samedi 21 décembre 2013

L’adhésion péquiste à une laïcité identitaire menace le Québec de dangereux dérapages




L’adhésion péquiste à une laïcité identitaire menace le Québec de dangereux dérapages


mardi 17 décembre 2013, par Bernard Rioux

Le projet de Charte de la laïcité du gouvernement péquiste possède tous les traits d’une laïcité identitaire. Ce projet de Charte ne vise pas à élargir les garanties concernant la liberté de conscience, pour tous et toutes. Il vise à soumettre les communautés minoritaires aux valeurs de la communauté dominante ; il somme les femmes musulmanes travaillant pour l’État d’adopter la façon de vivre et de s’habiller du nous majoritaire. Il impose aux minorités une norme identitaire qui les rend invisibles au nom de l’universel et d’un traitement formellement identique. Dans cette perspective, la laïcité devient une police d’assurance contre les valeurs étrangères aux valeurs québécoises et contre une vision du monde importée par les immigrantEs et qu’on définit comme porteuse de régressions sociales dangereuses.

Crise sratégique du souverainisme péquiste et repli sur le modèle d’intégration assimilationniste

Le Parti québécois n’a pas dépassé sa crise stratégique. Les directions Bouchard, Landry, Boisclair et Marois ont tour à tour échoué à élaborer une stratégie pour la souveraineté. La gouvernance souverainiste n’est que la dernière mouture d’un discours qui sert à masquer que ces élites nationalistes sont prêtes à se contenter de la gestion d’un État croupion provincial et à assurer leur collaboration aux autorités fédérales dans leur projet de développement de l’État canadien. C’est sans aucun doute Pauline Marois qui se montre la plus conséquente à cet égard.

Quand l’attention des troupes péquistes est attiré sur la question des voies de l’accession à la souveraineté, le parti entre en crise comme on a pu le voir à la fin de 2012. Quand la perspective de former un gouvernement provincial devient l’impératif de l’heure, la direction péquiste parvient à imposer son agenda et à rejeter le débat stratégique vers un avenir indéfini.

De la crise des accommodements raisonnables, et du profit qu’en a tiré l’ADQ de Mario Dumont en mobilisant un nationalisme populiste étroit, des intellectuel-le-s péquistes ont tiré la leçon suivante : la mise de l’avant d’un nationalisme culturaliste proclamant la majorité d’origine canadienne française comme le cœur de la nation [1] est la voie d’un nouveau ralliement national autour du Parti québécois en-deça de toute perspective souverainiste.

C’est à partir de là que la forme privilégiée du pluralisme québécois, l’interculturalisme, a été, de fait, de plus en plus marginalisée et attaquée comme la forme québécoise du multiculturalisme cannadien. On la présente comme la source de tous les dangers : communautarisme, ouverture à toutes les régressions sociales portées par les communautés immigrées, affaiblissement des capacités de défense de la société québécoise devant les projets des intégristes.

À Rome, on se comporte comme les Romains

Ce sont là les fondements de la montée en popularité du modèle assimilationniste comme modèle d’intégration des minorités culturelles à la société québécoise. Les minorités sont les principales responsables de leur intégration au groupe majoritaire. Et ces minorités parviendront à le faire si elles savent répondre aux demandes de conformité culturelle du groupe majoritaire. Les groupes minoritaires sont appelés à abandonner leurs valeurs, leurs pratiques culturelles et à adopter celles du groupe majoritaire. Dans ce contexte, les demandes d’accommodements ne sont pas raisonnables et représentent un refus de se conformer, un refus de s’intégrer, une mauvaise volonté évidente.

Toute la rhétorique sur la mollesse des QuébécoisEs et des autorités gouvernementales pour défendre le patrimoine et la culture québécoises débouche sur des appels au gouvernement du Québec à mettre ses culottes, à en finir avec les accommodements et les ouvertures irresponsables et à défendre de façon conséquente les valeurs québécoises.

Les pièges de la Charte catholaïque du gouvernement péquiste

C’est bien pourquoi, la première mouture de la Charte était intitulée la Charte des valeurs québécoises. On n’est pas dans une logique d’extension des libertés civiques. Au contraire, le gouvernement péquiste promeut une laïcité identitaire. Cette laïcité « falsifiée » devient un moyen de défense contre les minoritaires. Elle soutient une modèle d’intégration assimilationniste dans lequel on invite les minorités à s’intégrer et à se fondre dans ce qui constitue le cœur de la nation, la majorité d’origine canadienne-française.

