mardi 28 août 2018

Les insuffisances de la vieille tactique de l’interpellation


Le mouvement syndical québécois et les élections qui viennent



Les insuffisances de la vieille tactique de l’interpellation 



Mardi 7 août 2018 / DE : Bernard Rioux

Que ce soit la CSN, la FTQ ou la CSQ, l’intervention syndicale en direction des élections québécoises qui viennent s’articule autour d’une démarche d’interpellation des partis politiques ou des candidat-e-s des différents partis. Cette démarche d’interpellation n’a jamais donné de résultats significatifs, mais depuis des décennies, maintenant, cette tactique résume l’essentiel de la pratique des organisations syndicales québécoises en temps d’élections.

Des bilans politiques descriptifs qui laissent dans l’ombre les fondements des orientations des gouvernements et des grands partis politiques

Les bilans des différentes centrales dénoncent les coupes budgétaires, l’augmentation du tarif des garderies, les compressions dans les aides à la réussite scolaire, les attaques contre les droits de négocier, l’alourdissement des tâches dans le secteur de la santé, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux… Mais ces bilans ne s’attardent pas à démontrer la logique systémique qui guide de tels choix et à dénoncer les profiteurs de ces politiques. Mauvaises intentions, errements, occasions ratées, incompréhensions, les politiques semblent imputées au personnel du parti politique au pouvoir ou aux orientations idéologiques des équipes qui aspirent à devenir le prochain gouvernement.

Qu’est-ce donc cette tactique de l’interpellation et pourquoi conduit-elle une impasse ?

Il s’agirait pour les organisations syndicales d’élaborer des revendications et à interpeller les partis politiques sur les orientations dégagées (consolider les services publics, sécuriser le revenu tout au long de la vie, développer l’économie et créer des emplois.  [1].

Dans la résolution du Conseil confédéral de la CSN des 18 et 19 juin dernier, l’organisation syndicale « invite l’ensemble de ses organisations affiliées à interpeller dès maintenant, dans chaque circonscription provinciale, les candidates et candidats des différents partis afin d’obtenir des engagements clairs quant à nos revendications et pour dénoncer les intentions antisociales, et ce, jusqu’à la tenue des élections le 1er octobre prochain. »

La FTQ affirme souhaiter l’élection d’un gouvernement qui s’engagera à promouvoir un régime de justice sociale, de dignité de la personne et de liberté démocratique [2]. Pas question de faire une caractérisation le moindrement fouillée des partis agissant actuellement sur la scène politique. La FTQ invite donc les chefs des différents partis politiques à réagir aux 24 propositions mises de l’avant par la FTQ pour « améliorer les conditions de vie des la majorité des Québécois et des Québécoises. » Les réponses des chefs des partis sont présentées aux membres afin de donner de l’information visant à favoriser un choix éclairé. Faisant preuve d’un optimisme qui nous laisse perplexes, ces responsables vont même jusqu’à écrire que le « le Parti libéral du Québec pourrait nous surprendre en s’engageant favorablement à l’égard de plusieurs de nos revendications. » [3].

La CSQ utilise la même rhétorique. Il s’agirait d’interroger les directions nationales des partis politiques sur le financement des services publics, l’amélioration des conditions d’exercice du personnel, les inégalités économiques, l’éducation, la fiscalité et les dépenses publiques, les conditions des femmes, l’environnement et la transition énergétique, etc.

Cette vieille tactique n’a jamais rien donné de concret, mais on s’y tient obstinément, car la dépasser impliquerait de redéfinir radicalement le rapport du mouvement syndical à l’action politique. Demander à des partis liés à la classe dominante par une série de liens et défendant sa domination est un exercice vain et stérile. Croire qu’interpeller des candidat-e-s de tels partis, qui , une fois élu-e-s sont lié-e-s par une stricte discipline de parti, ce n’est que leur ouvrir la porte à des promesses démagogiques.

Le début d’un dépassement de la tactique d’interpellation : la campagne préélectorale « PLQ-CAQ, c’est du pareil au même, on mérite mieux »

Cette campagne est animée par une coalition syndicale [4] qui a résolu de coller des affiches dans différentes villes du Québec (Québec, Roberval, Saint-Jérôme, Pointe-aux-Trembles, Sherbrooke, Montréal…) qui illustrent le fait que le PLQ et la CAQ c’est du pareil au même et qu’on ne peut donc espérer un quelconque changement favorable de l’élection de la CAQ en octobre prochain. Cette initiative a été l’objet d’une répression de la part des administrations municipales qui n’ont pas hésité à brimer la liberté d’expression des organisations syndicales et ont tenté de museler les syndicats en les menaçant d’amendes importantes. À Québec, le maire Labeaume a utilisé les travailleurs et travailleuses de la ville pour enlever ces pancartes. Toutes les forces démocratiques doivent se solidariser avec la Coalition qui mène cette campagne et dénoncer le caractère répressif des agissements des administrations municipales réactionnaires du genre Labeaume et cie.

La force de cette campagne, c’est qu’elle dépasse la stratégie de l’interpellation. Elle n’hésite pas à caractériser des partis à partir de leurs pratiques concrètes et de leurs intentions proclamées. Elle n’hésite pas à appeler à battre ces partis. La faiblesse, c’est qu’elle ne fait pas un bilan sérieux du Parti québécois qu’elle le range dans le camp des partis progressistes alors que sur le terrain social et national, les passages du PQ au pouvoir ont démontré que ce parti n’hésitait pas à reprendre à son compte des politiques néolibérales : défense du déficit zéro, coupes en santé et en éducation, lois spéciales contre le syndiqué-e-s… Si on caractérise la nature des partis, il faut mener l’analyse jusqu’au bout.

