lundi 6 février 2017

Cachez cet accent


Parlons d'accent avec Francis Lagacé


Cachez cet accent 

6 février 2017

Autre retour sur les Fêtes pendant que les commentateurs français se mettent à délirer en nous conseillant sans avoir l'air de le dire qu'il vaut mieux voter pour la droite dure (Fillon) ou la droite qui se prétend au centre (Macron) que pour la gauche, car les électeurs pourraient préférer l'extrême-droite à la vraie gauche. Vous me suivez ? Ce n'est pas obligatoire.

Dans une émission de télé appelée Le Quotidien, on recevait Arnaud Montebourg, qui était alors candidat à la primaire du Parti socialiste. Des questions sur ses positions politiques, sur son rapport aux autres candidats, mais tout à coup, une lourde parenthèse, tout un segment sur le fait que, lorsqu'il retourne dans son petit pays d'origine, quelque part en Bourgogne, il parle avec un accent différent.

On insistait sur les expressions qu'il employait en disant que c'était très différent des mots qu'il emploie à Paris, mais en fait c'est l'accent qui gênait, même si on ne le disait pas clairement. Que de temps perdu sur une niaiserie, alors qu'on aurait pu au contraire le féliciter de garder un rapport naturel avec les gens de son pays et de ne pas y faire semblant qu'il est devenu un autre.

L'une des premières choses que les linguistes comprennent, c'est que les gens n'entendent jamais leur propre accent. C'est pourquoi les élites médiatiques et culturelles prétendent toujours que ce sont les autres qui en ont un.

Mais il y a quelque chose de plus triste et de plus sournois derrière cette insistance des petits animateurs de télé à reprocher à leurs invités de ne pas avoir le même accent qu'eux. C'est souvent une façon de se dédouaner de leur propre accent d'origine, car ils sont souvent eux-mêmes issus de pays où l'on n'a pas l'accent standardisé. Ils ont dû apprendre à imiter cet accent et en sont si fiers qu'ils pointent le moindre écart des autres. C'est donc leur propre honte qu'ils exhibent en se gaussant avec une pédanterie déplacée d'une différence enrichissante.

Même dans un essai politique, au détour d'une phrase, j'ai trouvé la saillie suivante : « C'est ce qu'explique, avec son accent méridional... » Je m'arrête là sur la citation. Je ne nomme pas l'auteur. J'attire juste l'attention sur le fait que cette remarque n'a absolument rien à voir avec le propos et que, nulle part dans l'essai de près de 200 pages, il n'est question de linguistique. Donc la remarque est parfaitement inutile, sauf pour qui a besoin de se distancer d'un accent qui n'est pas le sien.

Au Québec, on a fini par se décomplexer de cette manie et même les élites médiatiques n'essaient plus d'imiter l'accent radio-canadien, qui a longtemps servi d'instrument de mesure. On cherchait à imiter l'accent de Henri Bergeron, plus tard celui de Pierre Nadeau, enfin celui de Bernard Derome, mais personne n'a succédé puisqu'on n'y attache plus d'importance, à tel point qu'il n'y a plus vraiment de modèle.

Mais à Paris même, les gens ne se rendent pas compte qu'il s'y trouve plusieurs accents et qu'entre petits animateurs on s'y prend différemment pour imiter l'accent standardisé. Deux tout petits exemples entre tant : De plus en plus de gens prononcent un è très ouvert lorsqu'ils disent merci. On croirait presque entendre le rugissant marci de Gerry Boulet. D'autres, très nombreux aussi, diphtonguent légèrement le è de cher ou de Inter, de telle façon qu'on entend souvent France Intayr.

Ne pas savoir que tout le monde a un accent, ce n'est pas étonnant. Après tout, l'ignorance est la chose du monde la plus répandue. Mais pointer les accents différents du sien, comme on pointait autrefois les couleurs différentes de la sienne, cela ne devrait plus être un réflexe. C'est ce qui commence à arriver parce que le quidam et la commerçante moyenne ne sursautent pas devant les accents différents du leur. Ce ne sont que les petites élites médiatiques qui retardent.

LAGACÉ, Francis

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