vendredi 23 novembre 2018

Autres dérives médiatiques: croyances et préjugés


Voici un excellent article de Francis Lagacé que je vous invite à relire


Autres dérives médiatiques: croyances et préjugés 
 

4 février 2008

Sous l'influence des sondages de préférence dont nous sommes bombardés, nous avons tendance à confondre sentiment et opinion. Dire que telle boisson gazeuse est meilleure que telle autre, ce n'est pas une opinion. Penser que monsieur Untel ferait un meilleur premier ministre n'est pas nécessairement non plus une opinion.



Le sentiment relève d'une impression gardée à la suite d'une sensation ou d'une émotion. Par exemple, une personne qui débarque à Montréal en plein juillet sous une atmosphère humide pourra garder le sentiment que Montréal est une ville tropicale.



L'opinion est une orientation choisie à partir des arguments, ceux-ci étant des faits orientés sur une échelle argumentative. Par exemple, sur l'échelle "s'habiller chaudement", le fait "il fait -35 degrés Celsius" est orienté très positivement et me permet d'avoir l'opinion: "Je dois m'habiller chaudement aujourd'hui."



Cette confusion entre sentiments et opinions traverse tous les discours médiatisés, et contribue à répandre des croyances et des préjugés tenaces.



J'illustrerai ce genre de fausses conclusions que l'on peut tirer à partir de trois exemples récents: le discours de Mario Dumont sur la réforme scolaire, le halo autour du Superbowl et l'influence des prix sur l'évaluation des vins.



1. Il fallait entendre Mario Dumont vers la fin de la semaine dernière au micro de C'est bien meilleur le matin où il essayait de dire quelque chose de concret au sujet de la réforme au secondaire. Outre quantité d'énoncés vagues et nébuleux enrobés de commentaires négatifs, il n'a su que répéter ce que l'on entend partout, soit que la réforme sacrifie les connaissances. Or, la réforme, dans laquelle il faut noter qu'il n'y a pas que du mauvais, ne dit nulle part qu'il faut sacrifier les connaissances. Certes, elle insiste sur les processus et sur des procédés plus englobants, mais comme l'enseignant reste maître du choix de sa pédagogie, il lui est tout à fait possible de faire primer les connaissances.



Il y aurait long à dire sur ce débat particulier, mais ce qui importe pour mon propos ici, c'est que peu d'opinions sont émises à son sujet, car on n'utilise que rarement les faits qui peuvent servir d'arguments. On se base plutôt sur des impressions qui nourrissent les sentiments.



2. Le Superbowl est présenté comme l'événement sportif le plus important au monde. Il faudrait bien appuyer ces dires prétentieux et un peu délirants sur de véritables statistiques plutôt que sur de vaseuses généralisations. Les États-Uniens jouent sur une ambiguïté de la langue en reprenant le fait bien connu que le football est le sport le plus populaire au monde, un fait documenté par le nombre de joueurs dans le monde et le nombre de fans. Or, le football dont il est question ici est le vrai football, c'est-à-dire ce que l'on appelle le soccer.



Autre fait artificiellement gonflé, on nous fait croire que les Chinois regardent le Superbowl et qu'un milliard de personnes seront devant le petit écran. La réalité est beaucoup plus décevante: la diffusion du match est accessible en Chine (où à peu près personne ne sait ce qu'est le football états-unien) et si tout le monde qui a accès à la diffusion du match sur la planète le regardait effectivement, cela ferait un milliard de personnes.



Ça me rappelle les publicités pour American Express que je voyais à la télé étant petit. On y disait que cette carte était la plus acceptée au monde. Or, elle était acceptée uniquement aux États-Unis et dans certains commerces canadiens. Plus de vingt ans plus tard (dans les années 80), il était encore difficile pour un États-Unien de faire reconnaître sa carte en Espagne ou en France en dehors de Paris. Les États-Uniens confondaient les frontières de leur pays avec celles du monde. C'est un air connu, le monde s'arrête aux marches de l'Empire.



3. Dans l'édition des samedi 19 et dimanche 20 janvier 2008 du Devoir (en page D4), Fabien Deglise rapportait les résultats d'une étude montrant que les personnes qui goûtent un vin au prix élevé sont préconditionnées à le trouver meilleur que si on leur dit que le prix est bas. Ce phénomène n'a rien d'extraordinaire. On trouve toujours plus belle une chemise de grande marque qu'une autre même si cette dernière peut avoir plus de qualité esthétique. On se laisse donc influencer par ses croyances et ses préjugés.



De là à croire que les spécialistes en matière de vin sont tous des charlatans et des fumistes, il y a un pas qu'il faut refuser de franchir.



Quand on déguste des vins, il faut noter les sensations qu'il procure et y attribuer une note. Cela a pour résultat que les vins très chers du Nouveau-Monde (États-Unis, Afrique du Sud, Amérique du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande), lesquels cherchent à obtenir de bonnes notes justement en haussant indument les prix, n'obtiennent pas de si bonnes notes quand on les compare à des vins bien faits mais beaucoup moins chers venant de la Vieille Europe. De même, certains vins européens bénéficiant de leur réputation sont peu estimés quand on les analyse à l'aveugle. J'ai été à même de la constater maintes fois. Le snobisme et le marketing par le prix existeront toujours, mais le sens de la mesure aussi; il suffit de s'appliquer.



Conclusion: évitons de généraliser nos sensations, méfions-nous de nos croyances et de nos préjugés, appuyons-nous sur des arguments, donc des faits vérifiables, et nous aurons un meilleur esprit critique.

LAGACÉ Francis

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