vendredi 25 octobre 2013

L’accord de libre-échange canado-européen: La signature de l’entente soulève des vagues

Paul Cliche nous parle de cet accord de libre-échange canado-européen



L’accord de libre-échange canado-européen: La signature de l’entente soulève des vagues

Paul Cliche, militant progressiste

L’encre n’était pas encore sèche sur le protocole signé par le Canada et l’Union européenne pour conclure une entente de principe sur l’Accord économique et commercial global (AÉCG) que l’évènement soulevait des vagues et que les positions se sont cristallisées. D’une part, le gouvernement Marois s’est dépêché d’accorder un appui sans réserve à cet accord de libre-échange qui sera dans le décor si des élections ont lieu cet automne. D’autre part, ATTAC-Québec, le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), Alternatives, la CSN, le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile, de même que Québec solidaire expriment de profondes réticences à l’endroit de ce dernier et réclament que le document soit rendu public le plus vite possible.

On désire aussi qu’un débat public puisse avoir lieu sur les enjeux majeurs qu’il soulève et qu’une consultation populaire ait lieu préalablement au vote sur sa ratification à l’Assemblée nationale. De plus, dans une pétition adressée au premier Harper, le Réseau pour le commerce juste réclame même -avec 30 autres organisations altermondialistes dont les québécoises mentionnées plus haut- que les élus dans les Parlements aient la chance de revoir, de réviser et même de rejeter l’entente si elle n’est pas dans l’intérêt public, et ce avant qu’elle ne soit signée.

Il est donc clair que cet accord ne pourra pas passer comme une lettre à la poste contrairement aux négociations qui se sont déroulées quatre ans et demi sous le radar sans que les citoyens ni même les élus puissent en être informés. L’ex-ministre péquiste Louise Beaudoin a dénoncé, il y a quelques jours, le déficit démocratique important provoqué par la chape du de plomb qu’on a imposée sur le déroulement de ces interminables négociations. De plus, on doit savoir à quel prix cette entente a été conclue? Ces dernières n’auraient d’ailleurs pas connu leur conclusion si le premier ministre Harper, craignant d’être doublé par les États-Unis, n’avait pas finalement consenti d’importantes concessions qui pénaliseront plusieurs secteurs.

Des fromages québécois aux contrats publics

C’est un déblocage de dernière heure sur les questions agricoles qui a rendu l’entente possible. Le négociateur pour le gouvernement du Québec, Pierre-Marc Johnson, a même admis n’avoir appris que le 14 octobre (trois jours avant l’entente) l’acquiescement du gouvernement conservateur à la demande de l’Union européenne de vendre beaucoup plus de fromage au Canada. En effet les importations totales de fromages européens, libres de droits de douane, passeraient d’environ 20 000 à 37 000 tonnes. L’entente a déjà été dénoncée par la Fédération des producteurs de lait du Québec parce que des 17 000 tonnes d’importations supplémentaires 16 000 tonnes seront des fromages fins, un domaine où les Québécois occupent actuellement 60% du marché. Par contre, les exportations de bœuf et de porc canadien seront favorisées. On ne peut croire que le gouvernement Marois laissera le gouvernement Harper sacrifier ainsi les fromages québécois au profit du bœuf de l’Ouest. D’autant plus que l’expérience prouve que des indemnisations pour pertes encourues, de même nature que celles promises maintenant aux producteurs de lait et de fromage, n’ont pas été appliquées dans le cadre de l’ALÉNA, avertit l’économiste et ex-député bloquiste Pierre Paquette. Il faut donc tout au moins mettre un bémol à cette promesse de mesure de mitigation qui ressemble plutôt à de la poudre aux yeux.

Même si on a mentionné que les producteurs laitiers et les fromagers québécois ont seraient parmi les plus pénalisés, il ne faut pas oublier que d’autres secteurs seront aussi affectés gravement. Ainsi, comme le soulignent ATTAC-Québec et la CSN, les multinationales européennes pourront avoir une mainmise grandissante sur plusieurs contrats importants accordés dans les services publics provinciaux et municipaux (eau, transport, énergie, etc). Pensons aux contrats d’Hydro-Québec, aux grands chantiers hospitaliers et scolaires, aux transports collectifs. Ces derniers ne pourront plus servir de levier pour le développement local, craint-on.

La facture des médicaments augmentera

La prolongation des brevets pharmaceutiques, qui risque d’augmenter substantiellement la facture des médicaments pour les particuliers et le gouvernement, constitue un autre point majeur. Le Québec paie déjà près de 38% de plus que la moyenne des pays de l’OCDE pour ses médicaments. L’Association canadienne du médicament générique, dont les membres sont pénalisés par cette concession, évalue que l’impact d’une telle prolongation pourrait coûter 777 millions$ annuellement au Québec.

Par ailleurs, l’équivalent du chapitre 19 de l’ALÉNA, qui subordonne la souveraineté des États au moyen d’un processus d’arbitrage secret dépourvu de tout mécanisme de reddition de comptes, s’appliquera aussi dans l’AÉCQ. Il permettra aux entreprises de poursuivre les États concernant les lois et les règlementations qu’adoptent démocratiquement ces derniers. Par exemple, le Canada fait actuellement face à une poursuite de 250 millions$ de Los Pine Ressources, une compagnie à capitaux étrangers installée à Calgary qui extrait du pétrole et du gaz pour exportation. Cette poursuite résulte de l’imposition d’un moratoire par Québec sur la fracturation hydraulique et l’exploitation du gaz de schiste.

Des points de vue diamétralement opposés

C’est une aberration pour un gouvernement souverainiste d’accepter un tel accord qui favorise une poignée de grandes entreprises pour qu’elles accèdent à des marchés européens qui leur sont déjà largement ouverts, déplore ATTAC-Québec. On crée des emplois mais on ne mentionne jamais ceux qu’on sacrifie comme dans le secteur de la production de fromages québécois, conclut l’organisme. Quant à Québec solidaire, il estime que l’accord constitue une grave attaque contre la souveraineté du Québec. Il soutient que le gouvernement Marois a cédé au mirage de l’augmentation des exportations ne bénéficiant qu’à une minorité d’entreprises.

Quant au Réseau pour le commerce juste il souligne que les visées de l’AÉCG, qu’il qualifie d’accord de nouvelle génération, vont non seulement plus loin que l’ALÉNA mais qu’elles sont aussi plus préoccupantes, car pour la première fois on a négocié des domaines entiers relevant de la juridiction des provinces et des pouvoirs municipaux. Il conclut que «plus que de chercher un plus grand accès aux marchés européens, encore moins de créer de l’emploi ici, les promoteurs de l’AÉCG ne visent qu’à attirer des capitaux étrangers et donner un libre accès à nos ressources aux puissantes multinationales européennes».

Ce point de vue est bien différent de celui d’un conseiller du gouvernement, l’économiste Pierre Fortin, qui a écrit que “le libre-échange, c’est la liberté pour nos entreprises d’exporter sans entraves dans un pays étranger, en échange de la même liberté d’accès des entreprises de ce pays à notre territoire. Dans le domaine économique, c’est l’équivalent des Jeux olympiques. Nos entreprises sont forcées de se battre contre les meilleures. C’est le seul moyen pour elles de parvenir au sommet mondial de l’excellence. La patinoire est agrandie pour tous. On accroît ainsi la création d’emplois et de richesse et on profite d’un plus grand éventail de produits, à meilleur prix».

Montréal, 20 octobre 2013

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