vendredi 3 août 2018

De l'utilité de la colère


Voici un excellent article de Francis Lagacé paru le 22 mars 2015 portant sur la colère que je vous invite à lire :


De l'utilité de la colère 

22 mars 2015

La colère est mauvaise conseillère dit l'adage. Peut-être l'adage est-il, comme souvent, plutôt conservateur et peu approprié à la défense du peuple, parce que la colère, c'est drôlement utile.



Qu'on ne se méprenne pas ! Attention ! Je ne parle pas de la rage. La rage rend aveugle et répand de façon indistincte la sanction sur toutes les personnes qui ont le malheur d'être sur le chemin de l'enragé. Il n'est pas question de ça ici.



Qu'on ne se méprenne pas ! Attention ! Je ne parle pas de l'impulsivité. L'impulsivité fait réagir trop vite et commettre des bêtises qui peuvent affaiblir la personne qui en est affectée. Il n'est pas question de ça ici.



Un exemple : Vous passez à côté de deux hommes, l'un vous fait un croc-en-jambe. Réaction d'enragé, vous engueulez les deux alors qu'un seul est coupable. Réaction impulsive vous frappez le responsable du croc-en-jambe, ce qui déclenche un bagarre.



Mais, si vous vous mettez en colère, vous pourrez prendre le temps de réfléchir à la bonne façon de trouver réparation : demander des excuses, porter plainte, ne plus faire affaire avec cette personne si elle vous était connue, etc.



La colère est nécessaire pour s'opposer aux injustices. Notre grand poète et chanteur Félix Leclerc l'a bien compris dans son Alouette en colère. Les ecclésiastiques ne s'y sont pas trompés, eux, qui ont fait de la colère un péché capital, donc une chose interdite pour le peuple et réservée seulement aux puissants et à eux-mêmes. D'ailleurs, quand ils se fachent, eux, ce sont de saintes colères. Les crimes des dominés sont les vertus des dominants.



Parce que la colère signifie la possibilité de révolte, la colère est loin d'être une mauvaise chose.



Une anecdote en passant. Dans une famille dysfonctionnelle de ma connaissance, l'un des parents au matin, en plus de raconter les voix qui peuplaient sa tête, se concertait avec tous ses enfants pour décider qui d'entre eux serait la victime du jour afin de lui imposer diverses brimades et mauvais traitements. Quand la victime se plaignait, on l'accusait de colère, qui était un bien vilain péché.



Évidemment, on ne s'avisait pas que tourmenter un enfant est bien plus grave que de se mettre en colère. Après tout, la colère est listée parmi les péchés capitaux, alors que les tourments et même la torture n'y figurent pas. On peut même dire que la persécution et les supplices font partie des bonnes pratiques grâce au divin exemple de la Sainte Inquisition.



Bon, il s'agit d'un cas pathologique, bien sûr, mais il reste que toutes les dictatures, de petite ou de grande taille, s'autorisent de l'interdit qu'on impose à la colère et à la révolte.



Dans un magnifique discours prononcé en juin 1981, la féministe Audre Lorde explique comment la colère doit être canalisée pour lutter contre l'injustice et plus particulièrement le racisme. La lecture de ce discours devrait être obligatoire dans les cours d'éducation à la citoyenneté : «The Uses of Anger : Women Responding to Racism» traduit en français par «De l'usage de la colère : la réponse des femmes au racisme». Vous le trouverez facilement sur le web.



La colère est nécessaire pour combattre la misère institutionnalisée. Elle est nécessaire pour s'opposer à l'iniquité. L'exemple lumineux des Mères en colère et solidaires du printemps 2012 devrait justement nous éclairer.



Contrairement à la rage et à l'impulsivité, la colère ne nous épuise pas, elle fournit juste ce qu'il faut d'adrénaline pour voir plus clair et penser à la riposte. Contrairement à la rage et à l'impulsivité, la colère n'empêche pas de rire et même d'avoir de la joie. La colère est une force qui permet le changement.

Si les puissants et les dévots nous ont interdit la colère, c'est sans aucun doute parce qu'elle était plutôt bonne conseillère.

LAGACÉ Francis

«»-------------------------«»


Aucun commentaire: