lundi 18 février 2013

Landmark Education : prototype d’une religion néolibérale du 21e siècle?

NON NE VOUS TROMPEZ PAS

« LANDMARK EDUCATION » EST BIEN UNE SECTE

Merci à René Delvaux et David Sanschagrin

pour ce magnifique travail


Landmark Education : prototype d’une religion néolibérale du 21e siècle? 

Février 2013

René Delvaux et David Sanschagrin étudiants à la maîtrise en science politique

Plus de trois cents personnes euphoriques, curieuses ou mitigées sont assises dans l’une des salles de conférence d’un grand hôtel du centre-ville de Montréal. Elles applaudissent avec enthousiasme l’animatrice et répètent l’exercice à de nombreuses reprises dans la soirée pour acclamer les bénévoles, les témoins, leurs voisins, leurs proches et même leur propre présence à l’évènement. Au terme de trois heures de spectacle, près d’une centaine d’entre elles débourseront 670$ sous la pression des promoteurs de l’activité et de l’initié qu’elles accompagnent. Nous sommes à la soirée de clôture du Forum, « une puissante expérience d’apprentissage accéléré » offerte au Québec et dans 20 autres pays depuis 1991 par une étrange entreprise commerciale, Landmark Education.

L’animatrice prétend que le Forum s’adresse aux gens qui ont du succès, prenant pour exemple des athlètes olympiques, des gens d’affaires prospères et des artistes célèbres. Dans la salle on ne trouve pourtant que des personnes désemparées, dont leurs relations interpersonnelles sont une source de frustration, et qui désirent accéder à une « vie extraordinaire ». Le Forum leur promet justement une transformation radicale qui ouvrira « les possibilités qui s’offrent à chacun de nous », et qui nous donnera « le pouvoir de générer des relations extraordinaires qui honorent notre unicité » et célèbrera « le mystère et la magie d’être en vie » (sic).

Considéré comme une secte depuis 1995 par la Commission d’enquête sur les sectes de l’Assemblée nationale française, Landmark Education n’est pas une organisation inoffensive. Bien que laïques, leurs séances intensives de restructuration de la pensée ont notamment conduit à un suicide avéré ainsi qu’à de nombreuses névroses réactionnelles et des psychoses révélées. Recrutant abondamment auprès des personnes fragiles psychologiquement, l’organisation fait signer au moment de l’enregistrement à l’un de ses « cours » un formulaire qui la déresponsabilise de toutes conséquences psychiques ou physiques découlant de leur participation.

 Le modus operandi de Landmark Education est fort simple : des client-e-s suivent la formation au coût de 670$ et se croient transformé-e-s à l’issue de trois jours d’intenses activités. Ils et elles sont alors appelé-e-s (et fortement encouragé-e-s) à transformer la vie de leur entourage en invitant au moins trois personnes à la soirée de clôture du Forum. Ces proches seront conviés à « s’enregistrer » à leur tour au Forum, tandis que leurs hôtes poursuivront leur aventure avec Landmark par l’intermédiaire de nombreux nouveaux cours « avancés ». Ils et elles s’intégreront rapidement à l’entreprise qui leur « proposera » de faire du bénévolat dans ses bureaux (allant du ménage à la téléphonie) ou dans les activités à venir, comme mentors et « leaders » dans les séances du Forum. Landmark Education n’emploie en fait seulement que 450 personnes à travers le monde et compte sur la force de travail de plusieurs milliers de bénévoles pour le bon déroulement des opérations et augmenter la rentabilité de ses activités. Landmark devient rapidement un mode de vie, les adeptes pouvant même inscrire leurs enfants et adolescents à des « forums  » adaptés pour eux.

Nos recherches et nos observations de terrain à la soirée de clôture du Forum nous ont permis de constater que Landmark Education a recours à différentes techniques de marketing et de manipulation psychologique pour recruter de nouveaux adhérents. Au terme de l’exercice ces derniers se montrent fidèles et persuadés de l’efficacité du traitement.

