dimanche 2 avril 2017

Qu'importe la liqueur pourvu que le flacon soit joli


Parlons de la décision du ministre de l'Éducation du Québec avec Francis Lagacé


Qu'importe la liqueur pourvu que le flacon soit joli 

2 avril 2017

Pervertie la célèbre citation de Musset, pourtant assez perverse elle-même : « Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. » La science réelle et l'expertise terrain s'effacent totalement devant la notoriété, désormais seule garante de probité et de compétence. J'en veux pour preuve le fait qu'une « personnalité » rayonnante de joie et de gentillesse, mais dont la culture est plutôt mince, soit devenue ministre du Patrimoine canadien.

utre exemple : mais quel pays formidable que ce Québec où une série d'incultes peuvent successivement occuper le poste de ministre de l'Éducation ! La maladie est sans doute civilisationnelle et pas locale : ils n'en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Briller dans un selfie fait foi de toute capacité.

Et voilà-t-il pas que le jovial ministre de l'Éducation du Québec fera appel à trois vedettes millionnaires pour remettre l'école québécoise sur les rails : un cuisinier, un adepte de la bonne forme physique et un architecte. Trois hommes, trois millionnaires, trois  outsiders.

Mais attention ! nous prévient-on. Ce sont des entrepreneurs autonomes et très capables. On oublie qu'au moins deux d'entre eux ont bénéficié des largesses de l'État : le cuisinier a longtemps eu une émission de télé à Radio-Canada, ce qui lui a permis d'amasser les fonds nécessaires à lancer son entreprise. Le spécialiste de la bonne forme fait appel régulièrement aux contributions du public et a aussi bénéficié de subventions.

Mais ce n'est pas tout, ce sont des gens qui pensent en dehors du cadre. Je ne savais pas que le processus d'expansion classique de l'entreprise capitaliste (concentration horizontale pour occuper le plus d'espace possible et concentration verticale pour contrôler le profit à toutes les étapes de la production) était une preuve d'esprit innovant.

Et, cerise sur la gâteau, nos trois gais lurons ne seront pas rémunérés, on se contentera de payer leurs dépenses : matériel, déplacements, séjours un peu partout pour examiner ce qui se fait de mieux. Si vous promettez de défrayer le séjour et le transport, vous aurez des légions de pédagogues aguerris qui se feront un grand plaisir de travailler bénévolement. Depuis quand est-ce une grande preuve de générosité pour un millionnaire que de donner un peu de son temps ?

Les syndicats d'enseignants et les groupes communautaires ont plutôt mal réagi devant l'Annonciation de nos valeureux rédempteurs. Mal leur en prit, obnubilés par la « bonne volonté » et l'aura du succès individuel, les bonzes de la doxa économique ont traité les malheureux syndicalistes de pisse-vinaigre et d'empêcheurs de se réjouir en rond.

Il conviendrait par ailleurs de rappeler que la réussite individuelle n'existe pas. Si les entrepreneurs de quelque extraction qu'ils soient avaient à former leurs employéEs du début, avaient à payer pour la fabrication et l'entretien des infrastructures dont ils bénéficient (routes, canalisations, réseaux d'énergie, réseaux de communication, etc.), ils ne seraient jamais couronnés ni millionnaires.

Une telle opération glamour méprise les gens qui travaillent sur le terrain, qui connaissent de quoi il en retourne, qui ont déjà lu toutes les études sur les solutions trouvées ici et ailleurs, qui n'auront pas besoin de refaire un voyage en Scandinavie, et qui font des demandes d'amélioration précises et répétées depuis des décennies. On se rendra compte tout à coup qu'ils avaient raison parce qu'un pipole l'a dit. Ça me fait penser à ces fréquentes disputes entre conjoints quand l'un des deux essaient d'expliquer à l'autre le tort que lui fait tel aliment, et que cet autre s'illumine tout à coup, parfois après des années, quand la vedette du jour déclare la même chose dans les médias.

Mais, je suis un bilieux : écoutez plutôt et, surtout, regardez les joyeux minois dont les images fleurissent ; ils savent mieux que vous ce dont vous avez besoin.

LAGACÉ, Francis

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