D’ailleurs, ce projet de Charte est bien peu laïque pour ce qui concerne le rapport au catholicisme qui demeure pourtant la seule religion au Québec qui conserve des pouvoirs significatifs comme le contrôle d’un secteur important du système éducatif par l’intermédiaire des écoles privées dans lesquelles les enfants des élites économiques et politiques francophones sont encore en bonne partie éduqués. C’est particulièrement vrai dans cette période de montée du secteur privé en éducation qui est grassement subventionné par l’argent public, alors que l’école publique souffre d’une pénurie de moyens pour assurer des services adéquats.

C’est pourquoi, il est en rien exagéré de dire que ce projet de Charte est catho-laïque et qu’elle rate la cible si elle prétend établir une véritable laïcisation des institutions du Québec. Elle rate aussi la cible quand, elle se refuse d’interdire la prière catholique dans les conseils municipaux ; elle rate également la cible quand le gouvernement hésite à retirer le crucifix de l’Assemblée nationale et se refuse de faire de ce geste une affirmation claire et générale contre les signes catholiques dans les institutions publiques.

Nombre de personnes défendant la Charte péquiste prétendent se rallier à ce type de critiques, mais ces critiques ne les empêchent nullement de soutenir la Charte. Pourquoi ? Si la laîcité péquiste est si biaisée et qu’elle ne s’attaque pas aux problèmes essentiels permettant de définir un projet laïc pour le Québec, c’est que cette Charte est justifiée au nom de discours alarmistes qui ne visent pas d’abord à protéger la séparation de l ’Église et de l’État (séparation qui est tout à fait accompli en ce qui a trait la religion musulmane) mais à affirmer un contrôle sur la « minorité musulmane » définie comme dangereuse, car elle serait porteuse de régressions sociales, particulièrement en ce qui a trait à l’égalité entre les hommes et les femmes. Alors, on veut bien reconnnaître les limites de la Charte péquiste, mais on refuse d’en dénoncer la logique et son caractère autoritaire et liberticide, car on se refuse de rejeter le modèle d’intégration qui l’inspire, le modèle assimilationniste.

Les militantEs laïques qui prétendent y retrouver leurs valeurs devraient faire preuve de plus de circonspection et se refuser d’identifier une minorité essentiellement comme musulmane, alors que cette minorité est une réalité complexe formée de personnes provenant de différents pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Liban, Syrie...) La majorité des personnes formant cette « minorité musulmane » ne sont pas pratiquants et ne se définissent pas principalement à partir de leur rapport à la religion. Qu’importe !

De plus, elle constitue une minorité fort petite qui dépasse à peine 2% de la population du Québec. Si, on ne considère que les personnes travaillant dans la fonction publique, on voit que cette Charte ne vise qu’un nombre dérisoire de personnes. C ’est pourquoi le gouvernement péquiste a toujours refusé de fournir des études sérieuses sur le nombre de personnes concernées directement par sa Charte laïque.

Que parmi les personnes de cette minorité, on retrouve des intégristes défendant l’islam politique, c’est un fait avéré. Mais il faut en apprécier la réalité et comprendre que toute stigmatisation communautaire ne peut que renforcer les échos qu’ils peuvent rencontrer. Mais quand, par amalgames, raccourcis et stigmatisations, on construit de façon tout à fait démagogique la « minorité musulmane » du Québec comme minorité dangereuse, on ne mène pas un combat laïque, on fait le contraire. Commencée comme une opération politique partisane, l’ouverture des débats sur la Charte des valeurs québécoises pose les bases à de sérieux dérapages.

Et c’est en s’appuyant sur une série de raccourcis qui sont autant de faussetés que des solidarités étranges s’établissent entre des syndicalistes qui se veulent laïques mais qui sont prêts à composer avec la catholaïcité et des chroniqueurs de la droite populiste qui découvrent du jour au lendemain leurs valeurs laïques et une nouvelle fougue qu’on ne leur connaissait pas dans la défense de l’égalité des hommes et des femmes particulièrement lorsque cette dernière est « menacée » par la « minorité musulmane ». Pourtant, ce sont les femmes musulmanes déjà marginalisées qui sont les principales cibles du projet de loi 60 qui interdit l’accès au plus grand employeur du Québec, le gouvernement, à des femmes qui sont déjà l’objet de discriminations dans le monde du travail.

