dimanche 26 mai 2013

Lettre ouverte aux indépendantistes



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Lettre ouverte aux indépendantistes



Publié le 24 mai 2013

Le patronat québécois a été historiquement l’adversaire le plus farouche et le plus efficace de la souveraineté économique et politique du Québec.  Nombre d’indépendantistes persistent cependant à entretenir l’espoir qu’une partie de l’élite économique donnera à nouveau un jour, comme en 1995, son feu vert à ceux qui comme la direction du PQ attendent  son autorisation avant de solliciter le peuple au rendez-vous avec son avenir.

Force est de constater que les choses ont bien changé. Le segment nationaliste formé par certains barons du Québec Inc. tend à être de plus en plus ténu et isolé. Au cours des 15 dernières années, l’élite économique dominante du Québec a été si bien intégrée à celles de Bay Street et de Wall Street, qu’elle en épouse tous les grands desseins politiques.

Les incroyables compromis et acrobaties politiques consenties par le Parti Québécois pour rendre service à l’empire médiatique Québecor (Amphithéâtre, Hydro-Québec) auront sans doute été accomplis dans l’espoir d’en faire un allié stratégique dans une éventuelle initiative indépendantiste à venir. Mais aussi exceptionnel et désintéressé que puisse être cet appui (ce qui reste bien entendu à prouver et éprouver), il représente une fraction très minoritaire du milieu patronal Québécois. L’essentiel des forces organisées du secteur privé agit de manière cohérente et constante pour maintenir le Québec dans le statu quo actuel qui lui convient parfaitement.

Pourtant, au cours de ses 8 mois de pouvoir, le PQ a soumis ses décisions, parfois de façon caricaturale, aux désidératas de l’élite d’affaire. Les indépendantistes progressistes qui ont donné leur appui au PQ depuis de très nombreuses années assistent avec découragement  à l’incapacité de ce parti à décider de ses orientations en toute indépendance du secteur des affaires.  Ceci a entrainé de nombreux revirements pénibles et controversés, qui coutent cher en appui populaire au PQ.  Beaucoup se demandent alors comment le parti Québécois compte-t-il susciter l’enthousiasme de la population et obtenir l’appui nécessaire à une majorité, condition nécessaire pour agir de manière décidée et déclencher le processus devant mener à l’indépendance du Québec.

En effet, comment le Parti Québécois compte-t-il inspirer, mobiliser,  convaincre la population de faire preuve du courage collectif nécessaire à la réalisation de la souveraineté après avoir renié une fois au pouvoir toutes ses promesses les plus essentielles  sur la taxe santé, sur les droits miniers et l’impôt des riches de peur d’effaroucher le milieu des affaires?

Comment veut-il compter sur les couches populaires, après avoir coupé dans les maigres revenus des assistés sociaux sans tenir compte de l’avis contraire de tout le monde à l’exception de quelques animateurs de Radio-X? Comment veut-il attirer les classes moyennes après avoir coupé des centaines de millions en santé et continué à peu près en tout point les projets sournois de privatisation des services et les PPP lancés par les libéraux? Comment le Parti Québécois veut-il mobiliser les secteurs les plus actifs et les plus progressistes, après avoir nommé Pierre Karl Péladeau,  adversaire primaire des droits sociaux et de la social-démocratie, si ce n’est de l’État lui-même, à la tête de la plus grande entreprise publique- de quoi faire rager de honte René Levesque dans sa tombe?

Comment veut-il rallier les écologistes, avec le clientélisme désolant qui consiste à troquer un des joyaux du patrimoine naturel du Québec à Val Jalbert pour garder l’appui de quelques caciques locaux et barons du génie-conseil et ce à grands frais pour les contribuables?  Quel signal envoie le PQ aux vautours qui rodent alentour de nos ressources naturelles et au reste du monde? Que le PQ est aussi «disposé» que le PLQ de Jean Charest à solder nos ressources à vil prix. Qu’il n’est même pas capable de résister au lobby minier pour respecter un engagement aussi simple et facile que la date butoir de 2035 pour le 50 % de protection du territoire et 20 % du territoire nordique d’ici 2020, reniant du coup nos engagements internationaux.

Est-ce là l’inspiration pour le peuple à qui nous voulons donner le goût de la liberté et de l’indépendance?

Comment le PQ peut-il espérer convaincre notre peuple que la souveraineté est pour son bien, après avoir bafoué ses principes au point de s’en prendre aux plus damnés des mal pris en introduisant l’alcool dans les aires de jeu – connaissant pourtant le grand risque de jeu pathologique qui l’accompagne – ce que même les libéraux n’avaient pas osé faire?

