;
Tuer des prisonniers, éventrer des mourants,
C'étaient nobles exploits. Un enfant de quatre ans
Est là tout étonné qui regarde et qui flâne;
Un des braves l'ajuste et lui brise le crâne...
Ce brave eut un procès, mais il fut acquitté,
N'ayant au fond puni qu'un petit révolté!

Enfin, le lendemain, ces nobles Alexandres
Laissaient par derrière eux trois villages en cendres!

- C'est à ces durs prix-là - sombre nécessité!
Que tout peuple naissant t'achète, ô Liberté!