dimanche 22 décembre 2013

Le contexte international du débat québécois sur la Charte de la laïcité



Le contexte international du débat québécois sur la Charte de la laïcité


mardi 17 décembre 2013, par Bernard Rioux

Pour comprendre la nature et la chaleur des débats autour de laïcité de nos jours, il faut comprendre le contexte international dans lequel ceux-ci se tiennent. Il faut pouvoir saisir comment la laïcité est passée en quelques décennies du statut d’accessoire du discours républicain à celui d’enjeu politique majeur, « débattu fiévreusement dans les espaces sociaux les plus divers, exalté comme un principe essentiel du vivre ensemble ou dénoncé comme un facteur d’intolérance... [1]

a) la reconquête néocoloniale du monde arabe...

En fait, la période ouverte depuis la fin du siècle dernier est caractérisée par une conjonction de crises économique, politique et environnementale débouchant sur la détérioration des conditions d’existence de secteurs importants de la population, sur la multiplication de conflits armés et des affrontements concernant le contrôle économique et militaire des richesses du tiers-monde (pétrole du monde arabe en particulier) face aux puissances émergentes.

La période actuelle a été préparée par une longue période d’interventions où les grandes puissances, et particulièrement les États-Unis, ont soutenu des forces fondamentalistes musulmanes contre les régimes nationalistes arabes qui voulaient prendre une certaine distance face aux puissances occidentales. C’est ainsi que, pour aider la lutte contre l’occupation soviétique de l’Afghanistan, les États-Unis ont accordé leur soutien économique et militaire aux Talibans. Mais ces derniers se sont retournés contre eux, car ils n’acceptaient pas la présence de bases militaires américaines sur une terre d’Islam comme l’Arabie Saoudite.

Les États-Unis et leurs alliés acceptaient de soutenir des régimes politiques y compris dictatoriaux dans le monde arabe pour autant qu’ils se montrent favorables aux puissances occidentales. C’est ainsi que les États-Unis et les pays européens ont soutenu pendant des années l’Irak dans sa guerre contre l’Iran. Ce n’est que lorsque l’Irak occupa le Koweït, que l’intervention contre l’Irak devint à l’ordre du jour et que le gouvernement de Washington tenta de formater l’opinion publique internationale comme quoi l’Irak possédait des armes de destruction massive qu’il fallait à tout prix détruire pour protéger la sécurité des pays occidentaux. Tout cela s’avéra une gigantesque tromperie et ces armes ne furent jamais retrouvées.

Même dans le cas de l’Irak qui était un régime nationaliste autoritaire, les États-Unis ont tenté de couvrir leur intervention militaire dans ce pays, sur le prétexte de lutte contre l’islamisme. Par cette rhétorique anti-islamiste, il s’agissait de développer un nouvel ennemi principal, pour remplacer la menace communiste qui s’était effondrée avec la disparition de l’Union soviétique et du bloc de l’Est dans les années 90 du siècle dernier.

L’islam politique (islamisme) devenait l’ennemi principal, une composante essentielle du l’axe du mal menaçant l’Amérique d’attaques terroristes. L’identification de l’islamisme comme ennemi principal par les classes dominantes devait servir à couvrir leur objectif de reconquête néocoloniale et fournir un bouc émissaire responsable de toutes les régressions sociales dans une logique d’un conflit de civilisation entre l’occident moderniste et l’orient barbare.

La multiplication des conflits armés dans ces différents pays s’ajoutant aux crises économiques endémiques de ces pays dominés ont provoqué des vagues d’émigration et le renforcement de la présence de ressortissants arabes ou perses dans les pays occidentaux et particulièrement dans les pays qui avaient dominé des empires coloniaux comme la France et la Grande-Bretagne. Mais ces phénomènes migratoires touchèrent également l’ensemble des pays occidentaux d’Europe et d’Amérique du Nord. Même si le pourcentage de cette immigration demeura marginal, tout le discours sur l’islamisme comme composante essentielle de l’axe du mal menaçant l’Occident favorisa la méfiance envers ce secteur de la population. C’est sur cette base que s’est construite l’islamophobie...

