samedi 2 février 2013

GÉNÉRATION NATIONALE, UN MANIFESTE NATIONALISTE CONSERVATEUR SANS PERSPECTIVE


GÉNÉRATION NATIONALE, UN MANIFESTE NATIONALISTE CONSERVATEUR SANS PERSPECTIVE

mardi 22 janvier 2013, par Bernard Rioux

Quelques jeunes nationalistes viennent de lancer un manifeste intitulé Génération nationale. Ce manifeste est brouillon et confus. Il rapaille sans ordre ce qui circule dans les cercles conservateurs du nationalisme québécois. Les auteur-e-s disent provenir du Bloc québécois, du Parti québécois et d’Option nationale. Ils veulent s’adresser à la jeunesse québécoise.

Leur discours va directement à contre-courant du discours et des valeurs portés par la jeunesse étudiante en lutte dans les derniers mois. S’il est important de s’y arrêter, c’est que ce manifeste est le symptôme des impasses dans lesquelles le souverainisme péquiste s’enfonce : celles du repli identitaire, de la culture de l’intolérance, de la laïcité patrimoniale et de l’occidentalisme...

Le manifeste du collectif Génération nationale dénonce d’abord deux courants idéologiques décrits comme postnationaux : la gauche accommodante, citoyenne du monde et cosmopolite qui rejette les frontières, se complaît dans une rhétorique combinant tolérance et reniement de soi. L’ouverture à l’autre de cette gauche cosmopolite leur semble particulièrement odieuse. Pour faire bonne mesure, le manifeste critique également la droite libertarienne qui est marquée par un individualisme forcené qui rejette l’appartenance nationale. On les retrouve, écrit le manifeste, parmi les anglomanes et les fédéralistes, les artisans de la mondialisation financière et les obsédés de la culture américaine.

Le Québec serait bloqué, mais aucun "projet de pays" n’est réalisable tant que la nation sera elle-même inachevée et condamnée au statut de demi-état. En fait, le manifeste ne fait ici que reprendre la thèse du nationalisme péquiste qui prétend se faire le défenseur d’une indépendance sans qualité, sans contenu comme si la mobilisation pour une telle indépendance était possible et que la condition d’une unité des indépendantistes était la négation des aspirations sociales et démocratiques des différentes classes qui constituent la nation québécoise. Il s’agit de jeter un regard rapide sur les programmes des différents partis nationalistes pour voir qu’ils sont le plus souvent la mise en forme des intérêts des classes dominantes, mais qui, parfois, intègrent, des revendications mises de l’avant par différents mouvements sociaux de la majorité populaire. Le projet de pays n’est jamais neutre. Il est toujours attaché aux intérêts de la classe hégémonique dans le mouvement national à un moment historique donné.

Les personnes qui ont initié Génération nationale se disent indépendantistes, car le Canada est irréformable et qu’un État nation est une nécessité politique incontournable. Le manifeste affirme l’importance de la défense de la langue française. Jusqu’ici, c’est juste, mais banal.

Mais, la crispation identitaire qui semblait le fil à plomb essentiel du manifeste se révèle rapidement sur un mode particulièrement dangereux. Génération nationale affirme vouloir défendre les grandes valeurs de l’héritage occidental. Le choc des cultures menacerait les bases de l’occident et de la dignité humaine. On nous sert là un discours chauvin ou les étrangers, particulièrement les non-Occidentaux, seraient un danger pour la nation québécoise et les valeurs occidentales. Mais qu’est-ce donc cet occident donc le manifeste se réclame sinon un capitalisme prédateur des pays d’Europe et d’Amérique qui ont imposé leur domination, politique, militaire et culturelle au reste de la planète durant le XXe siècle et qui ont prétendu que cette domination coloniale et postcoloniale équivalait à des actes civilisateurs. En ce début du XXIe siècle, le capitalisme américain et européen multiplie les occupations militaires, pour s’emparer et protéger le pillage des ressources pétrolières et minières. Ce biais "occidentaliste " du manifeste de Génération nationale est particulièrement pitoyable, car il permet de couvrir les discours mensongers des grandes puissances sur la guerre sans fin qu’elles prétendent mener au terrorisme alors qu’il s’agit pour ces puissances de protéger la distribution complètement inégalitaire des richesses et de continuer de mener des politiques antienvironnentales irresponsables dont les pays pauvres seront les principales victimes.

L’autre dimension franchement pernicieuse du manifeste est sa conception de la laïcité. Le manifeste met de l’avant une laïcité identitaire respectueuse du patrimoine. Le genre de laïcité qui a permis au PQ de voter pour le maintien du crucifix au salon bleu de l’Assemblée nationale au nom du respect du patrimoine. En fait, cette laïcité vise aussi les étrangers au nom de la défense de la solidarité nationale au-delà des conflits et des contradictions qui traversent la société québécoise. En liant défense des valeurs occidentales et laïcité, le manifeste laisse entendre que le retour du discours religieux proviendrait principalement de l’extérieur du pays. En fait, le principal vecteur du retour du religieux dans la société québécoise, c’est le fondamentalisme chrétien qui trouve parmi des secteurs des classes dominantes un soutien actif et déterminé. Cette laïcité identitaire cherche d’abord à stigmatiser les autres cultures alors qu’une véritable laïcité tente plutôt de développer une logique d’égalité humaine entre les peuples, les diverses communautés de croyance ou d’incroyance, entre les hommes et les femmes, les hétérosexuel-les et les homosexuel-les en insistant sur le respect de la liberté de conscience de chacun-e. Le manifeste ne fait que reprendre, dans des formes mal dégrossies, le discours de la laïcité identitaire qui divise et hiérarchise les groupes humains au lieu de contribuer à leur liberté sous un mode égalitaire. Cette laïcité identitaire a marqué récemment de nombreux points parmi les élites nationalistes.

Enfin, le manifeste Génération nationale fait un appel à l’Éducation classique contre une approche étroitement utilitariste. Nous en sommes. Il jette une phrase ambiguë sur la "démocratisation’’ et sur l’abaissement des seuils de réussite qui semble un coup de chapeau à l’école sélective. La salutation des valeurs d’excellence, de performance et de mérite ne laisse plus aucun doute sur les aspirations élitistes des signataires. Voilà des jeunes qui n’ont pas été marqués par la radicalisation de la jeunesse du printemps érable.

Leur reprise fidèle du discours de la droite nationaliste démontre qu’ils sont incapables de tracer les voies qui permettront aux indépendantistes de sortir de l’impasse actuelle où la direction péquiste les a conduits. Non seulement ce manifeste n’offre aucune perspective véritable mais il prépare des dérapages qui ne pourront qu’approfondir la désorientation actuelle de la droite nationaliste.

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Le Cercle Grès de Tenebrum Draco

L'Alcôve deTenebrum-Draco

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