“Apprentissage transformationnel”

Le Forum lui-même suit un protocole de formatage connu. Le leader-enseignant prend tout d’abord la personnalité des participant-e-s pour cible devant une assemblée d’une centaine de personnes. Il les confronte violemment à leur « inauthenticité » et expose leurs « rackets » (de fausses interprétations de la réalité qui mèneraient le sujet à s’apitoyer continuellement sur son sort et à se plaindre des autres). Les client-e-s sont ainsi amené-e-s à livrer leurs problèmes devant le public. Sous la pression du leader, ils et elles devront admettre leur inauthenticité et confesser que leurs « rackets » les rendent responsables de l’échec de leur vie et de leurs relations interpersonnelles. À la suite de ces humiliations publiques et d’autres exercices éprouvants, les sujets s’écroulent généralement en larmes. Ceux et celles qui craquent et désirent quitter sont rapidement récupéré-e-s par des mentors bénévoles, placé-e-s en retrait et près des sorties avec pour tâche de les prendre à part, les calmer, les conseiller et les ramener auprès du groupe. Au terme des premières journées, le cours demande aux participant-e-s de téléphoner aux gens envers qui ils et elles sont coupables de « rackets » dans l’objectif de s’excuser, de témoigner de leur expérience au programme de Landmark et ultimement de les inviter à l’activité de clôture.

La dernière partie du Forum est consacrée à la reconstruction des sujets à partir des préceptes scientifico-religieux de l’entreprise. On y apprend à devenir « authentiques », à « créer des possibilités », à gérer les « breakdown » (ou perte de puissance) qui en découlent, à réaliser des “breaktrough” (récupération de notre puissance) par des « actions engagées », à accéder à la « puissance » par le langage pour enfin trouver de la « valeur » dans tout engagement. Cette phase d’empowerment semble rendre euphoriques les sujets à la recherche d’un nouveau sens à leur vie. Nos interprétations « fautives » étant responsables de nos souffrances, il s’agit alors de s’en débarrasser, de faire le vide, pour laisser la place à une autre interprétation, « positive » celle-là.

“Applaudissez-vous”, « Applaudissons-nous »

 La soirée de clôture à laquelle nous avons assisté rassemble les nouveaux « diplômés » du Forum et les proches qu’ils ont été contraints d’amadouer; l’évènement est entièrement consacré au recrutement de nouveaux adeptes et semble suivre le double objectif de créer un esprit de corps et de naturaliser l’aspect marchand du processus afin de recruter le plus grand nombre de nouveaux clients possible. L’animatrice cherche d’abord à obtenir le consentement des participant-e-s en leur demandant de répondre à ses ordres par des gestes habituels et simples. Les applaudissements constants et commandés opèrent un effet de contrainte sur l’audience, qui subit une pression pour imiter le comportement de la foule. Parvenant à convaincre trois cents personnes d’obéir à des demandes simples et d’effectuer le même geste, l’animatrice de Landmark obtient la création d’un esprit de groupe à partir duquel il sera possible de suggérer et d’induire d’autres comportements fondés sur la répétition du rapport inclusion/exclusion. Le renforcement de la cohésion se combine dans le discours de l’animatrice à la stigmatisation des sceptiques et des gens « venus pour se faire une opinion » (sic). On leur répond les « 3 millions de personnes ont suivi le cours, ça fonctionne », on leur suggère de « ne pas limiter la valeur » (sic) que la soirée peut leur offrir. Faisant usage de la peur du sentiment d’exclusion, l’animatrice invite continuellement les participant-e-s à échanger entre eux sur des thèmes dirigés à partir de questions dont certaines réponses sont inacceptables : y a-t-il des dimensions de votre vie que vous voulez améliorer et qui sont causes de frustrations ? Comment le forum peut-il vous aider à transformer les situations frustrantes de votre vie en succès ? Ultimement, Landmark Education établit une démarcation claire entre ses disciples, des personnes illuminées par un savoir ésotérique, et le reste du monde, une technique commune aux mouvements sectaires visant à isoler ces derniers d’un univers extérieur menaçant. L’animatrice distingue les 3 millions de gens qui ont suivi la formation Landmark des 7 milliards non-transformés « à l’extérieur ». En provoquant un sentiment d’étrangeté par rapport à soi et aux autres, les sectes refondent l’identité de leurs adeptes au sein d’une nouvelle communauté de sens qui les valorisent à titre d’êtres exceptionnels, choisis et libérés.

“Il ne faut pas vivre un jour, il faut vivre maintenant, et le Forum ce n’est pas un jour, c’est maintenant.”

 Les cultes laïcs d’inspiration scientiste comme Landmark Education prennent généralement la forme d’entreprises lucratives qui vendent des produits commercialisables. Leurs dogmes épousent les traits des sociétés de consommation du capitalisme avancé et inscrivent les concepts de production, de prospérité, d’efficacité et d’individualité au cœur de leur philosophie. La récurrence du concept de « valeur obtenue » dans le discours de l’animatrice du Forum pour référer à la fois aux résultats de la formation et à la formation elle-même permet d’associer le bien-être attendu au produit vendu. Par l’établissement de ce type d’équivalences et le détournement des référents de certains concepts, la stratégie de communication et de marketing de Landmark minimise et naturalise la dimension pécuniaire de son activité. L’animatrice réfère à la formation offerte et à ses coûts par des formules du type « 670$ pour rien, mais avec rien on peut faire tout ». Landmark Education a compris une chose des besoins culturels de l’être humain moderne : nous aimons avoir le sentiment que nous progressons, et ce de façon rapide, et nous recherchons les signes extérieurs de ce progrès, que ce soit par une promotion dans un milieu professionnel, un prix pour un cinéaste ou un diplôme pour une étudiante. En instrumentalisant les affects humains, la disposition des gens à suivre un comportement de groupe et les effets du langage dans la seule finalité du recrutement de nouveaux clients-adeptes, Landmark Education constitue une organisation parasitaire de la misère des gens, qu’elle exploite à des fins commerciales.

Nouvelles religions?

 Le modernité libérale, on le sait, est souvent synonyme de solitude, de stress, d’angoisse, de crise existentielle, de pertes de repères, et en des temps où nos gouvernements pratiquent depuis trente ans la politique minceur en termes de programmes sociaux, la misère s’accroit, et avec elle le renforcement des maux de notre époque. Face au déclin des Églises et des grandes orthodoxies politiques, les gens sont souvent laissés spirituellement à eux-mêmes, et en cas de crise, les ressources disponibles (disons un psychologue ou un travailleur social) sont ou inexistantes ou très chères. Le terreau est donc fertile pour des organisations sans scrupules comme Landmark Education qui, tel un vautour, repère les proies en difficulté pour les déposséder de milliers de dollars.

Quelles sont les ressources disponibles pour les victimes d’une secte ou ses proches qui veulent l’en protéger ? Au Canada et au Québec c’est le vide abyssal : nous n’avons ni loi ni comité parlementaire qui se penche sur la question, ni d’organismes publics pouvant apporter de l’aide, répertorier, enquêter et poursuivre des organisations comme Landmark Education qui fonctionnent en lavant le cerveau de leurs adeptes et en les rendant dépendants d’elle. Le Québec est-il différent de la France sur ce plan ? Non, car ce phénomène frappe tout autant la population d’ici que de là-bas. Pensons par exemple, à la secte de Moïse Thériault ainsi qu’au « suicide collectif  » de l’Ordre du Temple solaire à Morin Heights en 1994. De plus, ces évènements médiatiques ne doivent pas nous faire oublier la souffrance silencieuse de milliers de personnes enrégimentées dans ces sectes qui, si elles ne poussent pas directement les personnes au suicide, mettent à mal leur santé mentale et leur portefeuille. Après tout, ces groupes en viennent à pratiquer des approches psychothérapeutiques de façon agressive, intensive, donc dangereuse, et ce, sans diplôme ni accréditation pour le faire. Il est peut-être temps au Québec de commencer à s’attaquer à ce phénomène rampant qui relève de la santé publique.

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P.S: je vous ai mis l'article au complet avec l'autorisation de René Delvaux vu que combattre les sectes est aussi l'un de mes chevaux de combat.

En cliquant sur le { --» INFORMATION PRISE ICI «-- } vous arrivez sur son texte original sur le site d'Union Libre

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