Alors que sur des milliards de bénéfices déclarés, les grandes entreprises ne paient que 2% d’impôt effectif au Québec; alors que 90 milliards de l’argent de québécois très nanties et de leurs entreprises se trouvent dans les paradis fiscaux,  faute de courage politique et avec une myopie digne de Lucien Bouchard, le PQ a fait son déficit zéro en coupant dans les services et en alourdissant le fardeau des citoyens ordinaires.  Pourquoi alors les gens devraient-ils prendre le risque de suivre un parti aussi insensible et timoré dans une aventure aussi engageante et «tumultueuse» que la marche vers l’indépendance?

Des leçons à tirer d’ailleurs

Dans un texte éclairant sur les résultats des élections récentes en Équateur, Atilio Boron, politicologue et sociologue argentin,  tente de tirer quelques leçons de la victoire convaincante du président socialiste Rafael Correa qui pourraient bien nous servir. Après 6 années au pouvoir, et en dépit de la farouche opposition des élites d’affaires, des grands groupes médiatiques et même de l’Assemblée nationale, le  président sortant Rafael Correa a réussi le tour de force d’accroitre son appui électoral en remportant 57% des voix au premier tour! Ceci est d’autant plus étonnant en apparence que Correa n’avait obtenu que 51% en 2009 et encore moins au premier tour des élections qui ont couronné la « Révolution Citoyenne » de 2006.

Selon Boron, le succès convaincant de Correa prouve « que si un gouvernement obéit au mandat populaire et met en place des politiques publiques dont bénéficient les majorités nationales – ce qui finalement est le sens de la démocratie – la loyauté de l’électorat peut être considérée comme sûre. La manipulation des oligarchies médiatiques, la conspiration des classes dominantes et les stratagèmes de l’impérialisme s’écrasent contre le mur de la fidélité populaire ».  Le triomphe de Correa démontre  aussi que « la thèse conformiste si répandue dans la pensée politique conventionnelle à savoir : que « le pouvoir use », est seulement valable en démocratie quand le pouvoir est exercé au bénéfice des minorités riches ou quand les processus de transformation sociale perdent leur consistance, hésitent et finissent par se diluer.»

Pour commenter sa victoire, le président équatorien a pris la peine lui-même d’insister sur l’importance d’agir avec détermination: « Ou nous changeons le pays maintenant ou nous ne le changeons plus… Le projet de créer un ordre social basé sur le « bon vivre » de nos peuples originaires, exige d’agir avec rapidité et détermination ».

À l’opposé de Correa, malgré des milliers de sympathisants-es prêts à agir, enthousiastes de commencer à se mobiliser pour l’indépendance, le PQ s’emploie à gérer timidement une province, souvent dans les traces des libéraux.

Une grande majorité des députés-es du PQ vivent un profond malaise et doivent penser comme moi que nous méritons mieux comme horizon politique. La province, c’est pour les vaincus (pro vincia). Alors que pour l’indépendance, il nous faut vaincre les obstacles érigés par les adversaires de la souveraineté.  Une question s’impose donc à celles et ceux  qui, avec sincérité et bonne foi, continuent à attendre du PQ de faire l’indépendance : dans les conditions actuelles de la soumission de la direction du PQ au milieu des affaires, comment ce parti pourra-t-il  poser les gestes  audacieux qui devront accompagner la marche du peuple québécois vers son indépendance nationale?

Le PQ attend de toute évidence une permission du milieu patronal qui ne viendra pas.

Pour ceux et celles d’entre nous qui voulons l’indépendance sans attendre cette permission, je signale en toute modestie mêlée d’enthousiasme qu’il y a d’autres choix politiques.  Un choix qui s’impose naturellement quand on fait le bilan lucide du passé et du présent du PQ.   Ce bilan a été effectué de manière répétée depuis 1997 et a donné naissance au RAP, puis à l’UFP et enfin à Québec solidaire. Il en a émergé ainsi un projet de société et une stratégie pour faire du Québec un pays.

Une stratégie pour l’indépendance

L’extraordinaire effervescence du « printemps québécois » en 2012 tout comme le soulèvement citoyen dans la vallée du St-Laurent contre l’exploitation des gaz de schiste en 2010 nous ont montré que les pratiques démocratiques de mobilisation populaire fondée sur des assemblées, discussions de cuisine, manifestations et débats publics suscitent une adhésion croissante de la population à une idée phare qui semblait peu répandue au départ. La lutte pour l’indépendance nationale, qui a été trop souvent réduite à la crainte de menacer la stabilité économique, ne pourra retrouver la pleine force de son potentiel social mobilisateur qu’en se liant à un large processus démocratique, sollicitant une large participation de la base. La stratégie et les objectifs d’accession à l’indépendance doivent être définis et reposer sur cette participation, ce qui constitue un exercice de la souveraineté populaire.

