lundi 10 février 2014

Vieillir

Laissons Francis Lagacé nous parler de vieillesse.


Vieillir

10 février 2014

Jacques Brel a fait de belles chansons plutôt déprimantes sur le sujet. Dans Les Vieux, il dit «Que l'on vive à Paris, on vit tous en province quand on vit trop longtemps» ou encore «Ils n'ont plus d'illusion, ils n'ont qu'un cur pour deux» et dans Vieillir, il s'écrie «Mourir, cela n'est rien, Mourir, la belle affaire! Mais, vieillir, oh, vieillir!»

Jeune, on a tendance à partager ce genre d'idées romantiques, bien que je me rappelle avoir écrit quand j'avais 20 ans que le culte de la jeunesse est une erreur. Vieillir peut avoir des charmes à la condition, bien sûr, d'avoir la chance de conserver une bonne santé.

D'abord, parlant de vieux charmants, on se rappellera, en ces temps olympiques, de Richard Garneau, qui était certainement le plus beau vieil homme auquel je puisse penser. Sa culture et sa finesse nous manquent cruellement quand on pense à la cérémonie d'ouverture des Jeux, mais passons.

Je dirai ensuite, comme je le répète sans cesse autour de moi (vieillir, c'est aussi se donner le droit de radoter un peu), que vieillir est la meilleure manière de ne pas mourir jeune. Et quand je regarde le soleil du matin à travers la fenêtre en cette belle journée d'hiver, je me réjouis de ce bonheur épicurien, au sens originel du terme, qui consiste à admirer la superbe clarté matinale.

Certes, «l'âge ne fait rien à l'affaire», chantait Brassens, et quand on n'a pas su cueillir la sagesse au long de son chemin, comme je l'écrivais ailleurs, on peut faire un vieux con pas plus méritant qu'un jeune con. Mais, c'est absolument impossible de devenir un vieux sage si on quitte ce monde au moment où on est un jeune con ou un jeune sage (parce qu'il y en a tout plein des jeunes sages, il faut chérir leur apport à nos méditations, et c'est sage de contester l'autorité quand cette dernière fait fausse route). Alors, donnons-nous la chance de vieillir.

Puis, il ne faut pas non plus bouder ses plaisirs. Je connais des gens très près de moi qui sont offusqués quand les jeunes s'adressent à eux de manière trop respectueuse. Pas moi, j'ai grand plaisir à me faire vouvoyer et appeler «Monsieur» par la relève, même si je ne suis pas encore tombé (comme disait Vigneault).

Quand une demoiselle m'offre poliment son siège dans l'autobus, je l'accepte avec plaisir et je la remercie clairement. Une jeune dame m'a déjà proposé de partager son parapluie au sortir du métro. N'est-ce pas aimable? Et je dirais non juste pour oublier que j'ai les cheveux gris?

D'ailleurs, l'âge, c'est bien relatif. Je me rappelle une anecdote savoureuse. J'avais 31 ans. C'était un soir de début d'automne, je marchais rue Sherbrooke, curieusement déserte. Comme il faisait assez froid, je portais mon trench et mon éternel béret. Un vent furieux se soulève et arrache mon béret qui s'en va rouler (oui, comme une roue) en plein milieu de la rue Sherbrooke, toujours déserte.

«Ah, misère!», me mets-je à crier, me sentant impuissant devant le vent qui avait déjà déporté mon couvre-chef à cinquante mètres de moi. De l'autre côté de la rue, environ soixante mètres devant moi, un jeune punk au crâne soigneusement rasé, aux bottes bien attachées et au blouson décoré de métal, regardait la scène. «Ça y est, me dis-je, il va bien se marrer.» Il s'est mis à courir dans la rue, a attrapé mon béret au vol, a traversé sur mon trottoir et a attendu que j'arrive près de lui pour me le remettre en me disant : «Tenez, Monsieur, votre chapeau.»

Pour ce jeune homme de seize ans peut-être, j'ai déjà un vieux monsieur. Je l'ai remercié bien bas en rechaussant ma coiffure. Depuis, j'ai pris du détachement face aux jugements de Brel sur la vieillesse et j'ai continué à trouver les punks sympathiques (surtout ceux aux lacets rouges, bien sûr).

Tous les jeunes n'ont pas cette bienveillance pour l'âge d'or (expression qui a fait son temps, je crois). Ainsi, j'ai découvert il y quelques années une expression jeune qui sert à désigner les vieux. Le nom de «pruneau» nous est accolé parce que comme le pruneau, le vieux est «sec, ridé et il fait chier».

Pardon pour la vulgarité, mais c'est l'explication. Il y a deux ans, un 8 février, mon conjoint avait le goût de faire un petit souper à nous deux pour nous rapprocher et comme nous n'avions pas une excuse valable dans le calendrier, il m'a suggéré de fêter la Saint-Pruneau. Depuis, tous les 8 février, nous célébrons cette date en nous réappropriant le nom pour rigoler. Samedi dernier, pour la troisième édition, nous avons invité un camarade à célébrer l'occasion avec nous.

C'est vrai qu'il y a de ces personnes âgées qui sont acariâtres, qui sont «malcommodes» comme on disait dans le temps. Bien que je revendique le fait de vieillir, je pense qu'être déplaisant avec notre entourage ne rendra pas notre vieil âge plus agréable. Alors, je nous souhaite tous de devenir de doux pruneaux et de le célébrer encore longtemps. Puissent les vents nous être favorables.

LAGACÉ, Francis




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