b) D’une laïcité se portant à la défense de la liberté de conscience à une laïcité liberticide et autoritaire

C’est dans ce contexte que la laïcité fut mobilisée et détournée pour servir de cheval de bataille contre les groupes perçus comme déviants et que se fit le passage de la laïcité d’intégration à une laïcité d’exclusion. Les minorités, particulièrement les minorités musulmanes furent définies comme les porteuses de toutes les régressions sociales. Les patriarcats des minorités ethniques (musulmanes) furent présentés comme les principaux porteurs de l’oppression des femmes. Les sociétés occidentales furent définies comme des sociétés égalitaires malgré l’importance du sexisme ordinaire, de la violence contre les femmes, des inégalités salariales et des nombreuses discriminations face à l’emploi et à la promotion sociale.

Les nouvelles lois « laïques » qui furent adoptées visaient tout particulièrement les femmes portant le voile. C’est ainsi qu’en France, en 2005, une loi interdit le port du voile à l’école par les élèves. Pour motiver ces politiques d’exclusion et d’invisibilisation de minorités ethniques numériquement assez marginales, se développa le fantasme de l’islamisation des sociétés occidentales.

La laïcité qui, historiquement, était le gage de la liberté d’expression de la diversité religieuse dans l’espace public se mua en laïcité identitaire ayant comme fin de soumettre les communautés minoritaires aux valeurs de la majorité et de les sommer d’adopter une façon de vivre du nous majoritaire. Ces lois pseudo-laïques imposèrent aux minorités des normes vestimentaires qui les rendent invisibles au nom des valeurs de la communauté dominante... Une laïcité dévoyée devenait ainsi une police d’assurance contre des valeurs et une vision du monde importée par les immigrantEs et présentée comme porteuse de tous les dangers et de toutes les régressions.

En donnant un vernis progressiste à une démarche d’exclusion et de stigmatisation, la laïcité sécuritaire va libérer la parole xénophobe et permettre de détourner le regard et les critiques des politiques réactionnaires des classes dominantes vers un nouveau bouc-émissaire responsable des reculs appréhendés de nos sociétés et de fragmenter la population sur une base ethnique.

Un processus de stigmatisation des musulmanEs exagère les différences entre les minorités culturelles et la majorité de la société d’accueil. Ce processus définit les groupes ethniques minoritaires comme des blocs monolithiques sur une base strictement religieuse. La stigmatisation se conjugue avec les amalgames : un arabe ou un perse est immédiatement un pratiquant de l’islam même s’il est agnostique ; il devient un islamiste (c’est-à-dire un intégriste), et un intégriste a le sombre dessein de faire triompher ses valeurs dans la société qui l’accueille. Que nombre de personnes en provenance de pays musulmans ne soient pas pratiquants, qu’ils se définissent à leur arrivée d’abord à partir de leur nation d’origine, cela importe peu. La non-reconnaissance des apports des minorités visées conduit à renforcer les sentiments d’exclusion, ce qui nourrit la marginalisation et des réflexes de repli.

Historiquement, par la laïcité, l’État cherchait à parvenir aux fins suivantes : organiser la cohabitation pacifique des différentes convictions religieuses ou philosophiques dans le respect du cadre démocratique décidé en commun, protéger les citoyens et les citoyennes contre la possible partialité de l’autorité politique en assurant la neutralité de l’État à l’égard des diverses croyances.

C’est dans ce contexte international que la laïcité d’instrument de défense de la liberté du citoyen et de la citoyenne a pu, pour nombre de gouvernements, devenir un instrument de construction d’un bouc émissaire présenté comme danger principal pour détourner le regard des politiques régressives des classes dominantes. C’est ce glissement, qui a permis, particulièrement en Europe qu’une nouvelle extrême droite n’hésite pas à utiliser une laïcité falsifiée comme instrument d’exclusion et de stigmatisation des minorités musulmanes.

Notes [1] Jean-Claude Monod, Sécularisation et laïcité, PUF, 2007, p.7


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