L’Assemblée constituante est le moyen par lequel le peuple québécois pourra librement reprendre en main son destin, en toute autonomie des pressions de l’Assemblée nationale, des oligarchies médiatiques et des milieux d’affaires qui défendent le statu quo. L’indépendance ne découlera pas du jeu de la classe politique, même si celle-ci est appuyée par une campagne de marketing ou un Sommet de deux jours représentant des intérêts limités.

C’est du pouvoir citoyen, élu au suffrage universel pour représenter la pluralité de la société québécoise (équilibre hommes/femmes, communautés historiques, diversité des milieux socioéconomiques et culturels), que devra émerger un projet de pays rassembleur, capable de donner l’impulsion du changement et le goût de la liberté.

Ce pouvoir citoyen, investi des moyens et des pouvoirs conférés par l’institution de l’Assemblée constituante, représente en plus un rapport de force insoupçonné, d’une ampleur qui a échappé au mouvement souverainiste depuis les 15 dernières années – depuis la Commission itinérante de 1995 et de ses partenaires de la souveraineté. Toute nouvelle stratégie d’accession à l’indépendance ne peut désormais reposer que sur un  rapport de force populaire.

En effet, depuis 15 ans les forces fédéralistes se sont employées à «neutraliser» les principaux leviers du processus d’accession à l’indépendance (Caisse de dépôt, quelques têtes d’affiche du milieu des affaires, appui tacite de la France) et d’encombrer notre chemin de plusieurs autres obstacles dont la loi sur «la clarté» référendaire.

Ces manœuvres au sommet au bénéfice des fédéralistes expliquent en grande partie les atermoiements malheureux de ceux qui ont attendu d’illusoires «conditions gagnantes» (habituellement comprises comme l’approbation des milieux économiques)…mais indiquent également que la réponse doit se trouver à la base. La solution ne serait-elle pas justement dans les conditions qu’il faut réunir pour recueillir le plus large appui possible des couches populaires ? Si «un gouvernement obéit au mandat populaire et met en place des politiques publiques dont bénéficient les majorités … la loyauté de l’électorat» peut-elle être considérée comme sûre ?

Selon moi, la réponse à ces deux questions est oui. Et sa preuve à contrario peut être facilement démontrée dans l’incapacité du PQ à mobiliser depuis son virage néolibéral des 15 dernières années et sa dégringolade dans l’appui populaire depuis qu’il est au gouvernement en raison de ses importants reculs en matière sociale

Les classes moyennes et populaires, constituent heureusement l’ultime allié qui compte- le grand nombre, la majorité – l’allié dont le x sur le bulletin sera le plus déterminant le jour qui compte : le jour où nous déciderons de notre indépendance.

L’idée d’indépendance ne se limite pas à la défense nos intérêts économiques (qui sont souvent ceux d’une minorité possédante), ou à l’exaltation de notre fierté identitaire (qui oublie parfois l’inclusion des nouveaux arrivants-es) ; elle repose sur la volonté collective de bâtir un monde commun dans lequel notre société pourra définir librement ses institutions, ses valeurs et son avenir politique. Tel est le sens du principe d’autodétermination du peuple québécois, qui est au fondement de l’Assemblée constituante.

La victoire électorale écrasante de Rafael Correa est un bel exemple de cette dynamique prometteuse. Sa victoire repose sur les espaces de liberté politiques conquises par le peuple équatorien tout particulièrement grâce au processus de la constituante de 2008. Elle constitue donc une preuve positive de l’efficacité stratégique que représente l’assemblée constituante pour donner un rapport de force aux mouvements sociaux et populaires pour affronter la puissance des défenseurs du statu quo.

Il s’agit là, de la stratégie la plus démocratique, inclusive, efficace et légitime qui permettra de rallier l’ensemble des forces agissantes et combattives, qui sont le plus souvent issues des mouvements syndical, populaire, féministe, étudiant, écologiste et indépendantiste. Ralliement nécessaire à l’élaboration collective d’une nouvelle dynamique politique, à l’avantage de la majorité de la population. À l’avantage de notre indépendance nationale.

Amir Khadir, député solidaire de Mercier

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