vendredi 2 novembre 2018

Songements d'un promeneur sans fil


Voici un texte de Francis Lagacé que je vous invite à relire

Un texte où Francis m'avait surpris en mentionnant mon nom dans le texte.


Songements d'un promeneur sans fil 

13 février 2012



Je me rappelle l'époque où une entreprise de téléphonie nous vendait le téléphone cellulaire comme une forme de liberté. En effet, on n'était plus obligé de rester près du téléphone fixe pour attendre un appel, on pouvait se trouver à la pêche et recevoir les nouvelles qu'on attendait.



De mon côté, j'écrivais : «Autrefois, les esclaves se promenaient avec un boulet; aujourd'hui, ils se baladent avec un téléphone.» (C'est la pensée du premier juillet dans mon recueil 365 Chrysanthèmes +1)



Ce téléphone si utile est tout de même un fil invisible à la patte, surtout depuis qu'il fait semblant d'être intelligent et qu'il relaie le courrier électronique et toutes les commandes qu'on peut recevoir du bureau et des autres personnes ou organismes avec lesquels on fait affaire.



Les gens qui me fréquentent le savent : mon téléphone mobile est toujours silencieux, je vérifie au besoin s'il y a des messages importants et je le mets en mode vibration si j'attends un appel. Quant au téléphone domestique, je ne réponds à ses invites qu'à mon gré.



La plupart des gens ont appris à gérer leur téléphone de façon à ce qu'il ne soit pas trop envahissant. C'est tout de même amusant : quand les téléphones cellulaires sont apparus, les personnes qui en avaient se sentaient drôlement importantes, alors qu'en fait une personne «importante» (ou puissante dirons-nous) n'a pas à répondre elle-même pas plus qu'elle ne fait elle-même son ménage.



Mais il n'y a pas que le téléphone, l'ordinateur aussi est devenu une sorte de boulet ou plutôt une drogue dont on ne peut plus se passer. Il n'y a qu'à voir les désagréments que nous cause une panne. Au lieu de se sentir plus léger, on se trouve en état de manque et, il est bien vrai, notre vie devient diablement plus compliquée si on doit se trouver un jour ou deux sans ce précieux outil.



Il m'arrive parfois de prendre congé de courrier électronique. En général, une journée de fin de semaine. Pendant les vacances aussi, je me tiens loin des appareils électroniques. Mais samedi dernier, j'ai essayé de ne pas utiliser l'ordinateur du tout ni pour le web, ni pour les recherches, ni pour le courrier électronique, ni pour aucune autre activité, que ce soit la musique, les photos, la lecture, l'écriture, le rangement, etc. C'est qu'on en fait des choses avec ce bidule!



J'y suis parvenu sans trop de mal ne manquant pas de courses à faire ni de bons livres qui m'attendent, certains depuis des années, car je les accumule plus vite que je ne puis les parcourir.



Cependant, cela m'a aussi permis de réfléchir à cette frénésie de l'actualité qui nous amène à considérer comme inintéressant un sujet parce qu'il était à la une de la veille.



Disposer de la rapidité, avoir accès à quantité de sources d'information, pouvoir communiquer avec des gens de partout dans le monde, pourquoi tout cela nous empêche-t-il de prendre notre temps? Tout cela reste compatible avec la possibilité de traiter d'un sujet peu importe qu'il soit dans l'air ou pas. Après tout, les vrais grands sujets, l'amour, la paix, la justice, la vie, la santé, la mort, le souverain bien, l'éducation des enfants, ces sujets restent les mêmes. Ont-ils besoin d'attendre le retour de la mode ou de s'effacer quand la mode est passée?

Prendre son temps a permis par exemple à mon ami Sergio de Rosemont d'écrire un très beau texte pour répondre aux propos déréglés du sénateur Boisvenu. Sa réflexion s'est développée sans la pression de la publication immédiate. La superficialité des manchettes ne fait que nous éloigner de ces nécessaires songements comme aurait dit Montaigne, lui qui s'était retiré loin de la presse, c'est-à-dire la foule.



Tout comme les décideurs économiques qui ne pensent qu'en fonction des résultats trimestriels, les acteurs de la société sont sans cesse bousculés pour réagir au plus vite. Cela fait de la plus grande part de notre agitation un processus réactif plutôt qu'une activité constructive consciente et structurée.

Personne n'est plus en faveur du progrès des communications que moi. Et ces progrès peuvent beaucoup pour nous libérer. Je crois que, pour s'en rappeler les moyens, il est utile parfois de débrancher.

LAGACÉ Francis

«»------------------------------«»

Aucun commentaire: