lundi 16 septembre 2013

Laïcité: un débat nécessaire et attendu



 Laïcité: un débat nécessaire et attendu

Mettons les choses au clair dès le début : je voulais ce débat sur la laïcité. Le précédent gouvernement a refusé de l’ouvrir. On pourra ergoter longtemps sur les motivations profondes du gouvernement actuel, n’empêche que nous discutons. Non pas de valeurs québécoises (tout ce charabia est bien pompeux!) mais de laïcité.

Voilà, c’est le mot gentil du début.

Je suis féministe, souverainiste et de gauche. Je veux construire un pays sur la base de valeurs qui, je le crois, nous rassemblent : la démocratie, l’égalité entre les femmes et les hommes, la défense du français comme langue commune partout sur le territoire, la solidarité sociale, un État et des institutions publiques laïques, le pluralisme des idées et des modes de vie, l’inclusion de tous et toutes dans une société juste, un environnement sain à léguer à nos enfants.

Ce pays-là ne peut être bâti sur l’exclusion. Et surtout pas sur celle de femmes de communautés ou groupes minoritaires.

Quelle laïcité?

Je l’ai dit et écrit depuis quelques jours : je me réjouis de voir bientôt dans la Charte des droits et libertés de la personne un article définissant la laïcité de l’État et de ses institutions. Je considère aussi qu’il est pertinent de mettre par écrit les balises qui devront encadrer les demandes d’accommodements religieux. Je rappelle cependant qu’elles existaient déjà dans une importante jurisprudence. J’approuve que les services publics soient donnés à visage découvert. Si le projet péquiste s’arrêtait ici, il serait voté sans peine.

Car ça se gâche ensuite. L’interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique et les services publics est une proposition qui radicalise le concept-même de laïcité. Le ministre Drainville écrit pourtant dans son document d’orientation que chaque pays, chaque société choisit la forme de laïcité qu’elle désire se donner à divers moments de son histoire. «  Il n’existe pas de modèle universel ou idéal de laïcité », dit-il. La question que je pose alors est celle-ci : pourquoi une interdiction qui fait mal surtout à des groupes minoritaires et, en particulier, à des femmes qui ne demandent qu’à s’intégrer à la société québécoise? Je serais d’accord cependant avec une interdiction du port de signes religieux pour des personnes qui ont un pouvoir de coercition sur d’autres personnes, y compris le pouvoir de les envoyer en prison, ce qui n’est pas rien!

Voyons maintenant les arguments du ministre. J’ai  lu son texte de 25 pages!

Il y aurait crise des signes religieux!

Le tout premier : « le gouvernement croit que ce vide (le fait que le personnel de l’État est libre de manifester ses croyances religieuses sur les lieux de travail) est l’une des principales causes des tensions vécues ces dernières années ». C’est faux. Ce qui a questionné et même fâché plusieurs Québécoises et Québécois a été la découverte des accommodements religieux réclamés par certaines personnes, parfois issues de minorités culturelles. En 2007, le Québec découvrait avec stupeur que la société québécoise devait désormais prendre en compte des croyances peu et mal connues. Et que le vivre-ensemble exigeait une bonne dose d’ouverture et de savoir-faire. En même temps que des balises devenaient essentielles, surtout en rapport avec l’égalité entre les femmes et les hommes.

Grâce (!) à certains médias qui ont monté en épingle le moindre incident, nous avons eu droit à un véritable défoulement collectif. Heureusement suivi par une consultation organisée sous la présidence des chercheurs Gérard Bouchard et Charles Taylor…dont le rapport a été aussitôt mis sur une tablette par toute la classe politique de l’époque. Le jour-même du dévoilement du rapport, le PQ, le PLQ et l’ADQ se coalisaient pour dire publiquement que jamais le crucifix qui trône au-dessus de la tête du président de l’Assemblée nationale ne serait déplacé.  Toute une réponse à un rapport finement documenté et qui débouchait sur 28 propositions!

Depuis ce temps, les esprits se sont calmés. On peut compter sur les doigts d’une main les incidents ou situations qui ont marqué le débat public.

Nous ne disposons pas de la moindre étude faisant état de problèmes vécus par les personnels  ou les usagers de l’État relativement au port de signes religieux par les fonctionnaires, médecins, enseignantes, éducatrices en services de garde. Pourquoi donc interdire les signes religieux dans la fonction publique et les services publics?

La neutralité apparente

Deuxième argument du ministre : il faut assurer la neutralité non seulement factuelle mais apparente des institutions. « Le port de signes ostentatoires revêt en soi un aspect de prosélytisme passif ou silencieux qui apparaît incompatible avec la neutralité de l’État »

Je ne suis pas d’accord. Un médecin portant une kippa, une fonctionnaire, une croix ou une éducatrice en service de garde, un voile,  n’indiquent qu’une chose : ils et elles ont des croyances religieuses profondes qui sont partie essentielle de leur identité. Les usagers et usagères savent bien faire la différence entre le service public offert et les convictions religieuses des personnes qui les dispensent.

Si j’ai tort et que le ministre a raison, alors il doit interdire le port de signes religieux partout dans tous les services publics. Car, comment comprendre que le port d’un signe religieux par une infirmière soit tolérable à l’hôpital Sainte-Justine mais pas dans une école où elle vient vacciner les enfants? Si je comprends bien, ce fameux signe religieux n’est pas toujours incompatible avec la neutralité de l’État. Quelle incohérence!

Ah les enfants!

Troisième argument : l’influence présumée des signes religieux sur de jeunes enfants. C’est, je le suppose, cette « croyance » du ministre qui l’entraîne à refuser un droit de retrait aux enseignants-es et aux éducatrices en service de garde.

J’écris le mot croyance à dessein car j’attends toujours les études. Pensons-nous sérieusement que les enfants du Québec seront troublés, et véritablement « confrontés » par des éducatrices ou enseignants-es portant un signe religieux? Sommes-nous conscients que nos enfants et petits-enfants sont déjà sujets à des influences aussi diversifiées que discutables? Je pense ici aux publicités, aux allées roses et bleues de Toys « R » Us, aux revues  qui  enseignent l’art de séduire à des filles prépubères, à la violence de certains jeux électroniques qui fascinent les garçons. Alors le signe religieux…!

Il revient aux parents d’indiquer à leurs enfants quelles sont leurs valeurs. Il n’est pas si difficile d’expliquer à un enfant que madame Unetelle porte un voile parce qu’elle veut vivre ainsi sa religion et qu’il en va de même pour monsieur Untel.  Et que papa et maman, eux, croient à autre chose, d’une autre manière.

Il a bien fallu un jour que j’explique à mon fils pourquoi je n’allais pas à la messe alors que sa grand-maman bien aimée y allait.  Il a compris que les adultes peuvent être différents et qu’on doit les aimer avec leurs particularités. C’est tout.

J’ajoute sur cette question que les femmes portant le voile sont particulièrement visées. Je le sais, le public le sait, le gouvernement le sait. Ayons la franchise d’appeler un chat un chat. Ce voile en dérange plusieurs. Je ne le défends pas. Et je dénonce toutes les religions et églises qui traitent les femmes en citoyennes de second ordre. Mais comme féministe, comme citoyenne solidaire,  je défends fermement le droit au travail de celles qui  portent le voile. Parce que travailler apporte souvent aux femmes une autonomie très bienvenue en même temps qu’elle les met en réseau, en lien avec d’autres hommes et femmes, ce qui signifie l’intégration pour les nouvelles arrivantes.

Au nom de l’histoire!

Le ministre Drainville a utilisé cette expression lors de sa conférence de presse. Eh bien, au nom de l’histoire, au nom des faits, je lui fais deux remarques.

La première: les prêtres et religieuses des années soixante ont  décidé pour la plupart d’abandonner leurs habits religieux. Ce geste s’inscrivait dans la foulée de Vatican II, cette vaste tentative de modernisation de l’église catholique. Il s’agissait donc d’un débat interne à l’institution catholique et non d’une demande plus ou moins explicite de l’État québécois qui leur aurait suggéré de laisser de côté leurs habits religieux pour soigner ou enseigner.

Et finalement, au nom de l’histoire, je demande au ministre de proposer le  déplacement  du crucifix qui est placé ostentatoirement au dessus de la tête du Président de l’Assemblée nationale. C’est Maurice Duplessis qui l’a placé là. Il voulait signifier la parfaite alliance entre l’État québécois et l’église catholique. Franchement, pourquoi ne pas le déplacer ailleurs dans le bâtiment et même y apposer une note explicative? Ainsi nous respecterions l’histoire mais aussi le principe de la neutralité de l’État. Ne pas le faire, c’est accréditer la thèse d’une laïcité pour les autres. « Nous » gardons notre crucifix au plus mauvais endroit possible et « eux » -surtout « elles »- doivent renoncer à porter des signes religieux…au nom de la neutralité de l’État.

Mais oui, nous allons garder les croix du chemin! Mais pas au Salon bleu!!!

Un débat important

Ça n’est pas trop mal parti. Partout on discute dans les chaumières. Il y a peu de dérapages. Continuons! Je me permets d’indiquer que l’exclusion de Maria Mourani du caucus bloquiste envoie cependant un drôle de message : la dissidence est interdite dans certains partis souverainistes. Ce n’est pas ainsi que je conçois la politique.

Je souhaite finalement que les débats entre les partis politiques à l’Assemblée nationale sur la question de la laïcité soient le plus possible exempts de partisannerie mesquine. Je sais, je rêve probablement. Pourtant le débat sur la laïcité de l’État québécois est si important qu’il doit se tenir avec sagesse et sérénité.

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