Contre le repli identitaire et au-delà de l’interculturalisme, faire de fragments épars un peuple aspirant à l’indépendance du Québec

Contre le modèle assimilationniste d’intégration, il faut d’abord reconnaître la diversité comme une des caractéristiques constitutives du peuple québécois. Cela va au-delà de l’interculturalisme et de l’intégration au cœur de la nation québécoise. La diversité et le pluralisme ne sont pas seulement respectés, mais ils représentent des éléments qui contribuent à définir le peuple québécois. La langue est présentée, non d’abord sous l’aspect de la culture française mais comme l’instrument d’un projet démocratique, comme langue publique commune qui vise à faciliter la participation démocratique à la chose publique. Elles n’impliquent nullement la volonté d’extinction des langues d’origine de ces minorités culturelles.

Il est vrai qu’une nation est d’abord une collectivité dont les membres partagent une histoire commune, une langue, une culture, des mœurs communes et une communauté de destin. Mais une nation est un produit social et historique. Elle n’a rien d’essentialiste et d’immuable. Elle est en permanente reconstruction.

Les populations immigrantes –et les communautés culturelles qu’elles fondent- n’ont pas qu’à s’adapter à la culture d’ici. Cela va dans les deux sens. La diversité ethnoculturelle est lourde d’apports culturels qui amènent la société d’accueil à se transformer. La reconstruction identitaire est aussi posée pour la nation d’accueil. C’est un facteur parmi d’autres d’une permanente reconstruction de l’identité nationale. En 1981, la politique gouvernementale en matière de communautés culturelles s’intitulait : Autant de façons d’être Québécois. On était alors loin de la logique qui tend à s’installer aujourd’hui dans les rapports à certaines communautés.

Les ultimatums ne peuvent constituer une politique intégratrice

L’intégration des minorités culturelles ou mêmes de minorités nationales à la nation québécoise ne sera pas le produit d’ultimatums. Si on peut proclamer des conditions de la citoyenneté québécoise dans le cadre d’une lutte pour l’indépendance du Québec, le sentiment identitaire d’appartenance à la nation sera le produit d’une ouverture démocratique, de combats communs pour un projet social émancipateur et d’une reconnaissance des apports précieux à la société des diverses communautés ethnoculturelles.

L’identification à la nation québécoise de la part des membres des communautés culturelles et des personnes immigrantes comme identification nationale principale ne sera pas le fruit d’une démarche juridique mais d’une expérience historique de luttes communes et partagées pour une société plus juste, plus démocratique, qui considère que l’existence des groupes minoitaires vigoureux et actifs ne peut être qu’un acquis pour l’ensemble de la société. [2].

Dans cette optique, la citoyenneté québécoise ne prendra un sens que si elle est sans condition autre que la résidence et qu’elle manifeste une volonté radicale de la société d’accueil de créer les conditions économiques, sociales et culturelles de cette cointégration citoyenne. C’est dans le creuset de ces luttes qu’une nouvelle identité nationale (et tout à la fois internationaliste) pourra se définir et que la solidarité avec le projet d’indépendance pourra être construite.

Les fondements d’une politique intégratrice passe par la mise en évidence de la fracture de classe entre la classe dominante et les classes dominées et de la fracture de genre qui définit les patriarcats majoritaire et minoritaires contre lesquels toutes les femmes du Québec doivent s’unir en un combat commun. Pour se battre contre la fracture entre nationaux et étrangers, il faut faire prévaloir ces fractures de classe et de genre dans la définition même de la nation dominée. Il faut lier par une orientation d’égalité sociale, démocratique et de genre toutes les composantes de la majorité populaire afin de pouvoir mobiliser de façon unitaire cette majorité contre les élites qui l’oppriment. Il ne s’agit pas de multiculturalisme qui renferme les personnes immigrantes dans leurs communautés d’origine. Il s’agit, au contraire, d’un véritable métissage citoyen et démocratique qui, seul, porte le dépassement des divisions communautaires. Il ne s’agit pas, non plus, de défendre un universalisme abstrait qui se contente d’assurer l’égalité des droits sans s’attaquer à l’inégalité de fait. Il s’agit, dans le projet, dans le droit et dans les luttes concrètes de construire les conditions de cette égalité réelle.

Cette approche nécessite de rejeter avec force la grille de lecture dominante aujourd’hui d’une guerre des civilisations. Cette grille de lecture du réel mise de l’avant par les classes dirigeantes des pays occidentaux vise à nous empêcher d’interpréter notre réalité sociale et nationale en termes de confrontations de classe et de genre.

En somme, il s’agit de réduire les écarts entre égalité citoyenne proclamée et la réalité des inégalités et des discriminations. Il s’agit de refuser de stigmatiser des populations entières et de montrer que ce sont des luttes sociales concrètes qui peuvent fournir le creuset efficace d’un partage mutuel et d’une véritable transformation des mœurs, sources concrètes de nouvelles solidarités.