Pour une analyse matérialiste des acteurs et des enjeux dans les élections qui viennent

Ce ne sont pas des toquades des partis politiques ou de leurs chefs qui expliquent leur obsession pour l’équilibre budgétaire, la privatisation de services publics, la déréglementation... Les partis néolibéraux répondent aux besoins de la classe dominante. L’irresponsabilité des entreprises pétrolières et des gouvernements face au réchauffement climatique ne relève pas d’abord de positions idéologiques, mais de la promotion d’intérêts économiques précis.

Au Québec, les politiques néolibérales ne sont pas le seul fait de politicien-ne-s particulièrement réactionnaires et retors réunis dans le Parti libéral du Québec. Le gouvernement péquiste avant lui avait mis en œuvre des politiques similaires. Les gouvernements Charest, Landry et Bouchard également. Elles découlent des nécessités de l’actuel régime d’accumulation capitaliste. Au Québec comme ailleurs, la classe capitaliste avance de telles politiques qui visent à étendre les champs d’accumulation du capital, à réduire les droits démocratiques et à criminaliser les forces sociales qui entrent en résistance.

Penser défendre « la vision d’un État québécois qui joue un rôle majeur pour un meilleur partage de la richesse, des services publics accessibles...  sans poser la responsabilité première de la classe dominante dans l’imposition des politiques actuelles, c’est refuser d’éclairer la base systémique et de classe de ces politiques. Cette lacune crée un angle mort qui empêche d’identifier les obstacles qu’il faudra renverser et les stratégies qu’il faudra déployer pour en finir avec ces « temps difficiles ».

Malgré toute la résistance déployée par le mouvement syndical et ses alliés, le gouvernement persiste et signe. La force du gouvernement libéral, ce n’est pas d’abord sa majorité parlementaire, c’est surtout le fait que son entreprise de démolition de l’État social est appuyée par la vaste majorité de la classe dominante : les grandes banques, les grandes entreprises industrielles, minières, pétrolières et commerciales.

Nous n’avons pas d’abord affaire ici à une prétendue « orientation idéologique », mais à une offensive de classe qui se déploie à l’échelle internationale. Nous devons affronter non seulement le Parti libéral, et demain la CAQ, mais un bloc au pouvoir qui unit l’oligarchie politique à la classe dominante.

Occuper le terrain de la lutte pour le pouvoir populaire

Si les luttes sur la scène extraparlementaire sont les plus essentielles pour faire reculer le gouvernement et les autres partis liés à la bourgeoisie, il n’en demeure pas moins, qu’il faut que le camp populaire puisse poser la question de qui doit diriger cette société s’il veut pouvoir réaliser effectivement son projet de société.

Relever le défi de défendre activement le projet d’un Québec égalitaire, solidaire, féministe et inclusif ne peut se faire en laissant le pouvoir politique dans les mains des partis liés à la classe dominante. S’il faut assumer une défense militante et unitaire contre « les effets dévastateurs de l’austérité libérale sur les travailleuses et les travailleurs et la population en général », il est tout à fait insuffisant de se contenter « d’interpeller les partis politiques et les différents candidates et candidats sur la base des propositions syndicales. »

Pour passer à l’offensive, le camp populaire doit se porter candidat au pouvoir politique. Pour parvenir à « sécuriser le revenu tout au long de la vie, à développer l’économie et à créer des emplois de qualité, à consolider les services publics, à lutter contre les changements climatiques et à renforcer la démocratie », c’est l’ordre politique lui-même qui doit être bouleversé.

Si le mouvement syndical québécois doit assumer sa pleine liberté vis-à-vis des partis politiques liés à la classe capitaliste par toute une série de liens, nous ne pouvons pas abandonner la lutte pour le pouvoir politique à nos adversaires de classe. Ce serait s’incruster dans une position défensive qui doit être à tout prix dépassée pour faire face aux défis qui nous sont posés par l’offensive actuelle de la classe dominante.

Des militantes et des militants du mouvement syndical, du mouvement des femmes, des mouvements populaire et étudiant ont lancé Québec solidaire pour défendre un projet de société qui vise à préciser le Québec que nous voulons.

Le mouvement syndical peut, tout en préservant son autonomie politique et organisationnelle la plus complète dans le respect de ses mandats démocratiques, appuyer un parti qui a été construit à partir du camp populaire pour en finir avec le pouvoir de la classe dominante et de l’oligarchie politique à son service. Mettre dans le même sac tous les partis politiques sans discuter de la pertinence et de l’importance de donner un appui à un parti politique au service de la majorité populaire, c’est esquiver des débats essentiels.

L’histoire des centrales syndicales a été traversée par des débats sur la mise sur pied d’un parti politique autonome des partis de la classe dominante. Il est essentiel de se rappeler ces débats, de les renouveler pour dépasser la situation actuelle, où l’initiative est dans les mains des partis de l’oligarchie, et ce, particulièrement dans le cadre des élections québécoises qui viennent. En ces temps difficiles, il faut savoir oser !

[1] Voir par exemple la Plateforme régionale des revendications du Conseil central de la CSN du Bas-Saint-Laurent

[2] Le monde ouvrier, Élections provinciales 2018, par Daniel Boyer et Serge Cadieux

[3] idem, la rencontre avec le premier ministre Philippe Couillard n’avait pas eu lieu à ce moment-là.

[4] La coalition regroupe le Syndicat Canadien de la Fonction publique (SCFP), le Syndicat Canadien des Employés et Employées professionnel et de Bureau (SEPB), l’Association internationale des Machinistes et des Travailleurs de l’Aérospatiale (AIMTA), l’Alliance de la Fonction publique Canada (AFPC) et le Syndicat québécois des Employées et Employés de Service (SQEES). Cette coalition regroupe 250 000 membres.

 

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