La laïcité inclusive est la dimension laïque d’un modèle égalitariste d’intégration

La laïcité n’est pas une philosophie anti-religieuse. Une laïcité inclusive doit savoir distinguer le fondamentalisme religieux et les courants religieux laïques.

Les intégristes veulent imposer de façon dictatoriale un État islamiste ou chrétien se faisant le défenseur des valeurs religieuses. Ces intégristes légitiment des oppressions de toutes sortes au nom des textes sacrés notamment celle des femmes. Ils prônent le repli communautariste entre croyants. Ils considèrent les textes sacrés comme des références scientifiques opposables aux sciences de la nature et aux sciences sociales. Aux États-Unis, les intégristes chrétiens luttent contre l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles au nom de la « science de la création ». [3] On n’a pas besoin d’un long examen pour s’apercevoir que parmi ces intégristes créationnistes, les plus importants ne sont pas membres de la « minorité musulmane », mais qu’ils rôdent dans les officines des autorités conservatrices à Ottawa.

Des laïques, on peut en retrouver dans différentes religions. Les laïques ne se réduisent pas aux agnostiques ou aux athées. Car la laïcité ce n’est pas la lutte antireligieuse. Des personnes de différents courants religieux peuvent s’inscrire dans une démarche laïque si elles sont ouvertes à des choix démocratiques ; si elles croient qu’il faut s’opposer à l’inégalité et à l’injustice de ce monde ; si elles refusent et critiquent les pseudo-légitimations des discriminations au nom de la foi et si elles veulent s’insérer avec les non-croyants dans la vie sociale, politique et institutionnelle ; si elles refusent une lecture littérale des écritures et elles sont ouvertes aux sciences et à l’élaboration par des individus et des peuples souverains de lois définissants leurs relations sur la base de contextes d’expériences diverses. [4] D’ailleurs ce rapport spécifique à la religion, il a été vécu dans différentes régions du monde et à différentes époques... où la religion a été une inspiration de la lutte contre la domination de systèmes autoritaires. Pensons aux révoltes paysannes en Europe contre les seigneurs féodaux. Pensons à la théologie de la libération en Amérique latine.

Les militantEs laicistes de droite ou les égarés qui les suivent refusent de distinguer des courants différents dans les religions. Ce serait la religion elle-même qui devraient être combattus car porteuse d’irrationnalité et d’obscurantisme. Ils confondent ainsi un choix philosophique tout à fait défendable avec l’usage des normes politico-institutionnelles qui devraient mettre au pas et réduire les minorités religieuses. Ces militantEs refusent d’accepter que peut exister des croyants musulmans (ou chrétiens) qui soient d’authentiques laïques. Ces militantEs refusent également d’accepter que des femmes portant le voile puissent mener un combat féministe pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Et pourtant, de nombreuses expériences et de nombreux combats politico-idéologiques ont été menées par des femmes musulmanes pour en finir avec une interprétation patriarcale de leur religion.

La nouvelle laïcité qui se fait la servante d’un modèle assimilationniste des rapports aux minorités ethnoculturelles n’est pas une laïcité véritable car « la laïcité est une politique de pacification par le droit » [5] Elle permet d’assurer la liberté de conscience par la séparation de la politique et du religieux et la neutralité de l’État. Mais la laïcité ne se définit jamais sur un mode qui nie son inscription dans l’histoire d’une société donnée. La définition que nous défendons aujourd’hui doit favoriser cette unité citoyenne et non exacerber les divisions existantes. Le combat laïque est une dimension du combat pour l’unité citoyenne. Lorsque la laïcité devient un instrument de démarcation identitaire et d’approfondissement des divisions, elle se transforme en son contraire. C’est pourquoi, il faut d’abord juger la laïcité à ses fins avant de la juger sur ses moyens.
 
Notes

[1] Discours de Pauline Marois à l’occasion de son assemblée de nomination, prononcé le 29août 2007

[2] Gouvernement du Québec, La politique québécoise du développement culturel, vol. 1, Éditeur officiel du Québec, 1978, cité par Sirma Bilge, Le pluralisme québécois à l’épreuve de la contreverse des accommodements raisonnables, décembre 2007

[3] Dominique Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, PUF, 1992

[4] Catherine Samary, Pour une alternative contre l’étatisme « civilisateur », 2007.

 [5] Emile Poulat, Liberté, laïcité. La guerre des deux France et le principe de modernité, Paris, Cerf-Cujas, 1987

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